Quand, dans le moyen âge de Rome papale, la belle et infortunée Cinci devint complice de la mort d’un tyran féodal, féroce et incestueux, qui était son père, et quand la juste inflexibilité du pape refusa la grâce d’une coupable, grâce que toute l’Italie demandait à cause de la fatalité, de l’innocence et de la beauté de la victime, un peintre illustre saisit son pinceau et retraça, pendant qu’elle marchait à l’échafaud, la figure angélique et la pâleur livide de la Cinci ; ce portrait rendit à la condamnée une vie immortelle. […] Encore une fois, mon livre est plein de défauts ; mais, malgré ces défauts, c’est de tous les livres historiques publiés en Europe depuis Jean-Jacques Rousseau, dans la fièvre d’engouement qui saisit l’Europe à l’apparition de la Nouvelle Héloïse, c’est celui de tous les livres sérieux qui a été le plus vite et le plus persévéramment dévoré par la curiosité publique depuis son apparition ; c’est celui qu’on a accusé bien à tort d’avoir assez ébranlé les esprits en France et en Europe pour avoir fait une révolution en France et huit ou dix révolutions en Europe. […] Le mouvement l’avait saisi et emporté tout jeune.
II Lorsque André Chénier composait ses divins pastiches d’Homère et de Théocrite, il faisait sans y songer ce que personne n’avait fait avant lui, non pas même les poètes de la Pléiade, qui ne comprenaient qu’à demi la pure antiquité et ne la saisissaient point d’une vue directe. […] Qui ne pleure sur toi, magnanime faiblesse, Esprit qu’un aiguillon divin excite et blesse, Qui t’ignores toi-même et ne peux te saisir, Et, sans borner jamais l’impossible désir, Durant l’humaine nuit qui jamais ne s’achève, N’embrasse l’infini qu’en un sublime rêve ! […] Leconte de Lisle a voulu multiplier les symétries faciles à saisir dans le rythme — et dans les rimes, où la consonne d’appui fait une symétrie de plus.
Il le décompose ; il saisit et définit ses facultés maîtresses, et élimine le reste. […] Nul objet n’a vraiment la forme qu’il lui prête ; Ta muse s’évertue en vain à les saisir. […] Mais c’est justement cette « dernière inconnue » que nous voudrions saisir.
James Ward remarque avec raison que nous appelons souvent vivacité de souvenir, intensité de souvenir, le caractère distinct et complet des souvenirs ; or ce caractère distinct et complet tient à la qualité et aux rapports plus ou moins nombreux que nous saisissons, bien plus qu’à l’intensité proprement dite. […] Ribot, les facultés affectives s’éteignent bien plus lentement que les facultés intellectuelles72. » C’est qu’elles sont ce qu’il y a en nous de plus profond et de plus intime ; les états affectifs ont beau être vagues et indescriptibles pour l’intelligence, ils sont le fond dont l’intelligence réfléchie ne saisit que la forme. […] Quand un de ceux-ci désirait l’entretenir sur un sujet, le gentleman l’écoutait d’abord sans rien saisir des paroles, sauf le son.
Tandis que, délaissant la théorie du « Devenir » de Darwin (mais, sans doute, adéquatement à la hideuse morale pratique, n’arriveraient-ils qu’à l’erronée interprétation de Spencer), ils paraissent surtout séduits par l’idéalisme de Hégel, son éternel-devenir de Dieu, — pour ce qu’il n’est qu’un mode du panthéisme dont toute notre poésie se trouve imprégnée, en vague-à-l’âme… Or, des poètes qui eurent ainsi de tardives velléités de se rénover, des poètes nouveaux qui eurent la sensation d’être à de plus essentiels travaux, occultement astreints, nous n’avons saisi même le rêve stérile d’une personnelle destination de l’homme aux lois du monde : mais, au hasard des philosophies spiritualistes dont ils parurent s’inspirer, ni une œuvre, ni des livres en suite logique de poèmes. […] Mais, d’autre part, de notre vers de douze pieds, naturel de tenir sa survie d’être le même ou d’avoir ses équivalents en les métriques des langues les plus lointaines, — les poètes ont démontré que la loi mathématique n’est pas par eux saisie entièrement. […] Que l’on admette selon les grammaires usuelles, que les lettres-consonnes n’aient point de son par elles-mêmes, ou que l’on veuille entendre selon moi qu’elles représentent une sorte de préparation à valeur primitive, des organes de la voix saisis par l’instinct et la sensation pour parvenir à l’articulation pure des voyelles, — et qu’elles soient donc inséparables d’elles pour ce que, elles aussi, à degrés moindres, sonnent ou consonnent en devenir de timbres-vocaux : il sied de leur reconnaître, stridantes, explosives, martelantes, percutantes, pénétrantes et stridentes, des qualités spéciales de « Bruits ».
