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579. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

Et dans la Vie d’abord : il établit très bien qu’André Chénier n’a pas été un inconnu, un jeune poëte ignoré dont il était réservé à notre siècle de découvrir le génie. […] En même temps qu’il a été si soigneux de rattacher à chaque page, à chaque vers, tout ce qui s’y rapporte directement ou indirectement chez les Anciens ou même chez les modernes, le nouvel éditeur ne tire point trop son auteur du côté des textes et des commentaires, et il ne prétend point le ranger au nombre des poëtes purement d’art et d’étude ; il relève avec un soin pareil, il sent avec une vivacité égale et il nous montre le côté tout moderne en lui, et comme quoi il vit et ne cesse d’être présent, de tendre une main cordiale et chaude aux générations de l’avenir : « Chénier, remarque-t-il très justement, ne se fait l’imitateur des Anciens que pour devenir leur rival. » À Homère, à Théocrite, à Virgile, à Horace, il essaye de dérober la langue riche et pleine d’images, la diction poétique, la forme, de la concilier avec la suavité d’un Racine, et quand il en est suffisamment maître, c’est uniquement pour y verser et ses vrais sentiments à lui, et les sentiments et les pensées et les espérances du siècle éclairé qui aspire à un plus grand affranchissement des hommes. […] C’est pourquoi il ne faut point voir dans la tentative d’André Chénier une renaissance gréco-latine ; c’est véritablement une renaissance française, conséquence des xvie et xviie  siècles, avec cette différence que le xvie  siècle avait vu la Grèce à travers l’afféterie italienne ; le xviie , à travers le faste de Louis xiv ; tandis qu’André Chénier a, dans l’âme de sa mère, respiré la Grèce tout entière ; il parle la même langue que Racine, mais trempée d’une grâce byzantine, attique même, naturelle et innée, et dans laquelle se fondent heureusement l’ingéniosité grecque et la franchise gauloise. » Certes, André Chénier n’a pas réussi partout ; plus d’une pièce de lui trahit des inexpériences sensibles ; il y a des différences d’âge entre ses poésies ; mais celles de sa dernière manière, les élégies lyriques à Fanny, à la Jeune Captive, l’ode à Charlotte Corday, les Iambes, ne laissent rien à désirer.

580. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre II. Recherche des vérités générales » pp. 113-119

Suit-on, durant quelques siècles le développement du vers français de douze syllabes ; on remarque facilement que chez les poètes de la Pléiade il est souple, libre, aisé, qu’il se permet beaucoup d’enjambements et de rejets en même temps qu’il est richement rime ; qu’à partir de Malherbe et de Boileau, surtout au xviiie  siècle, une césure presque immuable le divise en deux parties égales, tandis que la rime devient souvent pauvre et banale ; que les romantiques, en disloquant, comme ils disaient, « ce grand niais d’alexandrin », rendent à la rime une plénitude de sonorité dont elle avait perdu l’habitude ; que Musset semble, il est vrai, faire exception en lançant aux partisans de la consonne d’appui cette moqueuse profession de foi : C’est un bon clou de plus qu’on met à la pensée ; mais qu’aussi ses vers, sauf dans ses poésies de jeunesse où il s’abandonne à sa fantaisie gamine, sont restés, bien plus que ceux de Victor Hugo ou de Sainte-Beuve, fidèles à la coupe classique. […] Dans la seconde moitié du siècle dernier renaissent en France des goûts qu’on n’y connaissait plus ; on s’y éprend à la fois des voyages, de l’agriculture, des idylles, des jardins anglais, des romans champêtres, des sites sauvages qualifiés de « romantiques », des tableaux représentant la vie du village : choses d’ordre différent, mais qui se ressemblent et qu’on peut réunir sous une seule formule en disant : la France revient à la nature extérieure. […] Il songe à cette tyrannique nécessité de changement, à cette alternance régulière qui emporte les nations d’un extrême à l’autre ; il comprend que la France et l’Europe ont repris goût à la verdure des bois et des prairies et aux charmes de la solitude, précisément parce qu’elles étaient lasses et dégoûtées de spectacles et de plaisirs contraires ; il trouve enfin dans cette réaction violente contre les prédilections du siècle précédent un cas particulier de cette grande loi du rythme qui semble être une des lois de la vie universelle.

581. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

Milton s’est emparé, avec beaucoup d’art, de ce premier mystère des Écritures ; il a mêlé partout l’histoire d’un Dieu qui, dès le commencement des siècles, se dévoue à la mort pour racheter l’homme de la mort. […] Cet art de s’emparer des beautés d’un autre temps pour les accommoder aux mœurs du siècle où l’on vit, a surtout été connu du poète de Mantoue. […] Cela prouve qu’une grande différence existait déjà entre les temps de Virgile et ceux d’Homère, et qu’au siècle du premier, tous les arts, même celui d’aimer, avaient acquis plus de perfection.

582. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « J.-K. Huysmans »

Il est en proie à la névrose du siècle. […] III Et voilà la punition d’un tel livre, l’un des plus décadents que nous puissions compter parmi les livres décadents de ce siècle de décadence. […] De choix et de réflexion, il préfère, par exemple, le latin barbare du Moyen Âge au latin du siècle d’Auguste, et met Lucain au-dessus de Virgile, qu’il déshonorerait de sa critique si un génie comme Virgile pouvait être jamais déshonoré.

583. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIII. Éloges donnés aux empereurs, depuis Auguste jusqu’à Trajan. »

Il est triste pour les poètes d’avoir eu, dans tous les siècles, le privilège de flatter sans s’en apercevoir et sans même qu’on s’en étonne ; il faut espérer qu’un jour ils réclameront contre ce droit : mais ce privilège accordé aux vers ne s’est jamais étendu jusqu’à l’histoire. […] que le jour où sa famille sacrée célébrera son retour au ciel, ne luise que dans l’autre siècle ; et pour nos derniers neveux25 !  […] Quel est l’esclave étalé dans un marché pour être vendu, qui inspire autant de mépris et de pitié qu’un tel écrivain, qui cependant, à la honte de son siècle et de Rome, eut de la réputation ?

584. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

Elles sont restées debout pendant plus de trois siècles. […] En vérité ce crépuscule du siècle est douloureux. […] Peut-on donner la définition d’une civilisation, d’un peuple, d’un siècle ? […] Son œuvre grandiose et douloureuse est bien la confession d’un enfant du siècle. […] Mais il a raisonné sa mélancolie et réduit le mal du siècle en syllogismes.

585. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Ce mot, inconnu il y a un siècle, est aujourd’hui le souverain maître de toutes les vies. […] Il y a entre les siècles et les esprits des barrières aussi fortes qu’entre les espèces et les instincts. […] Voilà les alentours de Racine ; c’est cet esprit de la race et du siècle auquel s’est accommodé son esprit. […] Au siècle de Dryden, je le veux, et dans son pays. […] Il faut laisser le mélange fermenter ; on en verra le produit dans un siècle.

586. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

Aussi lui prit-il des vertiges, toutes les fois que cette raison, qui peut-être, un siècle plus tard, lui aurait suggéré la logique du Vicaire savoyard, manqua d’une prémisse pour rendre le raisonnement invincible. […] Depuis plus d’un siècle et demi que le Discours sur l’histoire universelle a paru, le vrai n’y a pas plus fléchi que le vraisemblable. […] Et ce grand établissement, commencé il y a trois siècles, ne porte pas de menaces de ruine qui lui soient particulières, ni qui tiennent à la nature même du protestantisme. […] Bossuet mettait le Discours de la méthode au-dessus de tous les ouvrages de son siècle. […] Retenue dans les mains de Bossuet par l’ordre de Louis XIV, qui voulait ménager le pape, puis reprise et refondue vers la fin du siècle, elle ne parut que vers 1740, publiée par les soins de l’abbé Bossuet, sur une copie destinée au roi.

587. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Il n’a pas même été effleuré par ce que l’on a appelé le mal du siècle, par cette maladie du découragement. […] Le siècle les avait déposées en lui, pour qu’il les lui rendît amplifiées et magnifiées. Si ses opinions n’étaient pas toujours les mêmes, ce n’était pas la faute de Victor Hugo : ce n’est pas lui, c’est le siècle qui avait changé. […] C’est justement ce que sera La Légende des siècles. […] C’est donc une sorte de légende des siècles, analogue à La Légende des siècles de Victor Hugo, mais avec les différences que vous devinez tout de suite.

588. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tailhade, Laurent (1854-1919) »

[Portraits du prochain siècle (1894).] […] Des mysticités douteuses et trop parées, une madone telle que l’eût priée Baudelaire, mais combien plus sombre d’avoir oublié de l’être, combien plus triste de sourire ainsi… C’est surtout par les couleurs de son inspiration, par ce lyrisme mystique et sensuel qui, à ce degré, n’est que de ce siècle, que Laurent Tailhade nous appartient.

589. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre premier, premières origines du théâtre grec »

Nous entrons de plain-pied dans le cercle magique où le théâtre opère ses évocations, depuis tant de siècles, sans nous rendre compte du prodige qui l’a tracé et qui l’a rempli. […] Le passé qui redevient le présent, des fantômes reprenant leurs corps, des légendes immémoriales revenant du fond des siècles, sur le premier plan de la vie ; des hommes quelconques, connus et coudoyés tout à l’heure, transformés par le revêtement d’un costume, par l’ascension de quelques gradins, en dieux visibles, en héros ressuscités et palpables, et le faisant croire aux yeux autant qu’à l’esprit !

590. (1911) Nos directions

Et l’art dramatique plus que tout autre, qui se trouve subordonné aux moyens matériels de représentation, de siècle en siècle variables. […] Moréas notre contemporain, s’évertuant à retarder de deux siècles. […] Enfin, quand ils le veulent, entre tous, représentatif de son siècle, s’avisent-ils que, dans ce siècle, il figure justement la plus extraordinaire exception ? […] Peut-on rêver pour un artiste, plus de deux siècles après sa mort, un hommage moins convenu ? […] scène des portrais d’Hernani, Légende des Siècles !

591. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Mais qui pourrait ne pas reconnaître en elle une âme mûrie de bonne heure par les orages de notre siècle ? […] Jeune homme, il n’a pas la prétention d’expliquer son siècle. […] Mais il y a une espèce de sujets qui répond plus particulièrement aux nécessités de chaque siècle. […] Il est vrai que Goethe ne s’est fixé sur rien, et notre siècle, dont la constance sera un jour proposée pour modèle aux siècles futurs, n’a pu s’empêcher de blâmer hautement cette perpétuelle instabilité. […] C’est le train ordinaire du monde et le cours du siècle.

592. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

C’est, à la date de 1915, le bilan d’un effort qui, depuis des siècles, n’a pas eu de cesse et qui ne se ralentit pas. […] Cette charmante femme qui allait mourir a transmis au splendide poète du siècle commençant la jeune poésie qu’avait tuée le siècle terrible. […] Voilà, par dissociation d’idées, un dix-septième siècle, un Grand siècle quasi anarchique. […] Monique, la victime de deux siècles de fatalité vigilante ! […] Il était le neveu de Napoléon et l’enfant d’un siècle déraisonnable.

593. (1898) La cité antique

Nous avons en effet une partie de notre être qui se modifie de siècle en siècle ; c’est notre intelligence. […] Qui nous dira ce que pensaient les hommes, dix ou quinze siècles avant notre ère ? […] On écrivait sur le tombeau que l’homme reposait là ; expression qui a survécu à ces croyances et qui de siècle en siècle est arrivée jusqu’à nous. […] Cette famille indivisible, qui se développait à travers les âges, perpétuant de siècle en siècle son culte et son nom, c’était véritablement lagens antique. […] Pendant de longs siècles, elle fut paisible, honorée, obéie.

594. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 218-221

Alfred de Musset : 1° la Confession d’un Enfant du siècle, revue et corrigée avec le goût que l’auteur apporte désormais à tout ce qu’il écrit ; 2° les Comédies et Proverbes en prose ; 3° les Poésies complètes. […] Peu s’en faut, à les entendre, qu’il ne soit le premier et l’unique poëte du siècle.

595. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Van Lerberghe, Charles (1861-1907) »

On dirait que le poète habite un château de fées, depuis des siècles, abandonné et que le seul silence des salles désertes l’a convié aux rêves très doux d’autrefois. […] [Portraits du prochain siècle (1894).]

596. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre III. Des Philosophes chrétiens. — Métaphysiciens. »

Il est assez singulier que notre siècle se soit cru supérieur en métaphysique et en dialectique au siècle qui l’a précédé.

597. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Charles Nisard »

En un siècle égoïste et pressé comme le nôtre, qui s’arrête à peine devant les grandes choses et devant les grands noms, était-ce bien la peine de faire poser devant nous la figure, ou plutôt la momie, de trois scholiastes comme eux ? […] Avec un amour de cloporte pour la poussière, Nisard a remué celle des bibliothèques ; et ce n’a point été, comme on pourrait le croire, pour nous raconter et nous montrer le vaste mouvement littéraire du siècle auquel s’associèrent Juste Lipse, Scaliger et Casaubon, mais — ô piété de ce pieux Énée de l’annotation envers ses ancêtres ! 

598. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque. Deuxième partie. » pp. 225-303

Tous ont échoué et tous échoueront éternellement, parce que le monde religieux, politique ou social qui a été fait jour à jour, pendant les siècles des siècles, conformément à la nature de l’homme, ne peut se refaire aussi que jour à jour pendant la durée des siècles, conformément aux idées plus développées de l’humanité tout entière. […] VI Ce fut la tentation de beaucoup de grands esprits, depuis qu’il y a des penseurs dans le monde, de se révolter, au moins en imagination, contre la nature des choses ; de s’imaginer qu’ils étaient dieux, de critiquer avec mépris l’œuvre du Créateur ; de reprendre l’univers moral en sous-œuvre, de renverser toutes les institutions plus ou moins parfaites de l’humanité, et de reconstruire idéalement une société sur le plan radical de leur imagination, en faisant abstraction des instincts, des traditions, des habitudes, cette seconde nature, des nécessités, des expériences, des nationalités et des faits historiques, qui ont produit, fait par fait et siècle par siècle, les institutions fondamentales et universelles sur lesquelles repose l’espèce humaine. […] XXII La politique, selon nous, n’est en effet que la nature, étudiée avec intelligence et respect dans les instincts sociaux de l’homme ; la nature, révélée par ces instincts, vivifiée par l’expérience, promulguée en lois et instituée en gouvernement par les législateurs de génie de tous les pays et de tous les siècles. […] quand donc, au milieu de tant de cours de sciences physiques, théologiques, économiques, mathématiques, métaphysiques, qui aiguisent l’intelligence professionnelle, mais qui quelquefois faussent l’intelligence générale de notre siècle, aurons-nous enfin un cours de bon sens politique, non pas calqué sur les utopies de Platon, mais dérivé de la nature de l’homme ; retrouvant l’origine des lois dans ces législations innées qui sont nos instincts ? […] C’est par Platon que l’humanité de ce temps a su qu’elle avait une âme trois siècles avant la révélation du christianisme.

599. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

C’est ainsi qu’un autre homme du même talent, de la même honnêteté délicate que ces quatre ou cinq prophètes des peuples, a vu les misères de son siècle et de tous les siècles, a été touché du généreux désir de les pallier, a pris la plume et a écrit les Misérables, livre plus puissant et aussi inconséquent que les livres de ses devanciers sur la route des songes ; livre populaire, qui fera beaucoup de mal au peuple, en le dégoûtant d’être peuple, c’est-à-dire homme et non pas Dieu ! […] Un nuage fut formé pendant quinze cents ans ; au bout de quinze siècles il a crevé. […] Hugo en parlant du terrorisme : un nuage formé par quinze siècles, d’où sort un coup de tonnerre ; le coup de tonnerre qui ne doit pas se tromper, est une définition explicative, selon moi, mais nullement justificative, encore moins laudative : car le coup de tonnerre du terrorisme s’est dix mille fois trompé ; il a fait de la lueur, mais il a fait des cadavres, des victimes innombrables, pures, innocentes, augustes ; il a laissé dans toutes les âmes quelque chose de sinistre, pareil à une horreur chez les uns, à un remords chez les autres ; des noms abhorrés chez les bourreaux, des noms consacrés chez les victimes. […] Celui qui était peuple dans un siècle n’est-il pas devenu, par la rotation des choses et des races, aristocrate dans un autre siècle ? […] Mais les plus grands poètes et les plus éloquents écrivains des siècles qui suivront tes crimes en feront des vertus, et proclameront la sainteté du supplice infligé par toi à tes ennemis ! 

600. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

J’ai pu, seul en mon siècle, comprendre Jésus et François d’Assise. […] C’est ainsi que je connus les batailles du siècle. […] Ainsi le siècle pénétrait jusqu’à moi par toutes les fissures d’un ciment disjoint. […] Ici, l’atmosphère du siècle circulait librement. […] Dupanloup aimait trop peu son siècle et lui faisait trop peu de concessions pour qu’il pût lui être donné de former des hommes au droit fil du temps.

601. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Il déroba la couronne tombée du front de sa famille pour la traîner de concession en concession, jusqu’au jour où il laissa lui-même, en fugitif, la double dépouille des siècles à la République. […] Quant à l’intérêt que l’auteur prétend emprunter au récit des choses de son temps, les Mémoires sont un cadre trop étroit pour un siècle ; ils ne peuvent donner que les généralités et les aperçus dont l’effet est trop fugitif et trop rapide pour le lecteur. […] Nous n’exigeons pas qu’un homme de lettres et un homme d’État, impliqués dans un même homme, compromette à tout propos son œuvre politique devant la multitude, par ses professions de foi philosophiques, téméraires et radicales, qui aliènent de lui la liberté et la raison d’une partie de son siècle. Non ; ce serait intervertir l’esprit du siècle lui-même et remonter au symbole impératif d’un autre âge qui défendait de penser en religion, à moins de penser comme nous ; cela ne serait ni raisonnable ni sensé, ce serait un retour au moyen âge. […] Bossuet prend pour borne milliaire de la route infinie des siècles un rocher stérile de Sion ; la famille humaine n’est que la race de Melchisédech.

602. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — La déformation  »

La langue française, après plusieurs crises dont elle était sortie renouvelée et dégagée, s’éleva à une telle fortune littéraire qu’elle en fut immobilisée pendant plus d’un siècle, pendant cent cinquante ans, puisque les poètes de l’an 1819 sont encore sous la domination exclusive de Racine et de Boileau. […] Alors que nous ne savons pas bien nous-mêmes et que la question est discutée de savoir si oi équivaut soit à oua, soit à oa, il est difficile de déterminer la valeur de ce signe, et de plusieurs autres, le long des siècles passés. […] Tout le monde connaît le titre du petit roman écrit au dernier siècle, Angola, histoire indienne. […] On a cherché depuis trois siècles à figer ce jardin dans cette attitude contradictoire ; de là, ces incohérences qui permettent de rédiger des grammaires en quatre volumes. […] Elle nous choque, quoiqu’elle soit identique à allumer le gaz, puisque allumer, c’est adluminare, donner de la lumière à…, comme éclairer, c’est donner de la clarté à… Il est curieux de retrouver, à tant de siècles de distance, la même méthode linguistique aboutissant au même résultat.

603. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

Ce grand magistrat n’avait guère alors plus de quarante ans ; il avait l’âme libérale et généreuse, et portée vers toutes les nobles idées de son siècle, en même temps qu’il tenait de la force du précédent. […] Heureux siècle, et encore voisin des croyances, où ceux qui étaient réputés les grands railleurs avaient de ces naïvetés touchantes et de ces sensibilités tout antiques et toutes patriotiques ! […] Ses dernières lettres, à mesure qu’on avance dans le règne de Louis XIV, montrent à quel point il retarde en quelque sorte et ne peut se faire au siècle nouveau. En 1664, au moment où la jeune et brillante littérature va prendre son essor et où l’époque se dessine déjà, s’appuyant sur quelques cas isolés de désordre et de brigandage, il s’écrie : « Nous sommes arrivés à la lie de tous les siècles !  […] Diafoirus dit en parlant de son fils : « Mais sur toute chose, ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c’est qu’il s’attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n’a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle touchant la circulation du sang, et autres opinions de même farine. » Les créations comiques de Molière sont immortelles en ce qu’elles ont pied à tout moment dans la réalité.

604. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Homme aussi grand qu’universel, il fit partie de la grandeur et de la gloire des Médicis : un grand homme féconde un grand siècle. […] Il amnistia tous ses ennemis, et rappela Soderini à Rome ; il plaça les fils et les filles de Laurent dans toutes les grandes familles royales de l’Italie et de l’Europe ; il donna son nom à son siècle, et il mérita cette gloire. […] Dans le siècle des Médicis, la supériorité fut dans la force qui civilise les hommes. […] Il fit même pour cela de telles dépenses, que non seulement ses contemporains et ce siècle, mais la postérité ont immensément perdu en perdant un tel homme. […] Si notre siècle en a produit un autre et un pareil, il peut hardiment, et par l’éclat et par la gloire du nom, lutter avec tout ce que l’antiquité nous a offert.

605. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Et dans le même ouvrage, à un autre endroit, parlant des gens à la mode et montrant l’inconvénient de cette prétention pour les diverses conditions du magistrat, du militaire, il ajoutait : « L’homme de lettres, qui, par des ouvrages travaillés, aurait pu instruire son siècle et faire passer son nom à la postérité, néglige ses talents et les perd, faute de les cultiver : il aurait été compté parmi les hommes illustres, il reste un homme d’esprit de société. » Ces deux passages rapprochés renferment toute la destinée de Duclos comme homme d’esprit et comme écrivain. […] Deux grands hommes du siècle, Montesquieu et Buffon, ce dernier surtout, furent aussi très libertins dans leur jeunesse et depuis ; mais l’un et l’autre avaient ce que Duclos ne soupçonnait pas, un idéal : il y avait une partie élevée d’eux-mêmes qui dominait les orages des sens et qui ne s’y laissa jamais submerger. […] Il faut, pour être juste envers Duclos, en venir à son livre des Considérations sur les mœurs de ce siècle (1751). […] Le Français, selon lui, a un mérite distinctif : « Il est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le cœur se corrompe et que le courage s’altère. » Il voudrait voir l’éducation publique se réformer et s’appliquer mieux désormais aux usages et aux emplois multipliés de la société moderne ; il prévoit à temps ce qui serait à faire, et, connaissant le train du monde, il craint toutefois qu’on ne le fasse pas à temps : « Je ne sais, dit-il, si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer et hâter les progrès par une éducation bien entendue. » Duclos veut une réforme en effet, et non point une révolution. […] Toutes ces remarques faites au milieu du siècle, dans la pleine vogue des gens de lettres et avant toute expérience, témoignent de bien du sens.

606. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Le mariage du duc Pompée : par M. le comte d’Alton-Shée »

