Ces sensations ne sont pas vagues, car l’amputé sent des douleurs ou le fourmillement dans tel ou tel orteil, à la plante ou sur le dos du pied, à la peau, etc. […] Les amputés finissent par s’y habituer ; cependant, dès qu’ils y font attention, ils le voient aussitôt reparaître, et souvent ils sentent d’une manière très distincte leurs orteils, leurs doigts, la plante du pied, la main… Un homme amputé de la cuisse éprouva encore au bout de douze années le même sentiment que s’il eût possédé les orteils et la plante du pied. […] « Au moment de la section des nerfs dans une amputation, dit Mueller, les douleurs les plus vives se font sentir en apparence dans les parties qu’on retranche et auxquelles se rendent les nerfs que coupe l’instrument. […] « Si la barbe, dit Weber, est touchée légèrement en un point, par exemple sur le côté de la joue, où croyons-nous sentir cette pression exercée sur les poils de notre peau ? Ce n’est pas dans les parties sensibles auxquelles elle se propage à travers les cônes cornés et où elle agit sur nos nerfs, mais bien à quelque distance de notre peau… Si nous mettons un petit bâton de bois entre nos dents et que nous le tâtions avec elles, nous croyons le sentir entre nos dents ; c’est bien à la superficie des dents, où pourtant nous n’avons pas de nerfs et où partant nous ne pouvons rien sentir, que nous pensons sentir la résistance qu’il nous oppose.
En second lieu, c’est un débouché : on n’y a pas la musique comme en Allemagne et la conversation comme en France ; et les gens qui ont besoin de penser et de sentir y trouvent un moyen de sentir et de penser. […] Il aime à se représenter des sentiments, à sentir leurs attaches, leurs précédents, leurs suites, et il se donne ce plaisir. […] Il faut lire la scène pour sentir ce que ce calme et cette amertume témoignent de supériorité et de passion. […] Celui qui l’ignore ignore la vie ; celui qui n’en a pas joui n’a pas senti la plus haute faculté de l’âme. […] “Here, may it please your Majesty,” says he, “is the Patent of Marquis sent over by your Royal Father at St.
Il tenait de son père pour la constitution physique ; mais, comme tant d’hommes célèbres, pour le dedans et la manière de sentir, il tenait étroitement de sa mère. […] Il croyait que la Restauration pouvait et devait être l’incarnation politique et civile du Christianisme ; l’instrument bourbonien lui paraissait nécessaire à son idée, bien qu’il le sentît rebelle ; simple erreur de moyen et de circonstance ! […] Cette manière de consacrer l’homme par l’idée, et de l’ériger en représentant mystérieux, va mieux, on le sent, aux personnages lointains qu’à des individus qu’on peut coudoyer. […] Le plan, dès lors arrêté, de sa Palingénésie consista en trois poëmes ou épopées : 1° il résolut de faire pénétrer le génie historique, tel qu’il le sentait, dans la région qui précède l’histoire. […] Ballanche vit plus d’une fois, bien que rarement, Fabre d’Olivet dont les idées l’attiraient assez, s’il ne les avait senties toujours retranchées derrière une science peu vérifiable et gardées par une morgue qui ne livre jamais son dernier mot.
Toute sa vie il sentit le besoin de l’amitié, d’une communication expansive, active, et de chaque instant : il lui fallait verser sa pensée et en trouver l’écho autour de lui. […] A deux heures, je me sentais si calme et l’esprit si à mon aise, au lieu de l’ennui qui m’oppressait ce matin, que j’ai voulu me promener et herboriser. […] Ampère, en même temps qu’il sentait la vie lui revenir encore, dut avoir, en cette saison, de pures jouissances. […] Autrement, s’ils s’aperçoivent qu’il hésite et croit dépendre, ils se sentent supérieurs à leur tour à lui par un point commode, et ils prennent vite leur revanche et leurs licences. […] Cousin chez M. de Biran était au moins sentie et comblée, plutôt deux fois qu’une.
« L’idée de mon désert de Vaucluse est revenue à moi avec tous ses charmes ; en me représentant ces collines, ces fontaines, ces bois si favorables à mes études, j’ai senti dans le fond de l’âme une douceur que je ne saurais rendre. […] J’ai senti d’abord qu’on ne faisait qu’exécuter vos ordres, et je me suis félicité de vous être si cher. […] « De cette même main que je désirai tant tenir dans les miennes elle m’essuie les yeux, et le son de sa voix, et ses douces exhortations m’apportent des douceurs à l’âme qu’aucun homme mortel n’a jamais senties ! […] Sa fièvre d’automne était devenue presque continue, mais il jouissait de se sentir consumer et devenir flamme. […] Leur génie, c’est leur sensibilité ; il leur a suffi de sentir profondément, d’aimer divinement pour devenir des puissances de sentiment ; un clin d’œil a fait leur destinée.
