Collé y a joint tout l’art dont le sujet étoit susceptible, celui de bien amener les incidens, de mettre du jeu & de la variété dans ses personnages, de développer l’ame de son Héros, de faire ressortir, pour ainsi dire, de chaque Scène un intérêt qui lui est particulier & contribue à l’effet général, de joindre enfin à l’énergie du sentiment, l’aisance & le bon ton du Dialogue, en conservant la naïveté & le costume des mœurs du siecle d’Hénri IV. […] Il a encore retouché la Mere coquette de Quinault, sans y changer autre chose que le caractere du Marquis, personnage parasite & hors de nature, qu’il a su ajuster au reste de la Piece.
Celui-ci eut des torts, cela nous suffit ; il en eut en amour et en politique ; il manqua cette partie importante de sa vie, et, quand même la Fronde aurait obtenu quelque succès et aurait amené quelque résultat, il n’aurait encore donné de lui que l’idée d’un personnage brillant, mais équivoque et secondaire, dont la pensée, les vues et la capacité ne se seraient point dégagées aux yeux de tous. […] Dans l’exquis et excellent petit livre qu’il laissa échapper en 1665, et auquel est à jamais attaché son nom, il faut tenir compte de ces personnages divers, et, selon moi, n’en point presser trop uniquement aucun. […] Le mouvement de l’amour-propre nous est si naturel, que le plus souvent nous ne le sentons pas, et que nous croyons agir par d’autres principes. » La Rochefoucauld, de même, a dit avec plus de grandeur : « L’orgueil, comme lassé de ses artifices et de ses différentes métamorphoses, après avoir joué tout seul tous les personnages de la comédie humaine, se montre avec un visage naturel, et se découvre par sa fierté ; de sorte qu’à proprement parler, la fierté est l’éclat et la déclaration de l’orgueil. » Un des hommes qui ont le mieux connu les hommes et qui ont su le mieux démêler leur fibre secrète pour les gouverner, Napoléon, a fait un jour de La Rochefoucauld un vif et effrayant commentaire. […] J’ai vu bien des transformations de nos jours, mais je n’en ai jamais vu de plus curieuse ni de plus à contre-pied du vrai que celle qui s’est très vite opérée, au sujet de ce docte personnage, le lendemain de sa mort. […] Charles Lenormant. — Et puisque j’y suis, j’épuiserai sur le compte du scientifique personnage les notes à la La Bruyère, que provoquait journellement l’audace ou le sans-gêne de sa suffisance : « Lenormant est de la race de ceux qui ne doutent de rien, qui tranchent sur tout et qui sont sûrs de leur fait en toute matière, qu’il s’agisse de l’ère de Nabonassar, de l’abbaye de Thélème ou de la transsubstantiation. » — Et encore : « Le mot que répète le plus souvent Lenormant dans son cours est celui d’important : Il est important, il serait important, un fait de la plus haute importance, etc. — C’est ce qu’on appelle en Italie un facilone, disait de lui Gérard le peintre, comme qui dirait un facilitateur (qui trouve tout facile, qui ne voit de difficulté à rien).
Sir Henry Bulwer, homme d’État et étranger, moins choqué que nous de certains côtés qui ont laissé de tristes empreintes dans nos souvenirs et dans notre histoire, a jugé utile et intéressant, après étude, de dégager tout ce qu’il y avait de lumières et de bon esprit politique dans le personnage qui est resté plus généralement célèbre par ses bons mots et par ses roueries ; « L’idée que j’avais, dit-il, c’était de montrer le côté sérieux et sensé du caractère de cet homme du XVIIIe siècle, sans faire du tort à son esprit ou trop louer son honnêteté. » Il a complètement réussi à ce qu’il voulait, et son Essai, à cet égard, bien que manquant un peu de précision et ne fouillant pas assez les coins obscurs, est un service historique : il y aura profit pour tous les esprits réfléchis à le lire. […] Je reprends le personnage où je l’ai laissé. […] M. de Chateaubriand, dans son antipathie d’humeur et de nature pour le personnage, lui qui avait autant le ressort de l’honneur et le goût du dépouillement que l’autre les avait peu et savait aisément s’en passer, a dit, à propos de la manière dont M. de Talleyrand négociait les traités : « Quand M. de Talleyrand ne conspire pas, il trafique. » Ce mot sanglant, au moins dans sa seconde partie, n’est que la vérité même. […] Son rôle avait été des plus importants au 18 Brumaire, et il y coopéra autant et plus qu’aucun personnage civil. […] Talleyrand d’ailleurs employa toutes les ressources d’un esprit souple et insinuant pour se concilier un suffrage qu’il lui importait de captiver20. » Par son action et ses démarches auprès des principaux personnages en jeu, auprès des partants et des arrivants, Sieyès et Barras, par son habile entremise à Paris dans la journée du 18, par ses avis et sa présence à Saint-Cloud le 19 au moment décisif, par son sang-froid qu’il ne perdit pas un instant, il avait rendu les plus grands services à la cause consulaire : aussi, les Consuls à peine installés, il fut appelé au Luxembourg avec Rœderer et Volney, et « tous trois reçurent collectivement de Bonaparte, au nom de la patrie, des remerciements pour le zèle qu’ils avaient mis à faire réussir la nouvelle révolution21. » Une grande carrière commençait pour Talleyrand avec te siècle : c’est sa période la plus brillante, et une fois introduit sur la scène dans le premier rôle, il ne la quitta plus, même lorsqu’il parut s’éclipser et faire le mort par moments.