Des personnages de son théâtre, aux héros de la Légende des Siècles aux femmes et aux enfants qui traversent certains poèmes, tous sont ainsi peints au décuple, saisis une première fois d’un coup, repris, traités à nouveau, enclos de mille contours semblables et déviants, obsédés et retouchés par une main sans cesse retraçante. […] La subite volte-face d’Hernani récompensé et gracié, Torquemada entrant en scène sur les dernières suppliques de Ben-Habib, l’incendie de la Tourgue égayant les enfants qu’il va tuer, Marie Tudor et Jane ne sachant si c’est l’amant de l’une ou de l’autre que l’on exécute, Marius défaillant entre le désir de sauver Valjean et la terreur de perdre Thénardier, la tempête sous un crâne, la Sachette reconnaissant sa fille en celle qu’elle a maudite, Ceubin saisi par la pieuvre et Triboulet tenant l’échelle à l’enlèvement de sa fille, quelle liste de contrastes, d’hésitations, d’alternatives et de déchirements d’âmes, d’antithèses fragmentaires qui amplifiées et soutenues deviennent la contexture même de toute œuvre. […] Myriel et, peu après, devient le plus angélique des hommes vertueux ; l’inexorable Javert est saisi en un moment de scrupules miséricordieux qui le font se suicider.
Soit que l’imitation, en multipliant en quelque sorte les événemens et les objets, satisfasse en partie la curiosité humaine ; soit qu’en excitant les passions, elle tire l’homme de cet ennui qui le saisit toujours, dès qu’il est trop à lui-même ; soit qu’elle inspire de l’admiration pour celui qui imite ; soit qu’elle occupe agréablement par la comparaison de l’objet même avec l’image ; soit enfin, comme je le crois, que toutes ces causes se joignent et agissent d’intelligence ; l’esprit humain n’y trouve que trop de charmes, et il s’est fait de tout tems des plaisirs conformes à ce goût qui naît avec lui. […] Le public qui outre tout, et qui n’entre jamais dans aucun détail, croit d’ordinaire que l’ouvrage qui lui plaît le plus dans un genre, est la perfection de ce genre-là, et il ne veut plus rien approuver dans la suite, que sur le modéle de ce qui a saisi une fois son admiration. […] Pour moi je crois indépendamment des exemples, qu’il faut de la méthode dans toutes sortes d’ouvrages ; et l’art doit régler le désordre même de l’ode, de maniére que les pensées ne tendent toutes qu’à une même fin ; et que malgré la variété et la hardiesse des figures qui donnent l’ame et le mouvement, les choses se tiennent toujours par un sens voisin dont l’esprit puisse saisir le rapport sans trop d’étude et de contention.
La psychologie, au contraire, n’a pas seulement du mal à les élaborer, mais aussi à les saisir. […] Elle apprend au sociologue à échapper à l’empire des notions vulgaires, pour tourner son attention vers les faits ; mais elle ne dit pas la manière dont il doit se saisir de ces derniers pour en faire une étude objective. […] C’est seulement ensuite qu’il sera possible de pousser plus loin la recherche, et, par des travaux d’approche progressifs, d’enserrer peu à peu cette réalité fuyante dont l’esprit humain ne pourra jamais, peut-être, se saisir complètement.
