Le dieu regarde et sourit.
Nous sçavons des détails sur les petitesses des grands hommes que nous avons vûs, ou que nos contemporains ont pû voir, qui rapprochent si bien ces grands hommes des hommes ordinaires, que nous ne sçaurions avoir pour eux la même veneration avec laquelle nous sommes en habitude de regarder les grands hommes de Rome et ceux de la Grece.
Par rapport à ces derniers, je regarde l’arrangement des conditions diverses qui forment la societé, comme une mer.
D’ailleurs, les peintres et les poëtes s’occupent des imitations comme d’un travail, au lieu que les autres hommes ne les regardent que comme des objets interessans.
Soit caprice, oisiveté, — soit que l’heure de la vengeance divine sonne enfin, la fantaisie lui prend d’interroger cette statue qui le regarde. […] Regardez le Don Juan de Molière, et vous allez pressentir le xviiie siècle. […] Les comédiens eux-mêmes étaient étonnés de toutes ces sympathies ; ils se regardaient de temps à autre comme pour voir le fantôme qui les poussait. […] Nous autres de la génération nouvelle, qui avons été élevés dans une estime médiocre pour les doctrines de l’école voltairienne, nous nous regardions tout étonnés de ces violences dans le sarcasme. […] Don Juan, c’est le monde tel qu’il était ; c’est le grand seigneur au-dessus des lois humaines et divines, qui se dit à lui-même : Dieu y regardera à deux fois avant de damner un homme de ma sorte !
Le public rit où il peut rire ; trop heureux quand il s’amuse, il ne regarde pas dans quel lieu. […] On entre, on se précipite, on se foule, on regarde, la toile se lève… Entendez-vous ces éclats de rire ? […] Regardez mademoiselle Clairon. […] Regardez ces hommes hideux en si belle et souriante compagnie ! […] En même temps, plus il regarde cette jeune fille, plus il la trouve belle et à son gré.
Quoi qu’il en soit, il y a tant d’esprit dans cet ouvrage et une si grande pénétration pour connaître le véritable état de l’homme, à ne regarder que sa nature, que toutes les personnes de bon sens y trouveront une infinité de choses qu’ils (sic) auraient peut-être ignorées toute leur vie, si cet auteur ne les avait tirées du chaos du cœur de l’homme pour les mettre dans un jour où quasi tout le monde peut les voir et les comprendre sans peine. » En envoyant ce projet d’article à M. de La Rochefoucauld, Mme de Sablé y joignait le petit billet suivant, daté du 18 février 1665 : Je vous envoie ce que j’ai pu tirer de ma tête pour mettre dans le Journal des savants.
Aimer l’argent, pour arriver à tel ou tel but, c’est le regarder comme un moyen, et non comme l’objet ; mais il est une espèce d’hommes qui, considérant en général la fortune comme une manière d’acquérir des jouissances, ne veulent cependant en goûter aucune ; les plaisirs, quels qu’ils soient, vous associent aux autres, tandis que la possibilité de les obtenir est en soi seul, et l’on dissipe quelque chose de son égoïsme, en le satisfaisant au-dehors.
Les cavernes pulmonaires, l’ulcère de l’estomac, la péritonite tuberculeuse, bien d’autres maladies qui jadis ne regardaient que le médecin, lequel n’y pouvait pas grand’chose, appartiennent désormais au chirurgien.
Paul Fort, comme Laforgue, regarde la vie dans quelque miroir légendaire.
Tandis que la tradition burlesque régnait presque souverainement sur la scène italienne, et que les types, inventés une fois pour toutes, y reproduisaient chaque ridicule dans son expression générale, nos bouffons ne perdaient pas l’habitude de regarder autour d’eux, de peindre sur le vif un caractère particulier, de saisir l’actualité au passage, d’exercer enfin l’esprit observateur et satirique propre à la nation.
On crut voir couler du sang et de l’eau, ce qu’on regarda comme un signe de la cessation de vie.
Le créateur, qui voit de haut, ordonne ; l’imitateur, qui regarde de près, régularise ; le premier procède selon la loi de sa nature, le dernier suivant les règles de son école.
On le regarde comme le père de la poësie Françoise, par les heureux changemens qu’il y apporta.
Les tableaux de Virgile, sans être moins nobles, ne sont pas bornés à de certaines perspectives de la vie ; ils représentent toute la nature : ce sont les profondeurs des forêts, l’aspect des montagnes, les rivages de la mer, où des femmes exilées regardent, en pleurant, l’immensité des flots : Cunctaeque profundum Pontum adspectabant flentes.
Regarde-moi, regarde encore ! […] comme elle regardait tristement ses petits pieds couverts de poussière ! […] Regardez et souvenez-vous. […] Mais devant ce cadavre et devant cette flamme, J’ose vous regarder et vous montrer mon âme. […] À y regarder de près, elle procède de l’Henriette de Molière.
