Un jour mon tour étant venu d’être le sujet de ses plaisanteries, je me mis si fort en colère, et je lui donnai un coup de poing si serré sur la figure, que je sentis l’os et les tendons de son nez fléchir sous ma main, comme un cornet, et qu’il en restera marqué toute sa vie8. […] Un sommeil plus doux s’emparait de moi, et peu à peu je sentis ma santé se rétablir, l’ayant accoutumée à ce purgatoire.
Après avoir fait sentir la différence qu’on devait mettre entre le culte des dieux et les hommages rendus aux grands hommes, Callisthène dit que, comme Alexandre ne permettrait pas qu’on usurpât les honneurs attachés à sa dignité, de même les dieux s’indigneraient qu’on s’arrogeât ceux qui leur appartenaient. […] Le plus grand titre d’Aristote est de l’avoir senti.
A peu près ceci : que l’énergie et la volonté commençaient à travailler les êtres, que les natures saines et droites, parmi les simples et les cultivés, sentaient confusément que là où ils avaient cru voir la volonté divine, ne subsistait que le despotisme humain ; que la toute justice et la toute vérité s’étaient peu à peu corrompues entre les mains de ses dépositaires, qu’il n’y avait plus enfin dans cette Église triomphante, que pourriture et insincérité. […] Brunetière lui-même, le chantre attitré de Bossuet, est contraint à cet aveu : « … De n’avoir point senti ce qu’il y avait de force ou de vertu morale dans le protestantisme, d’avoir sacrifié, si je puis ainsi dire, au rêve d’une unité toute extérieure, purement apparente et décorative, la plus substantielle des réalités, voilà ce que l’on ne saurait trop reprocher à Louis XIV…88 » Alors que les protestants, poursuivis l’épée dans les reins, s’enfuient par toutes les frontières, pour échapper au sort commun, Louis XIV écrit en Hollande et en Angleterre « qu’il n’y à point de persécution, que les protestants émigrent par caprice d’une imagination blessée 89. » La Maintenon spécule sur les terrains que les persécutés étaient contraints, pour s’enfuir plus vite, de vendre à vil prix.
Villars sentit le prix d’une telle générosité, et entre Bouflers et lui tout se passa dans les termes de la plus cordiale estime.
Maupertuis, au contraire, sentait bien en lui-même qu’il n’était pas un grand homme, qu’il n’avait point de monument qui subsisterait après lui, qui maintiendrait son renom auprès de la postérité, et il ne se consolait pas d’être si cruellement atteint dans cette considération viagère à laquelle il avait trop sacrifié les œuvres illustres et patientes, ce qui dure et ce qui se voit de loin dans l’avenir.
Le petit peuple est toujours sur le point de lui faire la guerre, parce qu’il n’en a jamais été ménagé. » À la vérité, « une escouade du guet dissipe souvent sans peine des pelotons de cinq à six cents hommes qui paraissent d’abord fort échauffés, mais qui se fondent en un clin-d’œil dès que les soldats ont distribué quelques bourrades et gantelé deux ou trois mutins. » — Néanmoins, « si l’on abandonnait le peuple de Paris à son premier transport, s’il ne sentait plus derrière lui le guet à pied et à cheval, le commissaire et l’exempt, il ne mettrait aucune mesure dans son désordre.
Mais à travers ses arguments et ses exposés de faits, toute son âme se fait jour, un peu tumultueusement : un vif besoin d’ordre, de paix et de justice, un ardent patriotisme, un christianisme sincère, une profonde pitié du peuple qui paie et qui peine, et le très robuste orgueil du commerçant et de l’industriel : on le sent bien nettement, par la bouche de cet économiste, la bourgeoisie fixe le prix dont elle entend que la royauté lui paie le pouvoir absolu.
Duruy rêvait peu, avait l’esprit net, était actif, croyait à une seule morale, ne se sentait point providentiel.
Il sent, avec plus de force qu’aucun autre, l’incompréhensibilité. totale du plus simple fait, considéré en lui-même.
On sent que cette maison bourgeoise, si paisible en apparence, a un vice secret.
Entrer en passion pour le bon, pour le vrai, pour le juste ; souffrir dans les souffrants ; tous les coups frappés par tous les bourreaux sur la chair humaine, les sentir sur son âme ; être flagellé dans le Christ et fustigé dans le nègre ; s’affermir et se lamenter ; escalader, titan, cette cime farouche où Pierre et César font fraterniser leurs glaives, gladium gladio copulemus ; entasser dans cette escalade l’Ossa de l’idéal sur le Pélion du réel ; faire une vaste répartition d’espérance ; profiter de l’ubiquité du livre pour être partout à la fois avec une pensée de consolation ; pousser pêle-mêle hommes, femmes, enfants, blancs, noirs, peuples, bourreaux, tyrans, victimes, imposteurs, ignorants, prolétaires, serfs, esclaves, maîtres, vers l’avenir, précipice aux uns, délivrance aux autres ; aller, éveiller, hâter, marcher, courir, penser, vouloir, à la bonne heure, voilà qui est bien.
Ce que je ne puis comprendre, c’est que l’on ne sente pas l’extrême originalité, la profondeur de ce système, les rares et merveilleuses beautés que Racine et Corneille en ont tirées.