Elle ne s’enferme point dans le for inférieur de la conscience pour y saisir l’être humain lui-même, le sujet et la cause des phénomènes psychiques. […] L’observateur des phénomènes physiques, ne pouvant saisir que des apparences, n’a pas d’autre méthode que l’induction pour arriver à en dégager la réalité. […] Elle seule, en effet, voit le fond des choses, le fond de l’être humain, tandis que la science de l’école expérimentale n’en saisit que les manifestations extérieures.
Quand l’homme a saisi une illusion, qu’il l’a admise a priori, il crie : « Papa ! […] D’abord, tu ne me dis pas pourquoi la vie nous incite à lâcher l’illusion alors que nous l’avons saisie. […] Je vais tâcher de vous faire saisir la chose par la déclamation. […] Quoique tu nous aies appris à ne nous étonner de rien, je ne saisis pas la raison de cette métamorphose. […] … Saisissez-vous la majesté de ce début ?
La science l’avait saisi ; elle ne le lâcha plus. […] On saisit là le fond de la pensée de Marivaux, qui était qu’il ne pensait point. […] L’homme qui arrive par les femmes est un caractère saisi sur le vif, qui est particulièrement contemporain de Marivaux ; mais qui est de tous les temps ; et Marivaux en a bien saisi le trait principal, la confiance tranquille et presque béate, le laisser-aller, l’aimable abandon. […] Ce sont des croquis, des crayons rapides d’actualités bien saisies au vol. […] C’est ainsi qu’il le faut prendre pour en saisir toute la portée.
Comment saisir cet insaisissable personnage ? […] Il fut saisi d’une sorte d’admiration et il éprouva en même temps d’invincibles répugnances. […] » et on est saisi de je ne sais quel attendrissement tranquille et doux. […] Son jeune rival, trop heureux de saisir une occasion qu’on lui laissait, s’offrit pour témoin. […] Il écrivit aussi aux Cortès espagnoles une lettre politique qui fut saisie.
Il écarte cette végétation parasite, pour saisir le bois utile et solide. Et quand il l’a saisi, il le traîne si énergiquement devant nous pour nous le faire toucher, il le manie avec des mains si violentes, il le met sous une lumière si âpre, il l’illumine par des contrastes si brutaux d’images extraordinaires, que la contagion nous gagne et que nous atteignons en dépit de nous-mêmes l’intensité de sa croyance et de sa vision. […] Les faits saisis par cette imagination véhémente s’y fondent comme dans une flamme. […] Ils s’en sont servis partout comme d’une méthode, Hegel pour saisir la formule de toute chose, Gœthe pour se donner la vision de toute chose ; ils s’en sont imbus si profondément, qu’ils en ont tiré leurs sentiments intérieurs et habituels, leur morale et leur conduite. […] Nous avons ses paroles, nous pouvons entendre son accent ; nous saisissons autour de chaque action les circonstances qui l’ont fait naître ; nous le voyons sous sa tente, au conseil, avec le paysage, avec sa physionomie, avec son costume ; tout le détail y est, jusqu’aux minuties.
Tout acte, toute scène qui ne redouble pas la terreur ou la pitié dont le spectateur doit être saisi, n’est qu’un allongement inutile de l’action. […] Il faut au poète une grande connaissance du cœur humain, pour saisir le moment où le personnage doit laisser échapper le sentiment dont il est plein. […] Il n’appartient qu’au grand maître de les saisir, et aux connaisseurs de les bien apercevoir. […] La musique donne aux ridicules et aux mœurs un caractère d’inégalité, une finesse d’expression, qui, pour être saisis, exigent un tact prompt et délicat, et des organes très exercés. […] Il est beau pour l’homme de goût, lorsque le musicien a bien saisi, non seulement le principal caractère de la déclamation, mais encore toutes les finesses qu’elle reçoit des intérêts de ceux qui parlent et agissent dans le drame.
