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2269. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres choisies de Charles Loyson, publiées par M. Émile Grimaud »

Puis le silence se fait : d’autres générations succèdent, prennent la tête et s’emparent de la renommée dans le domaine de la poésie. […] Mettez si vous voulez 1816 ou 1818, on n’en est pas à quelques mois près ; mais ce qui est certain, c’est que, de quelque point de vue qu’on prenne la Restauration, le caractère de ce régime n’était point encore prononcé et tranché à cette date. […] Il est, à mes yeux, des inexactitudes d’un autre ordre, et dont l’auteur ne paraît pas assez se douter ; elles consistent, par exemple, à prendre M.  […] Un jour que Cousin et Patin en course dans Paris avaient pris pour abréger à travers les Halles, une poissarde les montrant du doigt à l’une de ses commères dit ce mot qui pourrait servir de légende ironique par opposition aux Horace Vernet et aux Charlet : « Et qu’on disait qui n’y avait pus d’hommes dans Paris !

2270. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

Comme chef d’état-major il eût empiété sur le général en chef, il eût trop pris sur lui. […] Ce sont ces deux écrivains militaires que Jomini, jeune, avait surtout étudiés et qu’il s’appliqua, le premier, à faire connaître à la France, en les résumant, les analysant et les mettant sans cesse aux prises dans son Traité. Ce Traité n’est, à le bien prendre, qu’une histoire critique et un examen des campagnes de Frédéric ; les principes s’y déduisent chemin faisant à l’occasion des faits. […] Je reconnaîtrai même que Frédéric n’était point dans une situation à jouer un si gros jeu, et qu’en bornant ses plans à gagner du temps et à empêcher tout concert entre ses formidables ennemis, il prit le parti le plus sage. » Ce qu’il avait retiré à Frédéric comme général, il le lui rendait amplement comme politique et comme caractère.

2271. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

— Un moi mystérieux Nous pousse ; alors on prend la vie au sérieux : Plus de jeux dans les prés, plus de frais sous le saule, Le soir plus de moments perdus en doux propos ; Il faut douze combats, et puis, pour le repos, La peau de lion sur l’épaule ! […] La légende de toutes parts semble déjà commencer et prendre. […] » Cette concurrence, qui fait peut-être le prix des thèmes et poésies populaires, est médiocrement favorable, nous le croyons, aux monuments des génies individuels, vastes et consommés ; dans tous les cas, elle cesse du moment qu’un de ces génies a pris possession de l’œuvre et l’a consacrée de son sceau. […] Non pas que le livre des Niebelungen ait rien de vague, pris en lui-même ; mais le vague a lieu par rapport aux personnages historiques qui y figurent.

2272. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre premier. De l’amour de la gloire »

Il y a dans tous les caractères des défauts qui jadis étaient découverts, ou par le flambeau de l’histoire, ou par un très petit nombre de philosophes contemporains que le mouvement général n’avait point enivrés ; aujourd’hui celui qui veut se distinguer est en guerre avec l’amour-propre de tous ; on le menace du niveau à chaque pas qui l’élève, et la masse des hommes éclairés prend une sorte d’orgueil actif, destructeur des succès individuels. […] Les amis peuvent si aisément attribuer à la bonté de leur âme l’exagération de leur enthousiasme, à l’oubli qu’on a fait de leurs conseils, les derniers revers qu’on a éprouvés ; il y a tant de manières de se louer en abandonnant son ami, que les plus légères difficultés décident à prendre ce parti ; mais la haine, dès ses premiers pas, engagée sans retour, se livre à toutes les ressources des situations désespérées ; de ses situations dont les nations, comme les individus, échappent presque toujours, parce que l’homme faible même ne voit alors de secours possible que dans l’exercice du courage. […] comme le parti qu’ils auraient pris eût été meilleur ! […] Eh bien, ils prennent ce silence pour le garant de leur supériorité, parce qu’il y a une bataille perdue, ils pensent qu’ils l’ont gagnée ; et les revers d’un grand homme se changent en palmes pour les sots.