— De même : « Nous regardons la stupidité comme un grand malheur. […] Il regarde, il observe, il collectionne, et il écrit des « caractères » avec l’assaisonnement d’un « roman comique ». […] Le moraliste a la passion de regarder et le don de voir juste. […] Enfin on la renvoie aussi ; le sacrifice est fait, et l’on peut se regarder dans son miroir. […] Regardez-la quand elle aime et qu’elle ne veut pas le dire.
L’écrivain regarderait en soi, mais non pas à la manière des égoïstes qui n’aiment qu’eux seuls. […] Un mari regarde dormir une femme aimée. […] Regardez-y de plus près. […] Il se regarde vivre et penser. […] Ils sont debout l’un près de l’autre ; ils ne se parlent pas ; ils ne se regardent pas ; iis regardent tous deux du côté de la lumière. « Ils ne ferment jamais les yeux » dit l’enfant, et voici qu’il est pris de terreur : « Je n’ose plus regarder, petit père, laisse-moi descendre !
On finit par se tenir tranquille, et l’on regarde le monde aller, en tâchant d’éviter les heurts, en ramassant çà et là quelques petits plaisirs commodes. […] Au bout d’une réfutation, son adversaire concluait par ce trait d’esprit théologique : « Voyez, mon frère, vous avez pêché toute la nuit sans rien prendre. » Et Milton réplique glorieusement : « Si, en pêchant avec Simon l’apôtre, nous ne pouvons rien prendre, regardez ce que vous prenez, vous, avec Simon le magicien, car il vous a légué tous ses hameçons et tous ses instruments de pêche. » Un gros rire sauvage éclatait. […] Il loue la révolution, et sa louange semble un chant de trompette, sorti d’une poitrine d’airain. « Regardez maintenant cette vaste cité, une cité de refuge, la maison patrimoniale de la liberté, ceinte et entourée par la protection de Dieu. […] regarde cette pauvre Église épuisée et presque expirante ! […] Il se promène, regarde, écoute, à cela se bornent ses joies ; ce ne sont que les joies poétiques de l’âme.
Il ne faut ni machine, ni creuset, ni compas pour vérifier ses expériences ; il suffit de regarder autour de soi. […] La famille de Pelleport avait perdu toute sa fortune, et regarderait comme la plus belle des fortunes l’union du plus grand philosophe religieux et du plus sensible poëte du siècle. […] Déclarez donc à l’Institut que vous regardez l’existence de Dieu comme la base de toute morale ; si quelques intrigants en murmurent, le genre humain vous applaudira. » Je rends grâce au ciel, qui m’a permis de presser la main qui traça ces lignes courageuses ! […] Dès qu’il a déposé sur le papier ce qu’il a vu dans l’intérieur de sa conception, cela suffit, il s’arrête, son œuvre est accomplie, il ne se croit pas capable d’embellir la nature ; il se regarde comme un traducteur qui ajouterait à son texte et qui mentirait en l’exagérant. […] En effet, il regarda quelque temps dans la plaine l’église des Pamplemousses avec ses longues avenues de bambous, et il fil quelques mouvements comme pour y retourner ; mais il s’enfonça brusquement dans la forêt, en dirigeant toujours sa route vers le nord.
Et si d’ailleurs il ne l’atteignait pas, si cette Providence, dont il ne se regarde que comme l’instrument, ne lui permettait pas de l’atteindre, il n’en aurait pas moins l’impérissable honneur de se l’être à lui-même marqué. […] » Il y a certainement à la base du protestantisme une préoccupation plus intense de soi-même qu’à la base du catholicisme ; et si les protestants s’en louent avec raison quand ils ne regardent leur religion que parle côté moral, j’ai voulu dire et j’ai dit que l’aspect en différait quand on les regardait par le côté social. […] Mais regardez autour de vous. […] On y devra regarder de plus près.
Le début de cette pièce me représente à merveille le début de sa muse ; elle fit ses premiers pas aussi péniblement que la belle Emma, portant son amant sur la neige : mais, dans la pièce, Charlemagne regarde et pardonne ; et le public, qui n’est pas un Charlemagne, comprit peu, regarda peu, et ne se soucia guère ni de pardonner ni d’autre chose. […] « Voilà huit jours, mon ami, que j’ai dans ma poche cette lettre de M. de Bois-le-Comte34 avec un numéro du feuilleton qui vous regarde.