Chaque personnage raconte son histoire à un moment ou à l’autre ; et il y a bien des aventures où Gil Blas n’est jeté que pour donner occasion à quelqu’un de paraître et de narrer sa vie. […] Il est d’usage de louer l’invention du caractère de Gil Blas : ce garçon qui est si peu héros de roman, bon enfant, sans malice, sans délicatesse, sans bravoure, mais admirablement résistant par le manque même de profondeur, qui ne prend jamais la vie au tragique, qui se relève et se console si vite de toutes ses disgrâces, toujours tourné vers l’avenir, jamais vers le passé, toujours en action, jamais rêveur ni contemplatif, que l’expérience mène rudement de la vanité puérile à l’égoïsme calculateur, et qui finit par s’élever assez tard à une solide encore qu’un peu grosse moralité ; ce personnage-là, dit-on, c’est notre moyenne humanité. […] Le personnage s’éparpille dans cette multiplicité d’incidents et d’actions. […] Par suite, rien n’avertit, sauf le nom, que ce soit le même homme qui est dans la caverne des voleurs et dans le palais d’Olivarès : aucune nécessité psychologique ne lie les diverses aventures du personnage. […] Le nombre des aventures est réduit, et toutes les aventures aident le personnage à se caractériser.
À voir par moments tous ces faux personnages sortir çà et là, on dirait quelque chose comme une épidémie. […] Dans le premier sujet, plein d’actions coupées et de guerres, il a trouvé des caractères comme il les aime, il a exhumé et peint quelques-uns des défenseurs énergiques des nationalités italiennes : dans le second sujet, où il fallait entrer dans le Sénat et descendre dans le Forum, il a rencontré, en première ligne, le personnage de Cicéron, et c’est ici que, repoussé par le dégoût des lieux communs, il n’a pas rendu assez de justice à cet homme dont on a dit magnifiquement qu’il était le « seul génie que le peuple romain ait eu d’égal à son empire ». […] Mérimée a pris son parti plus franchement, ou du moins de propos plus délibéré : il donne tout d’abord ses deux personnages pour deux coquins ; il ne s’agit guère ensuite que du degré ; il s’agit surtout de voir comment l’amour naît, se comporte et se brise, ou persiste malgré tout, dans ces natures fortes et dures, dans ces âmes sauvages. […] Les dialogues même de ses personnages n’ont pas une parole inutile, et dans l’action il a marqué d’avance les points où chacun d’eux doit passer. […] mille souvenirs s’emparaient de lui et le poursuivaient incessamment, comme ces fragments de mélodie dont on ne peut se débarrasser à la suite d’une soirée musicale ; mais, dès qu’il la voyait, il retrouvait le calme… Dans ces moments, chez M. de Musset, on sent le poète ; il a des ailes ; il chante et fait chanter ses personnages ; il leur prêté de ses propres mélodies.
Brosicz et Matejko, chargées de personnages, aveuglantes de couleur. […] Où va-t-il, cet inquiétant personnage ? […] Le signalement physique du personnage est purement négatif ; rien en lui que d’ordinaire et d’indéterminé. […] Le romancier mit tout son art à composer un personnage déplorable, mais nullement odieux. […] Il eût pu s’appliquer cette phrase d’un personnage de G.
Toutes les fois que le personnage reparaîtra dans le roman, ce portrait reviendra à la mémoire. […] Les principaux personnages du roman sont des prêtres ; le but de l’auteur est évidemment de peindre le clergé provincial. […] L’histoire est palpitante de vérité, les personnages vivent, on les connaît, on les aime ou on les méprise. […] Le Camus, M. et Mme May, et une quantité de personnages secondaires. […] Tu construiras un triangle, et sur chaque côté de ce triangle lu établiras une certaine quantité de personnages.
Il se préoccupe avant tout de régler, selon un ordre naturel, l’entrée, le geste, l’action et les paroles de ses personnages. […] Dans les romans de ses devanciers, un homme cesse d’être un homme pour devenir un personnage. […] Mais il a créé des monstres, et ses personnages nous apparaissent trop, vraiment, comme des fruits fantastiques de son imagination. […] Nous savons déjà que ce fut lui qui retrouva, en littérature, les justes proportions entre un personnage et les créatures des alentours. […] La vie des personnages s’écoule candidement, d’un cours monotone et régulier, tout pareil à celui d’un grand fleuve tranquille.
Les poëtes et les faiseurs de romans, continuë Monsieur Woton, comme D’Urfé, La Calprenede et leurs semblables, qui, pour avoir occasion de faire parade de leur esprit, nous peignent leurs personnages pleins à la fois d’amour et d’enjouëment, et qui en font des discoureurs si gracieux, ne s’écartent pas moins de la vraisemblance, que Varillas s’écarte de la verité. […] Il fait cesser pour un tems l’affection qu’on avoit prise pour le personnage.