On y sentait le vide des temps disparus. […] C’est là que Médor fut promptement rétabli par les soins de la jeune fille ; mais, en moins de temps encore, elle sentit qu’elle avait au cœur une blessure plus profonde que celle qu’elle venait de guérir. […] De jour en jour, la beauté de Médor fleurit ; de jour en jour, la malheureuse sent la sienne se flétrir, comme une neige tombée après la saison, que les rayons du soleil fondent dans un lieu sauvage. […] Ce fut le coup de hache qui trancha sa raison avec son espoir ; cette couche, cette cabane de berger, ce vallon, lui deviennent si odieux que, sans attendre ni le lever de la lune ni celui de l’aube, il prend ses armes, il remonte sur son cheval, il s’enfonce dans le plus épais du bois, et, quand il se sent enfin seul, il répand en cris et en hurlements sa douleur ! […] Argie sentit le plus ardent désir de posséder un petit chien si charmant, et envoya sa nourrice pour parler au pèlerin, auquel elle fit offrir un prix considérable.
Je me sentis délivré des liens de la pesanteur, et je retrouvai par le souvenir l’extraordinaire volupté qui circule dans les lieux hauts. […] Avec son sens supérieur, sa conscience clairvoyante et tout son savoir il ne voulait être rien autre chose que pleinement et complètement un homme, un homme capable de sentir et d’éveiller des impressions chaleureuses. […] Si plus que nul autre, Wagner avait senti ce qu’il y a de tragique dans la situation de Lohengrin, tous les artistes de génie, qui vivent et ont vécu dans une société aussi peu naïve que la nôtre, en ont souffert plus ou moins. […] Eh bien, tout le monde sait qu’après un long développement purement intellectuel, pendant lequel l’homme a travaillé sans relâche à se construire un monde artificiel, il a fini par en sentir la sécheresse et la fausseté. […] Beethoven choisit, pour son drame, uniquement, ces deux motifs principaux qui, plus précisément que toute représentation par des concepts définis, nous fait sentir l’essence intérieure de ces deux caractères.
Les imbéciles ne sentent pas s’ennuyer. […] Je suis étranger à ce qui vient, à ce qui est, comme à ces boulevards nouveaux sans tournant, sans aventures de perspective, implacables de ligne droite, qui ne sentent plus le monde de Balzac, qui font penser à quelque Babylone américaine de l’avenir. […] Nous nous raidissons, et nous suivons avec ses internes, Velpeau ; mais nous nous sentons les jambes, comme si nous étions ivres, avec un sentiment de la rotule dans les genoux, et comme du froid dans la moelle des tibias. […] Oui, c’est étrange, je le répète, nous qui avons horreur de la souffrance, des excitations cruelles, nous nous sentons plus qu’à l’ordinaire en veine d’amour. […] lorsqu’on est empoigné de cette façon, lorsqu’on sent ce dramatique vous remuer ainsi dans la tête, et les matériaux de votre œuvre vous faire si frissonnant, combien le petit succès du jour vous est inférieur, et comme ce n’est pas à cela que vous visez, mais bien à réaliser ce que vous avez perçu avec l’âme et les yeux !
Je sentis comme si une main pesante m’avait précipité hors de mon lit par la force d’une impulsion physique. […] On croit y sentir, dans l’amour et dans le respect de l’homme pour tout ce qui a vie et sentiment, quelque chose de la charité de Dieu lui-même pour sa création animée ou inanimée. […] J’admirai, j’adorai cette parenté universelle des êtres, cette fraternité de la vie entre tout ce qui respire, entre tout ce qui sent, entre tout ce qui aime ici-bas dans la mesure de son intelligence et de sa destinée. […] Un des combattants, le héros Arjoùn, à l’aspect de ses parents, de ses amis, de ses compatriotes, qu’il faut frapper dans cette guerre civile, sent défaillir en lui son cœur, et préfère recevoir la mort au malheur de la donner. […] N’y sent-on pas, au contraire, ou la sagesse d’un âge déjà très-avancé en foi et en vertu, ou le reflet encore tiède et lumineux d’une révélation primitive mal effacée de la mémoire des hommes ?