2273. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

Par une illusion d’optique semblable, nous créons une substance vide qui est le moi pris en lui-même. — De même que la planche n’est que la série continue de ses divisions successives, de même le moi n’est que la trame continue de ses événements successifs. […] La trame de faits qui constitue notre être est un district distinct dans l’ensemble des fonctions dites nerveuses, et cet ensemble lui-même est une province distincte dans l’animal vivant pris tout entier. […] Ne prenons ces métaphores que pour ce qu’elles valent, c’est-à-dire pour des locutions qui traduisent en langage ordinaire les faits positifs que nous constatons. […] Les forces prennent la matière, la conforment et s’annoncent en se peignant à sa surface par leurs effets, se signifient et s’interprètent par les qualités qu’elles imposent à la matière… La véritable cause qui meut le cœur, l’estomac, les organes, est extérieure et supérieure à ces organes. » (Jouffroy, Esthétique, 132,145 ; Nouveaux mélanges, 233 à 273.)

2274. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Mais elle aura peine à en prendre son parti ; aucune de ses expériences ne vaincra son optimisme sentimental. […] De là vient qu’elle est incapable de prendre ses propres émotions comme matière d’art, de les réaliser directement dans une forme expressive. […] L’ouvrage intitulé De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800) est un curieux livre, confus, plus clair dans le détail que dans l’ensemble, naïf parfois jusqu’à la puérilité, mais, à tout prendre, original, suggestif, un livre intelligent enfin : il y a des chefs-d’œuvre auxquels on hésiterait à donner cette simple épithète. […] La Restauration l’attriste par le tour qu’elle prend.

2275. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Alphonse Daudet  »

Il faudrait prendre le mot « charmant », le nettoyer de sa banalité et comme le frapper à neuf ; puis, ainsi rajeuni, le mettre pour tout commentaire au bout de ces Contes, Essayons pourtant quelques remarques. […] Ils vont prendre un litre chez le marchand de vin. […] Ils ont, eux, une faculté maîtresse qu’on distingue sans trop de peine, et, dans l’exécution, des partis pris constants. […] Daudet, de ce Latin harmonieux et équilibré qu’on prendrait presque pour un classique ?

2276. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Le Gaulonite soutenait qu’il faut mourir plutôt que de donner à un autre qu’à Dieu le nom de « maître » ; Jésus laisse ce nom à qui veut le prendre, et réserve pour Dieu un titre plus doux. […] La voix du jeune charpentier prit tout à coup une douceur extraordinaire. […] La poésie du précepte, qui le fait aimer, est plus que le précepte lui-même, pris comme une vérité abstraite. […] De même, en morale, la vérité ne prend quelque valeur que si elle passe à l’état de sentiment, et elle n’atteint tout son prix que quand elle se réalise dans le monde à l’état de fait.

2277. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Mme de Graffigny, ou Voltaire à Cirey. » pp. 208-225

En les lisant, et quelque idée qu’on y prenne de Mme de Graffigny, nous sommes à Cirey avec elle, et nous en profitons. […] Voltaire rit d’elle, il l’appelle « gros chat » ; Mme de Champbonin a pris le parti d’engraisser. […] Plus je parlais, moins je le persuadais ; je pris le parti de me taire. » Mais, nouvel orage ! […] Voltaire pourtant, saisi de quelque compassion pour la pauvre femme qui était là chez eux, à leur merci, anéantie et en silence, prit à travers le corps Mme du Châtelet qui menaçait de se porter aux derniers excès, et il sembla, en voulant la modérer, se modérer un peu lui-même.

2278. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

La jeune Marie-Thérèse avait remarqué que son père et sa mère avaient l’air très agités et occupés dès le matin : Dans la promenade, dit-elle, ma mère me prit à part, me dit que je ne devais pas m’inquiéter de tout ce que je verrais, et que nous ne serions jamais longtemps séparés, que nous nous trouverions bien vite. […] Pour que le jeune cœur de Madame Royale ne prît point à cette heure une haine irréconciliable et un mépris sans retour pour la race humaine, pour qu’elle conservât sa sérénité, sa candeur, sa foi, son espérance au bien, il fallut les divins exemples et les secours qu’elle trouva autour d’elle, surtout dans sa tante Élisabeth, cette personne céleste ; il fallut cette religion précise, pratique, dont nul esprit fort n’aura jamais le droit de sourire, puisqu’elle seule est de force à soutenir et à consoler de telles douleurs. […] Mon pauvre frère dormait : ils l’arrachèrent de son lit avec dureté pour fouiller dedans ; ma mère le prit tout transi de froid. Ils ôtèrent à ma mère une adresse de marchand qu’elle avait conservée, un bâton de cire à cacheter qu’ils trouvèrent chez ma tante, et à moi ils me prirent un Sacré-Cœur de Jésus et une prière pour la France.