Cette petite place ou plutôt cette cour était enceinte d’un côté par le portail modeste, mais cependant architectural, de la chapelle des moines ; de l’autre, par la porte basse et sans décoration du couvent ; à côté de cette porte pendait une chaînette de fer pour sonner le portier ; en face de la rampe et entre les deux portes de l’église et du monastère, un petit portique ouvert, élevé d’une ou deux marches, et dont les arceaux étaient divisés par des colonnettes de pierre noire, offrait son ombre aux pèlerins ; quelques médaillons de marbre incrustés dans le mur et quelques fresques délavées par les pluies d’hiver étaient le seul ornement de ce portique ; un vieil oranger au tronc noir, ridé, tortu comme celui des chênes verts qui croissent aux rafales d’un cap penché sur la mer, élançait son lourd feuillage au-dessus du mur du parapet et semblait regarder éternellement les côtes de la mer de Naples, sa patrie. […] Je me disais qu’après une vie agitée et peut-être avant les orages et les mécomptes de cette vie, il serait doux d’avoir son tombeau sous ces orangers, d’y dormir ou d’y rêver, car l’homme est si essentiellement un être pensant qu’il ne peut croire au sommeil sans rêve, même de la tombe ; j’y écoutais mourir le sourd murmure de la grande ville qui s’assoupissait à mes pieds, semblable au bruit d’une mer qui diminue à mesure qu’on s’élève sur le promontoire ; j’y regardais les derniers rayons du soleil, dorant comme des phares les pans de murailles jaunies du Colisée. […] Léonora, idole du peuple de Ferrare par sa beauté et par ses talents poétiques, avait en même temps une si juste réputation de vertu et de piété qu’on la regardait dans tout le duché comme l’intermédiaire visible de la Providence, et qu’on attribuait à ses prières la vertu surnaturelle de fléchir le ciel et d’écarter les fléaux.
La petite bête semblait comprendre qu’il y avait un mystère dans tout cela, et, couché sur les pieds de son maître ou sur le tablier de ma tante, il les regardait avec étonnement et il avait cessé d’aboyer, comme il avait l’habitude de faire à notre porte, au passage des pèlerins. […] Comme le cloître était bien long et que le frère Hilario marchait pesamment, à cause de son âge, nous causions, Hyeronimo, mon frère et moi, pendant la distance d’un bout du cloître à l’autre bout ; le chien même semblait s’en mêler, monsieur, et ses yeux semblaient véritablement pleurer autant que les miens, quand je regardais Fior d’Aliza ou Hyeronimo. […] Elle répondit sans se retourner, comme quelqu’un qui regarde le bout de ses pieds en parlant.
Il y a, dans le sentiment qu’elle lui inspire, de la tendresse, de l’amusement à regarder s’agiter une jolie forme, de la pitié et un imperceptible dédain. […] Jaurès, tantôt il ricanait, tantôt il haussait ses larges épaules, mais avec plus d’ostentation que d’hostilité réelle, et surtout comme quelqu’un qui se sait regardé. […] Bernadette regarde.
Aidez-moi à regarder sans étonnement ces désordres de la fortune qui m’ont mis en prison et qui me promènent maintenant dans tous les palais de Varsovie. […] Faites-moi part de tout ce qui vous regarde, de vos affaires, de votre économie, de vos plaisirs, de votre société ; rien ne m’est indifférent de votre part. […] Je ne dois donc regarder les agréments de mon séjour que pour ce qu’ils sont.
Il regarde le vice en face, mais comme un ennemi qu’il connaît bien et qu’il affronte. […] Tout droit dans son armure, un grand homme de pierre Se tenait à la barre et coupait le flot noir ; Mais le calme héros, courbé sur sa rapière, Regardait le sillage et ne daignait rien voir. […] Mais regardez d’un peu près les œuvres de ces habiles peintres, appliquez-leur la méthode de jugement qui résulte de l’étude des maîtres, et vous découvrirez qu’ils n’ont ni unité, ni science, ni sincérité, ni idéal, ni bonne foi, ni art de composition, rien, en un mot, de ce qui constitue, non pas le grand peintre, mais le peintre.
Il regarde la liberté dont il jouit comme le premier des biens ». […] Il n’hésite pas à en définir les limites : On ne voit guère d’hommes passionnés pour le bel esprit, dit-il, s’acquitter bien d’une profession différente… Il n’y a point de profession qui n’exige un homme tout entier… Un homme d’imagination regarderait comme une injustice d’être récusé sur quelque matière que ce pût être.
À travers cette sévérité apparente et en partie réelle, il s’attachait à reconnaître ceux qu’il appelait des esprits superbes, ceux « qui se regardaient et se faisaient un secret plaisir d’être regardés comme les justes, comme les parfaits, comme les irrépréhensibles ; … qui de là prétendaient avoir droit de mépriser tout le genre humain, ne trouvant que chez eux la sainteté et la perfection, et n’en pouvant goûter d’autre ; … qui, dans cette vue, ne rougissaient point, non seulement de l’insolente distinction, mais de l’extravagante singularité dont ils se flattaient, jusqu’à rendre des actions de grâces à Dieu de ce qu’ils n’étaient pas comme le reste des hommes : Gratias tibi ago, quia non sum sicut cœteri hominum ».
Ce sont tous gens qui se mettent en chemin non pour regarder et voir les choses comme elles sont, mais pour y porter leur esprit, leur manière de dire, et en égayer leur coterie de la ville. […] Ils ont tous cela de commun, de ne pas prendre la nature au sérieux, et de ne la regarder en sortant du cabaret ou du salon que pour y mettre une grimace et de l’enluminure.