Un paysagiste est « non pas un copiste, mais un interprète ; non pas un habile diseur qui décrit de point en point et qui raconte tout au long, mais un véritable poète qui sent, qui concentre, qui résume et qui chante ». […] Et revenant aux peintres flamands, il s’attache à montrer que leur faire n’est pas, comme on l’a dit, toute réalité, mais bien plutôt tout expression ; que ce faire est « plus fin, plus accentué, plus figuré, plus poétique qu’aucun autre, et si éloigné d’être servilement imitatif de la nature, que c’est par lui au contraire que nous apprenons à voir, à sentir, à goûter dans une nature, d’ailleurs souvent ingrate, ce même charme que respirent les églogues de Théocrite et de Virgile ». […] Renoncer au monde, si l’on prend le précepte dans son esprit, c’est faire en toutes choses une part à la vie et une part à la mort, et cela jusqu’au dernier soupir. » — Dans la première partie de son explication, Töpffer n’a pas assez senti, je le crains, tout le mystère de la vie cachée, de la vie des antiques ermites et des Pères du désert ; mais il est impossible de mieux faire la part de l’homme de la société et du père de famille mourant. […] [NdA] Byron au reste, dans son séjour en Suisse (1816), a senti et pratiqué les Alpes bien autrement que Chateaubriand qui ne les avait vues d’abord qu’en passant (1805), et qui semble les avoir traitées, et le Mont-Blanc lui-même, du haut de sa grandeur. — Je conseille aux amateurs de lire Les Alpes Suisses, par M.
Jusqu’ici, en parlant des universités de la Péninsule, Vicq d’Azyr n’avait en vue que de loin l’université de Paris, bien autrement pratique et avancée pour la branche médicale ; mais il y songeait manifestement et il y faisait une allusion qui devait être sentie de tous, lorsqu’il ajoutait : Semblable aux vieillards qui racontent avec enthousiasme ce qu’ils ont vu dans leur jeunesse et qui refusent d’apprendre ce que les modernes ont découvert, la plupart des anciens corps enseignants prodiguent des éloges aux âges qui les ont précédés, et se traînent péniblement après le leur. […] Les nombreux éloges de Vicq d’Azyr ne portent pas tous sur des sujets importants ni sur des hommes supérieurs ; mais dans tous, même dans les plus tempérés, on sent des parties vives, l’art de connaître et de faire aimer les hommes. Il y a bien des années que, lisant de suite ce recueil des notices historiques de Vicq d’Azyr, simple étudiant alors et en chemin d’être médecin moi-même, mais hésitant encore entre plusieurs velléités ou vocations, il m’a été donné d’en saisir le doux intérêt et le charme ; en passant de l’un à l’autre de ces personnages, je sentais varier mes propres désirs ; chacun d’eux me disait quelque chose ; l’idée dominante que l’auteur avait en vue et qu’il exprimait dans la vie de chacun de ces savants m’apparaissait tour à tour et venait me tenter, même lorsque cette idée dominante n’était que des plus modestes : car il y a cela de particulier dans la touche de Vicq d’Azyr, qu’une sorte de sympathie y respire et que le coloris léger n’y dérobe jamais le fonds humain. […] Ici le mauvais goût, la veine attendrie se fait trop sentir.
Thiers fait bien sentir toute l’importance politique d’une lutte en apparence si ingrate, et les conséquences quelle renfermait. […] Celui-ci commençait à sentir vivement les inconvénients et les impossibilités de sa position en Espagne ; il avait écrit une lettre à la reine Julie, alors à Paris, dans laquelle il parlait d’abdiquer, de se retirer en simple particulier à Morfontaine : Il est bon que vous alliez près de lui, disait Napoléon à Rœderer (mars 1809) ; il continue à faire des choses qui mécontentent l’armée, il fait juger par des commissions espagnoles les Espagnols qui tuent mes soldats. […] Masséna, par exemple, hésitait fort à s’engager dans cette expédition de Portugal ; il sentait qu’il n’avait pas assez de forces, et que les Anglais en avaient plus qu’on n’en accusait. […] On aimerait à le sentir plus au vif chez l’historien.