2279. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

* * * La Science qui tue la poésie de rêverie (celle-là seule, car celle qui se lève l’appelle au contraire et prend en elle son principe rationnel), la Science et son positivisme n’avaient étreint les fronts encore pour le doute fécond, et tout naturellement la Poésie s’accommodait-elle des songeries des philosophes prioristes ne gênant ses religiosités, ou le plus souvent les ignorait-elle même : et le bonheur de vivre, troublé de seules mélancolies d’amour, s’épanchait aux mots sonores, et la douceur des légendes des cultes était en tout poème, en tout cantique d’amour. […] * * * Cependant, sur le tard, la quarantaine passée, comme si tout ce que d’épars ils avaient produit n’eût été que pour se faire prendre patience à eux-mêmes, tant ils sentaient le mal de leurs poésies sans lien en même temps qu’ils n’acceptaient de sortir du malaise Baudelairien par aussi quelque facile acceptation du néant : esprits très rares, MM.  […] , tel est mon principe social… Ceci dit : que l’on me permette de prendre du Traité du Verbe les titres de mon œuvre et de ses parties et des livres, du livre I, le meilleur devenir, qui est l’historique poétique de la Matière éthérée évoluant à l’animal instinctif et sensationnel — au livre dernier, la loi. […] Mais la vie intellectuelle, il me semble, s’activera demain, et les années plus vite se rempliront, et ce n’est pas en vain que mon rêve prend forme en la science… Et qu’importe : j’ai le temps, et mon temps viendra.

2280. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

Par les portes lentement ouvertes, les inconnus qui pénètrent avec des airs de spectres se résolvent en hommes charnels, vicieux et riants ; les maisons sont hantées et profanées par devrais assassins aux mains humides d’un sang qui glue ; la justice reçoit la victime qu’elle exige, d’un magistrat court, bouffi, jaune, fumeur de cigarettes, et sa cruauté dialectique, aux prises avec la rude énergie du meurtrier, dans un duel dont l’âpre et croissante horreur n’a pas d’exemple, s’exerce entre des murs blanchis, dans un bureau où des fonctionnaires entrent. […] Le lent et sourd accroissement de l’angoisse morale de Raskolnikoff, le vertige et l’oppression de son projet, qu’il apercevait vague et cependant fatal dans le délabrement de ses forces, son sourd malaise une fois le sang versé, et l’étrange sensation de retranchement qui le prend, le lâche et le tient quand il revoit sa mère et sa sœur, la cruauté de se sentir interdit à leurs caresses et de ne pouvoir leur parler que les yeux détournés vers l’ombre ; puis la terreur croissante et une sorte d’ironique rudesse s’installant dans son âme, qui l’introduisent à revisiter le lieu du crime, et à machiner de singulières mystifications qui le terrifient tout à coup lui-même — ces choses lacèrent son âme et rompent sa volonté ; ainsi abattu et ulcéré, il est amené d’instinct à visiter Sonia, et à s’entretenir avec elle en phrases dures, qu’arrête tout à coup le sanglot de sa pitié pour elle, pour lui et pour tous, en une crise où il sent à la fois l’effondrement de son orgueil et la douceur de n’être plus hostile ; des retours de dureté, la sombre rage de ses premières années de bague, l’angoisse amère d’un cœur vide et murmurant, conduisent à la fin de ce sombre livre, jusqu’à ce qu’en une matinée de printemps, au bord des eaux passantes d’un fleuve, que continue au loin la fuite indécise de la steppe, il sente, avec la force d’eaux jaillissantes, l’amour sourdre en lui, et l’abattre aux pieds de celle qui l’avait soulagé du faix de sa haine. […] Effrayé de la peur de la vie et souffrant misérablement de son horreur, pénétrant l’homme dans ses dessous farouches et douloureux, pris du triste amour de sa chair souffreteuse, ne voyant en toute transgression que le commencement du châtiment, inquiet, éperdu et aimant, obstinément attaché à débattre et à retourner le problème du mal, du péché et de la peine, interrogeant la science et violenté, dans son âme obscure et slave, par la hautaine impiété de la philosophie évolutionniste, par ces doctrines qui, extraites et résumées du cours des astres, du choc des atomes, du sourd essor de la substance organique, puisent dans leur origine matérielle une inhumaine dureté et font au ciel qu’elles mesurent et dans l’âme qu’elles analysent un épouvantable et clair vide, frémissant du tranquille déni qu’elles opposent au problème final de toute méditation irréaliste — le but et le sens de la vie, — et finalement repoussé par les sèches raisons dont elles interdisent la pitié, l’aide aux faibles, aux malades, aux méchants, par la nécessité de ne point intervenir dans la lutte de tous contre fous, qui est à la fois la loi du monde vivant et la source même de ce qui nous pousse à la violer, — Dostoïewski s’est violemment rejeté en arrière ; sortant de toute église comme de tout enseignement, maudissant toute intelligence, se contraignant à croire ce qui console non sans trembler de la peur tacite d’être déçu, il a rivé ses yeux sur l’Évangile, il s’est prosterné pleurant sur la face pleurante d’un Christ populaire, en une agonie de pitié, de douleur, d’angoisse, d’effroi, de fou désespoir et de tremblante supplication aussi tragique en sa clameur que les affres contenues de Pascal. […] Par une autre conséquence du même principe, le spectacle de la souffrance humaine, physique et morale, perçue d’ailleurs dans un milieu où l’homme pâtit plus qu’ailleurs, l’affligeait d’un choc plus violent que cela n’a lieu pour le commun de hommes ; car il ne pouvait réfléchir combien les malheureux sont détestables parfois, ni mesurer exactement le degré de leur infortune, qui prend une intensité entièrement différente, selon qu’on néglige ou qu’on compte le fait de l’accoutumance.