On ne saurait se le dissimuler, M. de Vigny, à sa manière et dans sa sphère toute pure et sereine, avait été saisi alors d’un sentiment analogue, d’un accès de cette fièvre sociale et religieuse. […] 4° Il était devenu, il avait voulu devenir poète dramatique, et, malgré un succès brillant une fois obtenu et comme surpris, il sentait bien qu’il ne pouvait saisir la foule, qu’il n’était pas de taille à l’enlever, à s’enlacer à elle dans un de ces jeux prolongés, dans une de ces luttes athlétiques où la souplesse s’unit à la force et où les alternatives journalières se résolvent par de fréquents triomphes. […] Quand il en fut à cet endroit de sa lecture, il en fit la remarque dans une parenthèse qui fut avidement saisie ; mais ce ne fut là qu’un incident, et le courant électrique se prononçait déjà dans l’assemblée, en vertu d’une influence à laquelle personne, parmi les présents, n’échappa. […] Samson se plaît à bercer la belle esclave et lui chante en hébreu une chanson funèbre dont elle ne saisit pas le sens : Elle ne comprend pas la parole étrangère, Mais le chant verse un somme en sa tête légère.
Villemain, engagé alors dans un concours académique, n’a fait, en louant Delille, que saisir un de ces à-propos et se tirer d’une de ces difficultés dont il triomphe toujours avec tant de grâce. […] Saint-Lambert eut le crédit et le tort d’obtenir un ordre pour faire conduire Clément au For-l’Évêque, et pour faire saisir l’édition (encore sous presse) de sa critique. […] Villemain, engagé alors dans un concours académique, n’a fait, en louant Delille, que saisir un de ces à-propos et se tirer d’une de ces difficultés dont il triomphe toujours avec tant de grâce. […] Un homme de goût, qui dans sa jeunesse put étudier de près ce que de loin on confond, me fait remarquer que chez Saint-Lambert, au milieu de la roideur et de la monotonie qui nous choquent aujourd’hui, on saisirait un amour des champs, un sentiment de la nature tout autrement vrai que chez Delille.
Je dirais de plus que la musique est un mouvement, une locomotion de l’âme par l’oreille, qui vous saisit, vous emporte, vous transporte, vous exalte en croissant jusqu’au vertige, jusqu’au délire, et que la peinture est immobile et uniforme comme la matière inanimée. […] Une galerie couverte circulait autour de la maison, avec sa balustrade de sapin sculpté ; un escalier extérieur montait du seuil à la galerie ; un bûcher de rondins et d’éclats de bûches blanches de sapin était symétriquement rangé sous l’escalier ; un pont de planches menait de la cour à la grange ; le foin et la paille débordaient comme d’un grenier trop plein par les ouvertures ; des filles et des enfants déchargeaient un chariot de fourrage embaumé, tandis que deux bœufs, dételés du timon, mais encore appareillés au joug, léchaient de leurs langues écumantes les brins des longues herbes qu’ils pouvaient saisir à travers les ridelles du char. […] L’impatience saisit à la fin le peintre ; il efface d’une main résolue toutes ces ébauches, il renonce au mensonge pour la vérité, et il peint l’improvisateur napolitain, l’Homère populaire et maritime, sa guitare à la main, assis sur un écueil de la plage au pied des montagnes, et psalmodiant, pour quelques sous jetés dans son bonnet de laine, en dialecte des Abruzzes ou des Calabres, l’épopée des brigands et des jeunes Sonniniennes à un auditoire rustique comme lui. […] Ceux-là n’ont pas le temps de s’amuser aux chimères, mais on voit qu’ils les regrettent, et qu’ils saisissent en passant quelques refrains de l’instrument ou quelques vers connus du récitatif.
Chacun saisit dans ce vaste tableau un trait, une physionomie, un jet de lumière ; nul ne saisit l’ensemble et la signification du tout. […] Comment saisir la physionomie et l’originalité des littératures primitives, si on ne pénètre la vie morale et intime de la nation, si on ne se place au point même de l’humanité qu’elle occupa, afin de voir et de sentir comme elle, si on ne la regarde vivre, ou plutôt si on ne vit un instant avec elle ? […] Mais, comme on n’est pas capable, faute d’érudition, d’en saisir la haute originalité, la vérité, le prix dans l’his-toire de l’esprit humain, on se relève par les menus détails ; on s’extasie devant de prétendues beautés, auxquelles l’auteur ne pensait pas ; on s’exagère à soi-même son admiration ; on se figure enthousiaste du beau antique et on n’admire en effet que sa propre niaiserie.