Il commença par Chapelain et par sa Pucelle ; mais La Pucelle et Chapelain lui produisirent l’effet qu’ils ont toujours produit ; ils l’ennuyèrent et allaient le dégoûter de poursuivre de ce côté, lorsqu’il ouvrit un autre volume de poésies de ce temps-là, les œuvres de Saint-Amant, et il se sentit au contraire amorcé, affriandé. […] C’est de vive voix et dans le plus particulier détail qu’il faudrait faire sentir ces choses ; mais indiquons du moins en quelques mots le sens de la critique, telle qu’on peut l’appliquer à ces pièces légères : Oh ! […] C’est l’élément des bons esprits ; C’est par elle que j’ai compris L’art d’Apollon sans nulle étude… On sent dans tout cela l’harmonie, la facilité, mais aussi, comme il l’indique, un certain échauffement de tête et de fantaisie. […] Il reconnaît si bien Regnier comme son parent et son auteur, qu’étant allé en Pologne, où il s’était bien trouvé de boire à la polonaise, tandis que Desportes, oncle de Regnier, qui y était allé en son temps à la suite de Henri III, s’en était fort repenti, il dit qu’il n’y a rien là d’étonnant : C’était un mignon de cour Qui ne respirait qu’amour : Il sentait le musc et l’ambre, On le voit bien à ses vers ; Et jamais soif en sa chambre Ne mit bouteille à l’envers.
Il s’agissait de comprendre un des termes mythologiques obscurs de cette pièce alexandrine, pour nous fort peu agréable, fort peu catullienne, et qui sent plutôt son Lycophron. […] Il est bon quelquefois aux hommes de science de se sentir en présence d’un public moins sérieux, moins solide, et qui, par sa plus grande indifférence du fond, oblige les écrivains à s’évertuer. […] On a voulu m’engager à répondre, mais je n’ai jamais fait attention à ces glapissements de la meute journaliste… On sent à ces derniers mots la hauteur de dédain propre à Schlegel. […] Ce que l’homme d’État hollandais rendu à la retraite se plaisait à se dire dans une promenade aux environs de Leyde ou de La Haye, Guillaume Favre le sentait à plus forte raison, lui possesseur et connaisseur plus fin, en vue de son Léman et dans l’exercice délicieux de sa faculté curieuse à travers les domaines de l’histoire.
Aussi cette Correspondance nous rend-elle le plus sincère et le plus véridique témoignage de ses mœurs, de ses habitudes d’esprit, de sa manière d’être et de sentir. […] Buffon n’ira jamais beaucoup plus à fond, et il négligera le menu ; s’il sait et si, par hasard, il cite un jour une épigramme de Piron contre le petit Poinsinet, c’est que Piron est de Dijon et que l’épigramme sent la moutarde. […] Buffon lui accorde le génie créateur qui tire tout de sa propre substance : « Il n’existera jamais, lui dit-il, de Voltaire second » ; c’était une réplique au compliment de Voltaire qui avait appelé Archimède de Syracuse Archimède premier, pour donner à entendre que Buffon était Archimède second ; et faisant ainsi à son rival de Ferney les honneurs du génie, Buffon ne se réserve pour lui que le talent, lequel, si grand qu’il soit, dit-il, « ne peut produire que par imitation et d’après la matière. » Cette lettre à Voltaire, comme plus tard celles qui seront adressées à l’impératrice Catherine, passe la mesure ; Buffon y est deux fois solennel ; il y fait de la double et triple hyperbole, et l’homme qui, à son époque, avait le plus de sens et de jugement, nous fait sentir par là que ces qualités solides d’une éminente intelligence ne sont pas du tout la même chose que le tact et le goût. […] Buffon, dès l’entrée, ordonnateur par vocation, reconstructeur auguste de la nature, sent le besoin d’agir en grand, de commander à des masses de faits ; mais tous les faits n’étaient pas prêts, tant s’en faut !
Cet homme que j’ai tant lu et (je puis dire) tant connu autrefois à force de le lire, je viens de l’approcher de nouveau, je viens de l’entendre ; la Correspondance qu’on publie me l’a rendu au complet, vivant, parlant, dans ses jets et ses éclairs, dans ses éruptions et ses effusions de chaque jour, et je me suis senti de nouveau sous le charme, sous l’ascendant. […] De Maistre le sent presque comme ferait un patricien de vieille race moscovite, et il a de ces mots qui ne sont qu’à lui pour le caractériser, ne fut-ce que par contraste : « Qu’est-ce que Pétersbourg en comparaison de Moscou ? […] Il sent bien tout le premier, et il se le dit assez souvent, que les temps sont changés ; il s’avertit de ne pas faire le prophète, de se contenter de dire : Nous verrons : « Depuis vingt ans, je vois les empires tomber les uns sur les autres sans se douter seulement de ce qu’il faudrait faire pour se sauver. […] Homme d’esprit et de plume, il sent très bien les jets vifs, hardis, étincelants, les tons vibrants et insolents de celui auquel il a la prétention de se rattacher et qu’il imite ou parodie seulement par ses excès.