2281. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

C’est à la lecture que l’on ne peut plus prendre la fausse monnaie pour la bonne, et des sonorités plus ou moins savantes pour une idée ou un sentiment. « Certains poètes sont sujets, dans le dramatique, à de longues suites de vers pompeux qui semblent fort élevés et remplis de grands sentiments. […] Quelle importune main, en formant tous ces nœuds, A pris soin sur mon front d’assembler mes cheveux ! […] De même Elmire, qui a un style si court, si direct et si franc dans la scène trois du troisième acte, parce qu’elle n’est nullement une coquette, quoi que d’aucuns en aient cru, change de style, non seulement en ce sens qu’elle parle un tout autre langage, comme le lui fait remarquer Tartuffe (« Madame, vous parliez tantôt d’un autre style ») ; mais aussi dans le sens grammatical du mot, quand elle a pris un caractère d’emprunt ; et le style alambiqué, torturé de la coquette, ou bien plutôt de la femme qui ne l’est point et qui s’efforce péniblement de l’être, lui vient aux lèvres et marque tout justement ce changement momentané de caractère et avertirait et mettrait en défiance le convoiteux, s’il n’était étourdi par sa convoitise. Et lorsque j’ai voulu moi-même vous forcer A refuser l’hymen qu’on venait d’annoncer, Qu’est-ce que cette instance a dû vous faire entendre, Que l’intérêt qu’en vous on s’avise de prendre, Et l’ennui qu’on aurait que ce nœud qu’on résout, Vint au moins partager un cœur que l’on veut tout.

2282. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Non seulement la Providence avait pris soin de rassembler les peuples sous une même domination, et de les réunir dans les liens d’une même langue, elle avait pris bien d’autres précautions pour que la Bonne nouvelle fût plus universellement accueillie. […] Dieu avait pris soin de les jeter d’avance au sein de la société, pour qu’elles parussent moins étranges, pour qu’ensuite elles pussent être défendues contre les attaques des esprits forts. […] Il n’était point Français, et il a pris ses héros parmi nos ancêtres ; il ne pouvait faire autrement, puisqu’il avait à créer une épopée européenne.