Herman, en présence du baron Fritz, ce beau-frère entiché de sa noblesse et des vieux préjugés germaniques, maintient lui-même le rôle du noble moderne converti aux idées du siècle : il répond à l’accusation banale d’être un déserteur de sa caste et de n’avoir ni foi ni principes : « Croyez plutôt, dit-il en parlant des Biron, des Custine, des La Fayette, qu’il a fallu une foi bien ferme à ces déserteurs qui, dans la solitude de leur conscience, se sont voués à la haine de ceux qu’ils abandonnaient, à la méfiance de ceux qu’ils voulaient servir, sans autre espoir que la justice tardive de la postérité. » Mais ce commencement de discussion entre Herman et Fritz est arrêté à temps par un-geste d’Emma qui n’entend pas que ses deux adorateurs, comme elle dit, combattent sur ce terrain, et qui les rappelle à l’ordre. […] Si je provoque le scandale, je hais le mensonge ; jamais, pour triompher d’une résistance, je n’ai eu recours à la comédie de l’amitié ; jamais je n’ai prodigué les feintes promesses ni les faux serments d’une éternelle flamme ; jamais je n’ai séduit, jamais je n’ai trompé… » Morale facile, morale commode, mais qui va devenir rare encore en ce siècle, s’il continue dans la voie où il est depuis quelque temps engagé, — et où il semble faire des progrès chaque jour, celle du faux-semblant convenu et de l’hypocrisie utile. […] J’ai souvent fait un rêve, ou plutôt (car la chose est irréparable) j’ai formé et senti un regret : c’est que parmi toutes ces générations qui se sont succédé dans notre France légère depuis tant de siècles, il ne se soit pas trouvé, à chaque génération un peu différente, un témoin animé, sincère, enthousiaste ou repentant, présent d’hier à la fête ou survivant le dernier de tous et s’en ressouvenant longtemps après ; lequel, sous une forme quelconque, ou de récit naïf, ou de regret passionné, ou de confession fidèle, nous ait transmis la note et la couleur de cette joie passagère, de cette ivresse où l’imagination eut bien aussi sa part. […] Quand je vois, vers la fin du siècle, que tant de soupers charmants où la beauté, l’esprit, la poésie en personne (André Chénier en était), l’éloquence déjà elle-même et la politique à l’état d’utopie et de rêve, se cotisaient à l’envi pour payer leur écot, quand je vois que ces réunions d’élite n’ont eu pour annotateur qu’un Rétif de La Bretonne, j’en rougis pour les délicats convives ; un valet de chambre en eût mieux parlé. […] C’est une de ces scènes chères à ceux qui s’intitulaient les enfants du siècle, c’est leur idéal d’orgie, une de ces bacchanales éclatantes et sacrées que Pompéa vient d’évoquer devant Herman, et elle n’a plus ensuite qu’à vouloir, ce semble, pour triompher de lui.

607. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

MADAME DE SÉVIGNÉ Les critiques, et particulièrement les étrangers, qui, dans ces derniers temps, ont jugé avec le plus de sévérité nos deux siècles littéraires, se sont accordés à reconnaître que ce qui y dominait, ce qui s’y réfléchissait en mille façons, ce qui leur donnait le plus d’éclat et d’ornement, c’était l’esprit de conversation et de société, l’entente du monde et des hommes, l’intelligence vive et déliée des convenances et des ridicules, l’ingénieuse délicatesse des sentiments, la grâce, le piquant, la politesse achevée du langage. […] La noble société de nos jours, qui a conservé le plus de ces habitudes oisives des deux derniers siècles, semble ne l’avoir pu qu’à la condition de rester étrangère aux mœurs et aux idées d’à présent6. […] Certes, il y aurait là matière à bien des réflexions sur les mœurs et la civilisation du grand siècle ; nos lecteurs y suppléeront sans peine. […] Une seule observation générale nous suffira : c’est qu’on peut rattacher les grands et beaux styles du siècle de Louis XIV à deux procédés différents, à deux manières opposées. […] Quand une fois le siècle d’analyse a passé sur la langue et l’a travaillée, découpée à son usage, le charme indéfinissable est perdu ; c’est à vouloir alors y revenir qu’il y a réellement de l’artifice.

608. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Ce n’est plus qu’un monument historique, un témoin des siècles. […] J’estimerais peu les efforts que j’ai faits pour l’obtenir si je ne me sentais appuyé par l’interprétation unanime de dix-huit siècles », etc  Il a des façons violentes et hyperboliques d’exprimer des choses très simples : « Si j’allais vous dire, de mon autorité privée : Confessez-vous, est-ce que vous tomberiez à genoux ?  […] C’est pourtant ce que semble taire l’orateur quand, pour leur montrer que des témoignages ininterrompus attestent l’institution divine de la confession, il fait défiler devant eux une interminable liste, siècle par siècle, des docteurs qui en ont parlé. […] D’autres, à l’exemple de Lacordaire, agitent les questions de l’heure présente, combattent le siècle sur son propre terrain, mais à leur façon et sans chercher à imiter la manière du grand dominicain.

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