Bayle lui-même, le Voltaire anticipé du genre, l’esprit le plus émancipé du calvinisme, n’a rien qui sente le Français de pure race, du milieu et du cœur de la France. […] Je les définis, au xviiie siècle, toute une tribu intellectuelle, née de Calvin, restée très morigénée en s’émancipant, très philosophisée d’ailleurs et sécularisée, où Bayle est entré, où Fontenelle a passé, mais où, même avec la liberté de penser acquise, il se sent beaucoup de circonspection, de réserve, et une sorte de contrainte. […] Il lui arrive de s’élever, mais il a de la peine à se soutenir ; il a le vol court, et ses poésies sentent l’effort et le travail ; on s’aperçoit que la recherche du beau, d’un certain éclat, en fait le grand ressort : de là viennent les bons mots où il lui arrive si souvent de s’échapper, aussi bien que toutes ces malignités hors d’œuvre, ces traits qui divertissent le lecteur, mais qui ne font pas honneur au poète. Ils font sentir que le tout n’est qu’un jeu, que le poète n’a d’autre vue que de s’égayer et de remporter l’approbation du public, du grand nombre qui prend goût à ces malignités.
« Je sentis parfaitement son peu d’empressement, et combien peu j’étais affectionnée. […] Sa mère quitte la Russie après la célébration du mariage : quoiqu’elle ait bien peu à se louer de cette mère tracassière et mesquine, Catherine nous dit « que son départ l’affligea sincèrement, et qu’elle pleura beaucoup. » Elle pleure de même son père dont elle apprend la mort (1746), jusqu’à ce qu’elle soit obligée, au bout de huit jours, de cacher ses larmes, l’Impératrice lui ayant signifié par ordre « d’en finir, et que son père, pour le tant pleurer, n’était pas un roi. » Elle nous dit que, cette même année, à l’entrée du grand carême, elle se sentait des dispositions réelles à la dévotion, dont la politique seule lui eût conseillé les minutieuses pratiques. […] Mais il y a ici plus d’une nuance qu’il faut savoir indiquer, et que Catherine nous fait sentir avec une intention et une malice toute féminine. […] Un jour, le général Liéven, la voyant passer à travers un salon, disait à son voisin Poniatowsky : « Voilà une femme pour laquelle un honnête homme pourrait souffrir quelques coups de knout sans regret. » Ce général parlait et sentait comme le poëte : Rien que pour toucher sa mantille, De par tous les saints de Castille, On se ferait rompre les os.
C’est ce lien des esprits et de toutes les Muses qu’il sentait si bien, et dont il eut la satisfaction d’exprimer plus d’une fois la douceur quand il fut devenu l’organe aimable et sympathique de son Académie. […] On sent un juge né pour l’autorité. […] Desnoyers, assis sur un banc de charmille, va lui-même raconter sa vie : c’est la un cadre par trop riant pour un artiste aussi appliqué et aussi sévère que doit l’être un graveur en taille-douce : cela sent trop le conte à la Marmontel ou l’idylle à la Florian. […] si l’on est d’un art particulier, tout en restant le confrère et l’ami des artistes, savoir s’élever cependant peu à peu jusqu’à devenir un juge ; si l’on a commencé, au contraire, par être un théoricien pur, un critique, un esthéticien, comme ils disent là-bas, de l’autre côté du Rhin, et si l’on n’est l’homme d’aucun art en particulier, arriver pourtant à comprendre tous les arts dont on est devenu l’organe, non-seulement dans leur lien et leur ensemble, mais de près, un à un, les toucher, les manier jusque dans leurs procédés et leurs moyens, les pratiquer même, en amateur du moins, tellement qu’on semble ensuite par l’intelligence et la sympathie un vrai confrère ; en un mot, conquérir l’autorité sur ses égaux, si l’on a commencé par être confrère et camarade ; ou bien justifier cette autorité, si l’on vient de loin, en montrant bientôt dans le juge un connaisseur initié et familier ; — tout en restant l’homme de la tradition et des grands principes posés dans les œuvres premières des maîtres immortels, tenir compte des changements de mœurs et d’habitudes sociales qui influent profondément sur les formes de l’art lui-même ; unir l’élévation et la souplesse ; avoir en soi la haute mesure et le type toujours présent du grand et du beau, sans prétendre l’immobiliser ; graduer la