2283. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

Monsieur et Madame me firent l’effet des Caractères d’un petit La Bruyère… mauvais sujet, — d’une espèce de La Bruyère qui connaissait les femmes, non pas « entre tête et queue », comme les connaissait et voulait qu’on les prît La Bruyère, mais qui les prenait avec la tête et avec la queue, et Dieu sait si la queue est un endroit par lequel on puisse les prendre à présent ! […] D’écrivain délicieusement personnel, Gustave Droz est passé romancier impersonnel et pénétrant, et c’est comme romancier qu’il faut le prendre et le juger.

2284. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VII. Le cerveau et la pensée : une illusion philosophique »

Nous-même, dans un travail antérieur, nous avons pris les mots « réalisme » et « idéalisme » dans un sens assez différent. […] Elle ne semble intelligible que si, par une inconsciente prestidigitation intellectuelle, on passe instantanément du réalisme à l’idéalisme et de l’idéalisme au réalisme, apparaissant dans l’un au moment précis où l’on va être pris en flagrant délit de contradiction dans l’autre. […] Soit ; mais ce que nous avons dit de l’idéalisme va s’appliquer alors au réalisme qui a pris l’idéalisme à son compte. […] De ces idées les unes ont été engendrées par la thèse du parallélisme elle-même ; d’autres au contraire, antérieures à elle, ont poussé à l’union illégitime d’où nous l’avons vue naître ; d’autres enfin, sans relations de famille avec elle, ont pris modèle sur elle à force de vivre à ses côtés.

2285. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — [Introduction] » pp. 132-142

C’est au xviie  siècle en France qu’il prend sa forme complète et qu’il se définit tout à fait, qu’il se limite en se développant, et va prêter désormais à des guerres régulières, à des batailles rangées. […] Vingt ans après, La Motte réveille les hostilités en publiant son imitation en vers de L’Iliade, accompagnée d’un discours irrévérent Sur Homère (1714) ; Mme Dacier prend feu, les érudits se fâchent ; on en vient aux gros mots. […] Le Dialogue des orateurs a mis en présence et nous montre aux prises les champions des deux doctrines, les classiques et les novateurs de l’Antiquité.

2286. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la révolution française — I. La Convention après le 9 thermidor. »

Parmi tant d’épreuves pénibles et rebutantes, au milieu de ces convulsions furieuses des partis expirants, de ces révoltes populaires qui n’étaient que des révoltes et n’étaient plus des révolutions, à l’aspect d’un gouvernement estimable par ses intentions sans doute, mais qui ne savait plus être tyrannique avec génie et qui n’osait encore être libre avec franchise, il était à craindre que l’historien ne prît de la lassitude et du dégoût. […] Les Girondins, rappelés aussi peu de temps après les soixante-treize, ne restèrent pas toujours fidèles à l’engagement solennel et touchant que Chénier prenait pour eux en votant leur retour : « Non, non, Condorcet, Rabaut-Saint Étienne, Vergniaud, Camille Desmoulins, ne veulent pas d’holocaustes, et ce n’est point par des hécatombes qu’on apaisera leurs mânes. » Mais l’oubli des torts est moins facile que celui des services. […] Cependant on en répandit à flots : car aucun parti, même celui qui prend l’humanité pour devise, n’est sage dans sa vengeance.

2287. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Ce poète lyrique n’a guère parlé de la nature ; il n’en tire même pas beaucoup de comparaisons, ou d’images ; celles dont il use le plus volontiers, et qu’il répète infatigablement, il les prend moins dans la nature que dans la mythologie et l’histoire. […] Prenons Malherbe dans ses bonnes pièces, dans ses odes historiques et ses stances religieuses : ce sont des œuvres fortes et simples, où il y a, en vertu même des sujets, plus de conviction que de passion, plus de raisonnement que d’effusion ; le mouvement, la chaleur viennent surtout de l’intelligence. […] Mais où Malherbe prenait-il l’usage ?

2288. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

J’ai lu sans prendre de notes, et ne puis citer de mémoire un passage justificatif de cette critique, mais je le ferais au besoin. […] Renard est un bon observateur, fouilleur et pas gâcheur, qui voit beaucoup, et n’oublie rien, puis qui sait prendre ses trouvailles dans ses deux mains bien fermées, et vous les apporte, sans bousculade, sous les yeux, en frôlant le nez. […] Prenez-en un, lisez-le de près, cherchez à enlever une phrase, à changer un mot : c’est impossible.