On applique aux auteurs la procédure judiciaire qui classe les témoins en recevables et non recevables : dès qu’on a accepté un témoin on se sent engagé à admettre tous ses dires ; on n’ose douter d’une de ses affirmations que si l’on prouve des raisons spéciales d’en douter. […] On sent le besoin irrésistible de combler ces lacunes. […] Un besoin irrésistible de simplification nous fait réunir sous un nom unique une masse énorme de menus faits aperçus en bloc et entre lesquels nous sentons confusément un lien (une bataille, une guerre, une réforme). […] Et comme on ne peut plus les rapprocher davantage pour les fondre, on sent le besoin de les comparer pour essayer de les classer. — La classification peut être tentée par deux procédés. […] Le besoin de s’élever au-dessus de la simple constatation des faits, pour les expliquer par leurs causes, ce besoin constitutif de toutes les sciences, a fini par se faire sentir même dans l’étude de l’histoire.
Ce que fut, après de telles fatigues et de si longues guerres, après des guerres intestines où l’on s’était vu sur un qui-vive perpétuel et où l’on était presque partout à l’état de frontière, — ce que fut enfin le soulagement et la libre respiration des peuples quand on se sentit tout de bon en paix, en sécurité, sans plus avoir à s’occuper même de Picardie surprise et de siège d’Amiens, il faudrait l’avoir éprouvé pour le dire ; c’est du témoignage des contemporains qu’il le faut entendre.
Après une nuit passée, en dépit de la cloche du couvre-feu, dans quelque taverne du voisinage, la tête encore lourde de l’orgie de la veille, ne lui était-il jamais arrivé sur le seuil de se sentir renaître au souffle matinal qui lui arrivait, tout frais, à la figure, de ces champs de blé, de ces vergers et de ces pampres échelonnés le long de la pente qui regardait Gentilly, Fontenay et Meudon !
Ce qui est vrai, c’est que Maurice ne se donnait pas la peine d’avoir de l’esprit dans le sens des courtisans français : il se sentait mal à l’aise, tant qu’il ne fut pas dans les hauts emplois où il pût déployer son génie naturel et oser librement : cela perce dans toute sa correspondance avec son père et avec son frère, avant qu’il se fût donné tout entier à connaître à son pays d’adoption.
Auprès d’un général plus tacticien (un Soult, un Davout) Jomini eût moins réussi ; il eût été en surcroît ; il eût trouvé la position prise et aurait eu à lutter d’idées et de vues ; d’autre part, auprès d’un guerrier moins intelligent, il aurait pu être moins compris et moins écouté : Ney, par son mélange de fougue militaire et souvent de témérité, mais de coup d’œil aussi et d’esprit, pouvait avoir plus d’une fois besoin d’un bon conseil, et il était homme à en sentir aussitôt la valeur, à en profiter.
Corneille l’a bien senti, et il a cherché une compensation à l’insuffisance dramatique de l’action morale par l’énergie dramatique de l’action extérieure.
» À ces mots Turlupin se sentait vaincu et, abaissant son sabre : « — Ah !
Je choisis seulement deux époques, l’une où l’Église est à la fois soutenue par le pouvoir civil et acceptée, comme maîtresse par la majorité de la nation ; ce sera la fin du dix-septième siècle ; l’autre où l’Église a encore pour elle l’autorité séculière, mais où elle sent son ascendant sur les âmes contesté et menacé par la plupart des écrivains ; ce sera le milieu du dix-huitième siècle.
On sent les efforts que fait le poète pour dégager son drame du dithyrambe primitif.
On n’y sent rien, en effet, de cette action vivifiante et féconde qui suppose un foyer véritable.
Comme cette réponse ne venait point, et que l’aide de camp sentait le prix des instants, il insista pour qu’on rappelât au roi qu’il attendait.
J’ai trouvé aussi qu’en cette étude, on ne sentait pas la succession des temps, que les années ne jouaient pas en ces pages le rôle un peu lent qu’elles jouent dans les événements humains ; que les faits, quelquefois arrachés à leur chronologie et toujours groupés par tableaux, se précipitaient, sans donner à l’esprit du lecteur l’idée de ces règnes et de ces dominations de femmes.
Si donc il y a dans l’homme quelque chose qu’on appelle la liberté morale, c’est dans le sujet qu’il faut le chercher, c’est dans le sein de cette cause qui se sent elle-même, tandis qu’elle ne connaît toutes les autres que par leurs manifestations externes.
Il faut savoir regarder, comprendre et sentir pour être un écrivain, mais cela ne suffit pas.
Il ira, cet ignorant dans l’art de bien dire, avec cette locution rude, avec cette phrase qui sent l’étranger, il ira en cette Grèce polie, la mère des philosophes et des orateurs ; et, malgré la résistance du monde, il y établira plus d’églises que Platon n’y a gagné de disciples par cette éloquence qu’on a crue divine.
L’instruction donne à l’homme de la dignité, et l’esclave ne tarde pas à sentir qu’il n’est pas né pour la servitude.
Et, lorsqu’il n’y aura plus de Français en France, naturellement nous nous emparons du pays, — pour rentrer dans nos frais. » Et l’Anglais a persuadé, à force de schellings, aux restaurateurs et aux hôteliers, de réviser leurs cartes constitutionnelles, — et il a été décidé que le besoin d’une hausse sur les petits pois se faisait généralement sentir.
L’homme a besoin d’être aidé à produire ses pensées ; s’il n’a pas la confiance intime d’un appui dans l’opinion ou le sentiment de ses contemporains, il s’effraie de sa solitude ; s’il ne sent pas dans les autres l’influence qu’il se croyait appelé à exercer, le découragement vient le saisir, et il garde un silence qui le dévore : il n’est pas assez assuré dans sa propre conscience parce qu’il est éminemment un être social.