bienveillance dans l’éloge ; ne pas surfaire, ne jamais laisser indécise la portée vraie et la juste limite des talents ; ne pas seulement écouter et suivre son Académie, la devancer quelquefois (ceci est plus délicat, mais les artistes arrivés aux honneurs académiques et au sommet de leurs vœux, tout occupés qu’ils sont d’ailleurs, et penchés tout le long du jour sur leur toile ou autour de leur marbre, ont besoin parfois d’être avertis) ; être donc l’un des premiers à sentir venir l’air du dehors ; deviner l’innovation féconde, celle qui sera demain le fait avoué et’reconnu ; ne pas chercher à lui complaire avant le temps et avant l’épreuve, mais se bien garder, du haut du pupitre, de lui lancer annuellement l’anathème ; ne pas adorer l’antique jusqu’à repousser le moderne ; admettre ce dernier dans toutes ses variétés, si elles ont leur raison d’être et leur motif légitime ; se tenir dans un rapport continuel avec le vivant, qui monte, s’agite et se renouvelle sans cesse en regard des augustes, mais un peu froides images ; et sans faire fléchir le haut style ni abaisser les colonnes du temple, savoir reconnaître, goûter, nommer au besoin en public tout ce qui est dans le vestibule ou sur les degrés, les genres même et les hommes que l’Académie n’adoptera peut-être jamais pour siens, mais qu’elle n’a pas le droit d’ignorer et qu’elle peut même encourager utilement ou surveiller au dehors ; enfin, si l’on part invariablement des grands dieux, de Phidias et d’Apelle et de Beethoven, ne jamais s’arrêter et s’enchaîner à ce qui y ressemble le moins, qui est le faux noble et le convenu, et savoir atteindre, s’il le faut, sans croire descendre, jusqu’aux genres et aux talents les plus légers et les plus contemporains, pourvu qu’ils soient vrais et qu’un souffle sincère les anime.
On se mit donc à l’œuvre avec émulation et zèle ; l’honneur de l’Imprimerie Impériale était en jeu ; chacun le sentait ; chacun, dans cette sphère laborieuse où le ressort est intact comme dans une armée, fit son devoir à l’envi, depuis le chef des travaux typographiques jusqu’au dernier pressier, et l’on arriva à temps sans que l’œuvre produite accusât en rien la précipitation et sans qu’elle éveillât chez les connaisseurs en telle matière d’autre sentiment que celui d’une approbation sans réserve pour une exécution si parfaite. […] Les Évangélistes, pas plus que le grand apôtre saint Paul, ne sont le moins du monde des écrivains parfaits, précis, observant la liaison des idées et soucieux de ce qu’on peut appeler la clarté littéraire ; prenons-les tels quels, comme Jésus les a pris ; je ne m’attache qu’au souffle général dans ces paroles plus ou moins complètement recueillies : qui pourrait, en les lisant, ne pas le sentir circuler à travers ? […] ne sentez-vous pas la réalité, la personnalité vivante, vibrante, saignante et compatissante qui, indépendamment de ce que la croyance et l’enthousiasme ont pu y mêler en surplus, existe et palpite sous de telles paroles ? […] Un homme estimable et savant, qui a récemment travaillé sur les Évangiles, et qui n’a porté dans cet examen, quoi qu’on en ait dit, aucune idée maligne de négation, aucune arrière-pensée de destruction, qui les a étudiés de bonne foi, d’une manière que je n’ai pas qualité pour juger, mais certainement avec « une science amoureuse de la vérité », a qualifié heureusement en ces termes la mission et le caractère de Jésus, de la personne unique en qui s’est accomplie la conciliation la plus harmonieuse de l’humanité avec Dieu : « Celui qui a dit : Soyez parfaits comme Dieu, et qui l’a dit non pas comme le résultat abstrait d’une recherche métaphysique, mais comme l’expression pure et simple de son état intérieur, comme la leçon que donnent le soleil et la pluie : celui qui a parlé de la sainteté supérieure qu’il exigeait des siens comme d’un “fardeau doux et léger” ; celui qui, révélant à nos yeux une pureté sans tache, a dit que “par elle on voyait Dieu…”, celui qui, enfin, renonçant à la perspective du trône du monde, a senti qu’il y avait plus de bonheur à souffrir en faisant la volonté de Dieu qu’à jouir en s’en séparant… celui-là, c’est Jésus de Nazareth. » Lui seul, et pas un autre au monde42 !