À part cette flatterie involontaire dont nous parlions plus haut, à part cet éblouissement des quelques lueurs qui restent au front du Lucifer tombé, et cet attendrissement causé par ces fibres humaines qui étaient en Luther comme elles furent en Danton, du reste, et qui mettaient la grâce et la beauté des larmes dans ces deux natures de porcher, Audin a saisi Luther par toutes ses faces, extérieures ou intimes, élevées ou basses, éclatantes ou sombres, mais avec une force et une souplesse de préhension irrésistible. […] Il n’y a plus, il est vrai, de ces ingénieuses ou éloquentes digressions qui vous saisissent tout à coup, comme la Main mystérieuse prenait le prophète par la chevelure, et vous enlèvent au récit pour vous y ramener ; et on les regrette, non dans l’intérêt de l’art, cette voluptueuse bagatelle de l’esprit, mais dans l’intérêt d’une chose plus grande que l’art, et devant laquelle tout ce qui est de cette vie défaille, — la conquête des âmes à Dieu. […] Il a saisi ce grand fait par le côté qui intéresse le plus les hommes. […] À lire l’ouvrage de Keith, écrivain protestant qui fait concorder le récit biblique avec les mœurs actuelles de la Palestine, on dirait que la Bible a été écrite d’hier ; rien n’est changé dans l’aspect des lieux, dans les habitudes des personnages, dans les coutumes, les superstitions de ces peuples primitifs que Keith a visités ; mêmes fêtes, mêmes repas, et c’est cette ressemblance qu’il nous faut saisir après lui. » Les deux amis devaient sans doute en tirer d’autres conséquences.
Essentiellement virtuel, le passé ne peut être saisi par nous comme passé que si nous suivons et adoptons le mouvement par lequel il s’épanouit en image présente, émergeant des ténèbres au grand jour. […] Ce qui nous intéresse dans une situation donnée, ce que nous y devons saisir d’abord, c’est le côté par où elle peut répondre à une tendance ou à un besoin : or, le besoin va droit à la ressemblance ou à la qualité, et n’a que faire des différences individuelles. […] Bref, on suit du minéral à la plante, de la plante aux plus simples êtres conscients, de l’animal à l’homme, le progrès de l’opération par laquelle les choses et les êtres saisissent dans leur entourage ce qui les attire, ce qui les intéresse pratiquement, sans qu’ils aient besoin d’abstraire, simplement parce que le reste de l’entourage reste sans prise sur eux : cette identité de réaction à des actions superficiellement différentes est le germe que la conscience humaine développe en idées générales. […] Nous saisissons donc ici, à leur source même et presque confondues ensemble, — non point pensées, sans doute, mais jouées et vécues, — l’association par ressemblance et l’association par contiguïté.
Le monde saisi de vertige se rua à de sombres plaisirs, où le sang se mêlait à la volupté, où la luxure s’enlaçait à la mort. […] Ils peuvent bien saisir le menu détail pittoresque, l’impression du moment, rendre la vibration nerveuse d’une sensibilité hyperesthésiée ; ils peuvent s’élever en ce genre jusqu’au compliqué, jusqu’à l’étrange et jusqu’au rare, pousser le « modernisme » et le « chic » jusqu’à ses dernières limites, mais qu’on ne leur demande pas autre chose ! […] Ce n’est pas sa pensée que nous avons saisie, c’est la nôtre enfin formulée que nous lui attribuons. […] Si variés que soient les aspects du décor, si nombreuse que soit la figuration, l’ensemble se laisse facilement saisir.