2289. (1890) L’avenir de la science « VI »

Elle y prendrait des habitudes de pédantisme qui, en lui donnant une couleur particulière, la tireraient du grand milieu de l’humanité. […] Nous sommes si timides contre le ridicule que tout ce qui peut y prêter nous devient suspect ; or les meilleures choses, en changeant de nom et de nuances, peuvent être prises par ce côté. […] Jeu pour jeu, pourquoi prendre le moins attrayant ?

2290. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

. — Sociétés d’élite qui prennent la place de l’hôtel de Rambouillet. […] On n’y trouva une des lettres d’amour, parmi lesquelles étaient celles de madame de Sévigné. « Le roi prit un grand plaisir à les lire, parce qu’elles contrastaient avec les douceurs fades des autres lettres. » Le Tellier, qui les avait lues avec le roi, dit que le surintendant avait mal à propos mêlé l’amour et l’amitié42. […] En 1663, quand elle perdit son mari, elle se voua à la retraite, ne conserva des liaisons d’amitié qu’avec mesdames de Rambouillet, fort retirées elles-mêmes ; elle les réunit quelquefois à l’hôtel qu’elle acheta alors rue Saint Thomas du Louvre, et qui prit le nom d’hôtel de Longueville.

2291. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre II. Filles à soldats »

J’en prends deux, au hasard, dans Leurs figures : « Dans cette plaie panamiste, si mal soignée par des médecins en querelle, les sanies accumulées mettaient de l’inflammation. » L’autre phrase est particulièrement basse et, joyeux d’une joie de latrines, vous avez souligné vous-même deux fois le mot qui en aggrave ignominie : « Resté seul, cet homme de valeur, subitement chassé de son cadre, fit de la poésie sentimentale, tel un influenzé eût fait de l’albumine. » Je vous souhaite, Monsieur, de ne jamais faire de poésie sentimentale et d’albumine. […] Même le commerce s’est élargi, on a pris un associé fraternel et la maison, dont le chiffre d’affaires va augmentant, est avantageusement connue sur la place de Paris sous la raison sociale Paul et Victor Margueritte. […] C’est cet article seul que je consens à prendre en main aujourd’hui.

2292. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 272-292

Le sujet de Télémaque est d’un ressort universel ; il prend sa source dans la nature de l’homme : rien de plus touchant que la tendresse filiale ; rien de plus digne des vœux de tous les hommes, qu’un sage & heureux Gouvernement. […] Il falloit peut-être se prêter aux idées du Tribunal qui devoit adjuger la couronne à son Discours ; il falloit rendre un hommage à l’Auteur de la Henriade, qui ne viendra cependant jamais à bout d’obtenir parmi nous les honneurs exclusifs de l’Epopée ; il falloit prendre le ton du siecle, parler au moins d’après le langage de convention établi dans certains départemens. […] Il vaut mieux , répondit-il à celui qui lui annonça l’incendie de sa Bibliotheque, il vaut mieux que le feu ait pris à mes livres, qu’à la chaumiere d’un pauvre Laboureur .

2293. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre III : Le problème religieux »

Qui sait s’il n’est pas appelé encore à prendre une troisième forme, et à résoudre le problème religieux de l’avenir par une dernière métamorphose ? […] Les chrétiens libéraux trouvent beaucoup plus simple, et ils ont raison, de prendre pour point de départ le christianisme lui-même en le dépouillant de tout ce qui lui aliène les esprits indépendants. […] Une fois cette grande Église philosophique constituée, qui l’empêcherait de prendre pour temple la vieille Église chrétienne, rajeunie, émancipée, animée du vrai souffle des temps modernes, entraînée par l’esprit nouveau, mais le purifiant, le pacifiant par cet esprit d’amour dont l’Évangile, plus qu’aucun livre religieux, a eu le secret ?