Ses vœux, au reste, sont bien lointains encore, et ils sentent le regret plus que l’espérance. […] Elle est si froidement douce, si mortellement belle, qu’on se sent tressaillir ; car l’âme ici est absente. […] About n’a senti et n’a décrit le caractère et le genre de beauté des paysages, l’éclat et la transparence du ciel de l’Attique à de certaines heures, la maigreur élégante de cette plaine, opposée à la terre riche et grasse, aux fertiles glèbes d’Argos ou de Thèbes. […] Grenier ne s’est pas laissé séduire à la magie des noms : il ne se laisse pas non plus décourager par les mécomptes et l’ironie des événements, Il nous fait bien sentir en quoi consiste la difficulté de tout gouvernement en Grèce.
Son ami Rollin sentait de même ; M. […] Nullement insensible ni indifférent à ses succès d’esprit en haut lieu, dès qu’il s’était senti souffrant ou affaibli dans ses organes, il avait pris bravement son parti et avait quitté Versailles pour n’y plus remettre les pieds. […] Ce n’est plus la question classique ou romantique, si vous le voulez ; il s’agit de bien autre chose que d’une cocarde, que des coupes et des unités, — des formes et des couleurs — il s’agit du fond même et de la substance de nos jugements, des dispositions et des principes habituels en vertu desquels on sent et l’on est affecté. […] Il ne lui déplaît pas de sentir qu’elle entre pour sa part dans une création.
Jean Racine, le grand poëte, Le poëte aimant et pieux, Après que sa lyre muette Se fut voilée à tous les yeux, Renonçant à la gloire humaine, S’il sentait en son âme pleine Le flot contenu murmurer, Ne savait que fondre en prière, Pencher l’urne dans la poussière Aux pieds du Seigneur, et pleurer. Comme un cœur pur de jeune fille Qui coule et déborde en secret, A chaque peine de famille, Au moindre bonheur, il pleurait ; A voir pleurer sa fille aînée ; A voir sa table couronnée D’enfants, et lui-même au déclin ; A sentir les inquiétudes De père, tout causant d’études, Les soirs d’hiver, avec Rollin ; Ou si dans la sainte patrie, Berceau de ses rêves touchants, Il s’égarait par la prairie Au fond de Port-Royal-des-Champs ; S’il revoyait du cloître austère Les longs murs, l’étang solitaire, Il pleurait comme un exilé ; Pour lui, pleurer avait des charmes. […] si, les yeux mouillés encore, Ressaisissant son luth dormant, Il n’a pas dit, à voix sonore, Ce qu’il sentait en ce moment ; S’il n’a pas raconté, poëte, Son âme pudique et discrète, Son holocauste et ses combats, Le Maître qui tient la balance N’a compris que mieux son silence : Ô mortels, ne le blâmez pas ! […] Qu’importent ces chants qu’on exhale, Ces harpes autour du saint lieu ; Que notre voix soit la cymbale Marchant devant l’arche de Dieu ; Si l’âme, trop tôt consolée, Comme une veuve non voilée Dissipe ce qu’il faut sentir ; Si le coupable prend le change, Et tout ce qu’il paye en louange, S’il le retranche au repentir ?
Or ces facultés résident en lui d’une façon stable ; par elles, il sent, il se souvient, il perçoit, il conçoit, il combine des images et des idées, il est donc une cause efficiente et productrice. » — On arrive ainsi à considérer le moi comme un sujet ou substance ayant pour qualités distinctives certaines facultés, et, au-dessous de nos événements, on pose deux sortes d’êtres explicatifs, d’abord les puissances ou facultés qui les éprouvent ou les produisent, en suite le sujet, substance ou âme qui possède les facultés162. […] À tout autre moment, la tranche est analogue ; il n’est donc rien d’autre ni de plus Que maintenant on classe ces divers événements, sensations, images, idées, résolutions ; qu’à chaque classe on impose un nom, sensibilité, imagination, entendement, volonté ; qu’on attribue au moi divers pouvoirs, celui de sentir, celui d’imaginer, celui de penser, celui de vouloir ; cela est permis et utile. Mais on doit ne jamais oublier ce que l’on met sous des mots pareils ; on veut dire simplement que cet être sent, imagine, pense, veut, et que, si les choses restent les mêmes, il sentira, imaginera, pensera, voudra.