Tout cela est vrai ; mais, si Mézeray n’avait été que ce satirique et ce cynique que nous montrent certains biographes, il est douteux qu’il eût entrepris une œuvre aussi pénible et d’aussi longue haleine que sa grande Histoire : pour que cette noble ambition le saisît, il fallait que sa jeunesse s’inspirât des grandes choses auxquelles elle assistait, qu’il se sentît fier, comme il le dit, d’être d’une nation si généreusement conduite, si hautement relevée et honorée aux yeux de l’Europe par l’habileté vaillante de ses chefs. […] Je me trompe pourtant d’appeler cela un règne, ce fut une anarchie continuelle : d’autant qu’il vint à la couronne à treize ans ; il fut sous des régents plusieurs années, et puis, étant venu en âge, tomba sous la captivité de ses favoris, et à vingt-six ans en cette longue maladie qui mit presque cette monarchie au tombeau… Si bien que toute sa vie n’a été qu’une folie ou de cerveau ou de jeunesse, et, ni sain ni malade, il n’a jamais eu une once de bon conseil et de forte résolution, mais a toujours été hors de lui-même, ayant été en tout temps possédé par ceux qui l’obsédaient, et ferme seulement en un point, qui était de se changer à l’appétit de tous ceux qui se saisissaient de lui.
On aime à savoir où ce grand écrivain et ce grand esprit s’est trompé et a décidé trop à la légère avant de bien savoir ; où il a été épigrammatique et injuste envers des prédécesseurs illustres et considérables ; où il a donné dans l’hypothèse pure et hasardée ; où il a deviné juste par étendue d’esprit et par aperçu de génie ; on aime à saisir avec précision sa marche progressive, à mesurer sa prise de possession graduelle de son sujet, à noter l’endroit certain où il devient complètement naturaliste, de physicien qu’il était en commençant. […] Magdeleine de Saint-Agy, on trouve une appréciation étendue de Buffon, et les critiques qu’on a cru devoir lui faire sur ses systèmes hasardés sont rachetées par cette conclusion éloquente : Mais, en compensation, il a donné par ses hypothèses mêmes une immense impulsion à la géologie ; il a le premier fait sentir généralement que l’état actuel du globe est le résultat d’une succession de changements dont il est possible de saisir les traces ; et il a ainsi rendu tous les observateurs attentifs aux phénomènes d’où l’on peut remonter à ces changements.
Mais combien il est vrai qu’il connaissait peu les hommes et qu’il n’avait pas le talent de démêler, de saisir avec rapidité ceux qui cachaient des trames et des arrière-pensées suspectes ! […] Il arrive à Bailly, après sa présidence d’un mois à l’Assemblée nationale, ce qui lui était déjà arrivé lors de sa nomination de député dans l’assemblée des électeurs de Paris : un nouvel et soudain honneur vient le saisir derechef, l’affliger à la fois et le combler.
J’ai tort, au reste, d’appeler peines ce qui est plutôt un charme pour moi qu’une occupation. » En tout ceci, nous saisissons bien chez Béranger l’homme de lettres coexistant dès l’origine avec le chansonnier, et, pour ainsi dire, le côtoyant. […] J’aurais tout cela moins que Geoffroy, bien d’autres qualités moins encore, et je n’aurais de plus que lui qu’un amour de justice qui ferait des ennemis au rédacteur et pas un abonné au journal. » Parmi tous ces motifs de refus, il y en avait encore un autre, et le principal, que le malin ne mettait pas en ligne de compte, mais que le démon lui soufflait tout bas : c’est qu’il allait saisir la Renommée par un autre bout de l’aile.
C’est un homme unique : ses pièces touchent à la tragédie, elles saisissent, et personne en cela n’ose l’imiter. […] On n’a jamais mieux défini Voltaire dans sa qualité d’esprit spécifique et toute française, qu’il ne l’a fait ; on n’a jamais mieux saisi dans toute sa portée la conception buffonienne des Époques de la Nature ; on n’a jamais mieux respiré et rendu l’éloquente ivresse de Diderot ; il semble la partager quand il en parle : « Diderot », s’écrie-t-il avec un enthousiasme égal à celui qu’il lui aurait lui-même inspiré, « Diderot est Diderot, un individu unique ; celui qui cherche les taches de ses œuvres est un philistin, et leur nombre est légion.