2294. (1889) La critique scientifique. Revue philosophique pp. 83-89

En achevant la lecture de ce livre, on se prend à regretter la mort prématurée de l’homme qui l’a écrit. […] Dans les produits simples de l’art plastique, dans la poésie de mots, le plaisir paraît dépendre immédiatement de l’excitation ; seules les œuvres dramatiques, parce que leur matériel est l’action humaine, appellent nécessairement un cortège d’émotions ordinaires, pénibles ou joyeuses, qui n’y prennent cependant, pour parler la langue de M.  […] Je prends la liberté de renvoyer le lecteur au chap. 

2295. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre IV. Mme Émile de Girardin »

Elle, qui avait tous les dons de la femme, les éclatants et les exquis, s’est horriblement tourmentée pour accoucher de ces œuvres travaillées que les femmes de lettres prennent pour des preuves de leur équivoque virilité. […] Un matin, lassée de son esprit d’auteur, elle que sa beauté même a lassée, elle voulut respirer de tous ses succès de bel esprit, de Muse de salon, de femme de lettres, et elle prit ce masque de jeune homme à la mode que son magnifique front a fini par crever et qui, bien loin d’étouffer son frais et moqueur éclat de rire, le fit, je crois, vibrer plus haut ! […] dans l’atmosphère d’une société fausse, on prend un masque pour mieux respirer.

2296. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVII. Le Retour du Christ. Appel aux femmes ! »

Il veut à présent non plus d’égalité entre la femme et l’homme, mais la supériorité de la femme sur l’homme ; et c’est en Amérique, le pays du bas-bleuisme à outrance, que nous sommes en train d’imiter avec cette moutonnerie simiesque qui nous distingue, que se dresse, en ce moment, ce fier système, étayé sur cette mâle interprétation de la Bible, que, pour séduire le premier couple, le Serpent s’était adressé de préférence à la femme, comme à la plus intelligente des deux, et qu’il avait pris avec elle la peine de faire des raisonnements qui décidèrent la chute et que l’homme n’aurait pas compris ! […] À ces esprits de vanité insensée, la Vierge Marie, invoquée sous tant de noms magnifiques dans les Litanies, apparaît surtout comme une femme ; et cette femme prend, à ces orgueilleuses d’être femmes, l’imagination et le cœur plus fort même que le Dieu-Homme ; et c’est ainsi que le bas-bleuisme se retrouve dans leur foi religieuse qu’il infecte, et qu’il fait son impertinente poussée jusque dans le ciel ! […] V Cette contradiction, du reste, ces démentis, ces soufflets qu’on se donne à soi-même, ces positions qu’on voulait prendre et dont on dégringole, toutes ces choses qui seront le châtiment et l’expiation de la thèse, ignoblement physiologique, que M. 

2297. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Tallemant des Réaux »

Eh bien, comment donc se fait-il que Paulin Paris ait laissé sa sagacité esthétique se prendre dans cette toile d’araignée qui a ramassé au passage tous les scandales bourdonnants et les mauvais propos d’un siècle ? […] À ne le prendre que pour ce qu’il est, un anecdotier, moitié perroquet et moitié pie, un caquet-bonbec historique qui fit toute sa vie métier et marchandise de propos libertins et de sales nouvelles, il n’y a trace ni d’imagination ni de goût dans sa façon de raconter l’anecdote. […] Grâce à cet homme, qui pêche des anecdotes comme on pêche des anguilles, jusque dans la vase, un esprit politique n’aurait-il pas, au moins, indiqué le mal de ce temps qu’on prend pour une époque de force et de virilité, et qui n’offre aux yeux fascinés que la ruine suspendue d’une société dont la tête va tout à l’heure porter contre le fond de l’abîme, mais qui, jusque-là, trouve doux de tomber ?

2298. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »

Il n’y a que Livet qui ne rie pas, qui ne sourie pas, qui ne bâille pas, quand il nous rapporte les insupportables descriptions de ces fêtes solennellement sottes qu’on donnait à l’hôtel de Rambouillet (exemple celle de la page 14 de l’introduction, dont il prend la relation à Voiture). […] Cependant il y a lieu de croire que la Fronde dispersa Rambouillet et que toutes ces vessies que l’on prenait pour des lanternes crevèrent aux Barricades. […] Pour prouver qu’il n’y en avait pas, on prendra les Satires de Boileau, et on y répondra par des biographies.

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