En me retournant, je fus surpris de voir le duc de Laforce en habit de garde national, la baïonnette au bout du fusil, marcher résolument et plein d’enthousiasme patriotique derrière mon cheval ; cela me frappa : je sentis qu’un pays où l’élite de la jeunesse opulente se dévouait ainsi par l’énergie du sang pour sauver l’ordre au risque de sa vie ne périrait jamais. […] IV Une autre aile du château était occupée par une chapelle vaste, décorée, desservie par des aumôniers, et dont on sentait que le duc faisait ou comptait faire la pièce principale de son palais. […] Son nez est court ; ses narines, bien accentuées et frémissantes, respirent la bravoure martiale des petits-fils des héros ; sa bouche, parfaitement modelée, a l’élégance et les contours d’une bouche de femme ; on n’y sent rien de l’enthousiasme révolutionnaire que l’abbé Sieyès lui avait inspiré. […] M. de Montmorency seul se montra impassible et crut devoir, par charité chrétienne, déguiser sa peine en feignant de ne pas sentir l’amertume que lui inspirait la conduite de M. de Chateaubriand.
Nous sentons bien que quelque chose vient de finir : et par là nous pouvons en quelque mesure distinguer ce qui commence. […] Un moment est venu où les meilleurs parmi les jeunes naturalistes ont senti le besoin de s’affranchir : ils ont pris le premier prétexte de lâcher le maître951 . […] Au fond, je crois sentir en lui certaines directions d’esprit très précises, certaines tendances morales très nettes : c’est un Français, et un Beauceron, de ferme sens, amoureux de clarté, de vérité, défiant de tout ce qui est trouble, lointain, hors de prise et de portée, de l’exotisme et du symbolisme, très positif, en somme, en même temps que très artiste. […] Une forte, fine psychologie, vécue et sentie, non livresque et scénique, d’où l’émotion sortait d’elle-même sans violences et sans ficelles, voilà le mérite éminent des trois œuvres principales976 qu’il a écrites, où par surcroît il a mis toutes les grâces de son esprit et sa forme exquise de style : Révoltée, d’abord, où des parties supérieures semblaient réaliser soudain le théâtre qu’on cherchait, expression intense et simple de la vie intérieure : le Député Leveau (1891), étude vraie encore, peut-être plus facile et plus grosse ; le Mariage blanc (1891), hypothèse psychologique d’une infinie délicatesse et d’une profondeur morale qui ont été méconnues.
Sa principale matière, c’est l’homme dans la société : il est plein de ces remarques que l’on sent bien venir d’une femme, qu’elle a dû faire dans quelque salon, au courant d’une causerie. […] Quand on aime, on se sent moins d’esprit ; quand on est aimé, on en a davantage. […] Je sais bien qu’il y a d’autres éléments encore dans le talent de Mme Sarah Bernhardt ; mais ce n’est point le talent que j’ai voulu expliquer, c’est l’attrait, et je n’en parle, bien entendu, que pour ceux qui le sentent. […] Le charme est aussi dans le timbre ; on sent que ce métal est vivant, qu’une âme vibre dans ces sonorités unies comme de longues vagues.
Plus on est amusé par ces échappées de verve, et moins on se sent capable de résumer, d’expliquer, de ramener à un semblant d’unité les sentiments littéraires de M. […] Weiss nous déclare qu’il se sent « peu de penchant pour elles » Il semblait entendu, établi par une infinité de professeurs et de critiques qu’Esther était une fort belle élégie, mais un drame assez faible : M. […] A chaque instant on sent qu’il n’a pas toujours fait de la critique et qu’il ne se croyait pas né spécialement pour en faire. […] Ce lettré accompli ferait volontiers, on le sent, autre chose que de la littérature.
En lisant ces descriptions, comme on sent bien le dégoût que Rabelais dut éprouver de cette ignoble vie quand il était cordelier ! […] Ne sentez-vous pas déjà comme le bon sens se substitue au faux point d’honneur, et comme ce Rabelais, qui ne fait rien par gloriole et par crânerie, va corriger désormais les derniers des Bayards ? […] Il n’est pas mal de s’y être accoutumé de longue main par l’éducation, et qu’on ait eu à y sentir de bonne heure le poids des choses. […] Cependant il restera toujours en propre à celui-ci l’attrait singulier qui tient à une certaine difficulté vaincue, à une certaine franc-maçonnerie, bachique à la fois et savante, dont on se sent faire partie en l’aimant.
Il sent en lui de l’être et du phénomène, du demeurer et du devenir, du continu et du divers, de l’un et du plusieurs. […] Au-delà d’un certain temps, nous ne savons plus que par autrui que nous avons vécu et senti. […] Il sent en lui tantôt plus, tantôt moins de phénomènes. […] N’est-ce pas, comme nous venons de le voir, quelque chose de mouvant, de flottant, de fluide, quelque chose qui court, et qui se sent en quelque sorte suspendu au-dessus du vide ?