Amis de l’ancien régime et partisans du droit divin, qui en étiez venus, en désespoir de cause, à préconiser le suffrage universel ; à qui (j’aime à le croire) la conviction était née à la longue, à force de vous répéter, et qui vous montrez encore tout prêts, dites-vous, mais moyennant, j’imagine, certaine condition secrète, à embrasser presque toutes les modernes libertés ; — partisans fermes et convaincus de la démocratie et des principes républicains, polémistes serrés et ardents, logiciens retors et inflexibles, qui, à l’extrémité de votre aile droite, trouvez moyen cependant de donner la main parfois à quelques-uns des champions les plus aigris de la légitimité ; — amis du régime parlementaire pur, et qui le tenez fort sincèrement, nonobstant tous encombres, pour l’instrument le plus sûr, le plus propre à garantir la stabilité et à procurer l’avancement graduel de la société ; — partisans de la liberté franche et entière, qui ne vous dissimulez aucun des périls, aucune des chances auxquelles elle peut conduire, mais qui virilement préférez l’orage même à la stagnation, la lutte à la possession, et qui, en vertu d’une philosophie méditée de longue main dans sa hardiesse, croyez en tout au triomphe du mieux dans l’humanité ; — amis ordinaires et moins élevés du bon sens et des opinions régnantes dans les classes laborieuses et industrielles du jour, et qui continuez avec vivacité, clarté, souvent avec esprit, les traditions d’un libéralisme, « nullement méprisable, quoique en apparence un peu vulgaire ; — beaux messieurs, écrivains de tour élégant, de parole harmonieuse et un peu vague, dont la prétention est d’embrasser de haut et d’unir dans un souple nœud bien des choses qui, pour être saisies, demanderaient pourtant à être serrées d’un peu plus près ; qui représentez bien plus un ton et une couleur de société, des influences et des opinions comme il faut, qu’un principe ; — vous tous, et j’en omets encore, et nous-mêmes, défenseurs dévoués d’un gouvernement que nous aimons et qui, déjà bon en soi et assez glorieux dans ses résultats, nous paraît compatible avec les perfectionnements désirables ; — nous tous donc, tous tant que nous sommes, il y a, nous pouvons le reconnaître, une place qui resterait encore vide entre nous et qui appellerait, un occupant, si M. […] En effet, les chants grégoriens exhalent tout un parfum de christianisme, une odeur de pénitence et de componction qui d’abord vous saisit.
Lebrun, dans sa jeunesse, sans précisément s’endormir, perdit, en effet, du temps à rêver et à être heureux : il faut en tout genre, quand on aime la gloire, être prompt à saisir, à remplir sa destinée. […] Il ne s’est point hâté ; une seule fois, il a saisi au vol l’heure rapide pour sa Marie Stuart.
Taine qu’un appareil plus délicat et plus sensible qu’un autre pour mesurer tous les degrés et toutes les variations d’une même civilisation, pour saisir tous les caractères, toutes les qualités et les nuances de l’âme d’un peuple. […] Il a causé, disserté, avec des amis de son âge, avec des artistes, des médecins ; il a échangé, dans de longues conversations à deux, des vues infinies sur le fond des choses, sur les problèmes qui saisissent et occupent de jeunes et hautes intelligences : il n’a pas assez vu les hommes eux-mêmes des diverses générations, des diverses écoles et des régimes contraires, et ne s’est pas rendu compte, avant tout, du rapport et de la distance des livres ou des idées aux personnes vivantes et aux auteurs tout les premiers.
Peut-être ce temps-ci n’est-il pas plus privilégié qu’un autre en variations, mais nous y sommes plus sensibles parce que nous les saisissons de plus près et plus en détail dans nos contemporains. […] La conclusion de tout ceci est triste ; un grand trouble, en achevant ce volume et en repassant mes propres impressions, m’a saisi ; on doute de soi ; les notions du beau et du vrai se confondent : y a-t-il telle chose qu’un art, et n’est-ce pas chimère que d’y croire et de s’y dévouer ?