Il faudrait, pour qu’elle le fût, que nous pussions prendre un peu les personnages au sérieux. […] D’où le personnage du roi Antiochus. […] On pourrait presque dire que l’unique personnage, c’est la foule des artisans miséreux : personnage à mille têtes, anonyme et grouillant, aux voix confuses. […] Les personnages, vous les reconnaîtrez. […] Il connaît bien la province, et ses personnages sont presque toujours des provinciaux.
Un des critiques de France, qui remue le plus de faits et d’idées, Philarète Chasles, avait déjà voulu percer l’obscurité qui couvre ce personnage littéraire, réel ou fictif, d’Avellaneda, et il a entassé une science énorme sur la pointe d’aiguille d’une sagacité par trop fine peut-être… Selon nous, c’était une peine de trop. […] cette admirable figure de Don Quichotte, d’où sort tant de mélancolie qui se répand dans tout le livre et pénètre jusqu’aux endroits où il semble être le plus gai, cette figure et ce sentiment, supérieurs dans l’œuvre de Cervantes à tous les personnages qui y vivent et à tous les sentiments qui s’y expriment, voilà précisément ce qui manque à l’œuvre de son continuateur. […] Il a pris le cadre ; il a pris les aventures ; il a pris les personnages : Sancho, le barbier, le curé, Dulcinée du Toboso.
Damis, lui, doit faire le personnage d’un fils dissipé. […] Tous les personnages y ont du génie, jusqu’aux femmes de chambre et aux notaires. […] Le personnage de Marie sauverait la pièce à lui seul, si elle avait besoin d’être sauvée. […] Et les personnages sont très simples, parfois très grands. […] Le personnage est curieusement étudié.
Il a entrevu des personnages et ces personnages n’ont rien fait ; il a voulu les entendre mais à peine ils ont parlé, le poète a expliqué les ressorts qui auraient pu faire agir ses marionnettes, il a montré leurs fils d’archal, mais il n’a rien mis en mouvement. […] Sous ce rapport, nous préférons Emmeline, qui de plus emprunte à l’honnêteté de ses personnages un charme rare dans les œuvres de M. […] En le créant, le poète a fait un personnage hors de la nature, et il n’a pas réussi à le rendre acceptable, en dépit de cette toute-puissante volonté. […] Dans tout ce bruit de cymbales et de tambours dont on est assourdi, on devine que la voix des personnages, bien que fort enflée, ne saurait beaucoup se faire entendre. […] On voit que Fortunio est un personnage largement inventé et que son créateur, résolu à peindre toute la félicité imaginable, s’est avancé intrépidement jusque dans le domaine de l’impossible.
Le personnage s’enflait, déployait l’envergure de ses manches, devenait gigantesque. […] Par leur costume, par leur coiffure, par leurs plaisanteries, par leur style, par toute leur allure, par les mille détails de leur vie matérielle, surtout par ceux qui nous rappellent quelle était, dans le premier quart de ce siècle, la valeur relative de l’argent, les personnages de Balzac sont plus loin de nous, en vérité, que les personnages de Beaumarchais, plus loin que les personnages des romans de Marivaux, aussi loin peut-être que les personnages du théâtre de Molière. […] Ses deux personnages sympathiques sont d’excellents républicains. […] Si l’action « se tient » merveilleusement, les personnages se tiennent encore mieux. […] Il voulait que la mer fût tout le temps sous nos yeux, jouât le rôle de grand personnage muet.
Les personnages virils. — Les passions furieuses. — Les événements tragiques. — Les caractères excessifs. — Le duc de Milan de Massinger. — L’Annabella de Ford. — La duchesse de Malfi et la Vittoria de Webster. — Les personnages féminins […] Pareillement ici les personnages se démènent et hurlent, frappent la terre du pied, grincent les dents, montrent le poing au ciel. […] Comme les personnages qu’ils imaginent, les poëtes et les spectateurs font des gestes, tendent leurs voix, et sont acteurs. […] C’est l’unité d’un caractère qui lie deux actions du personnage, comme c’est l’unité d’une impression qui lie deux scènes du drame. […] Personnages de Bosola, de Flaminio.
On veut que la physionomie du personnage soit demeurée dès ce jour-là dans la mémoire du futur auteur du Tartuffe. […] Elle sut y attirer le concours de personnages célèbres, mais on n’y sacrifia guère qu’à l’afféterie. […] Mais ses personnages, toujours spirituels, sont rarement vrais ; et c’est plus souvent lui qui parle que le tuteur de Rosine et l’amant de Susanne. […] Baron, alors âgé de treize ans, fut chargé du personnage de Myrtil dans Mélicerte. […] Les sentiments et les rôles de ces divers personnages devaient bientôt changer de nature ; mais n’anticipons pas sur les événements.
Nous ne reconnoissons pas nos amis dans les personnages du poëte tragique, mais leurs passions sont plus impetueuses ; et comme les loix ne sont pour ces passions qu’un frein très-foible, elles ont bien d’autres suites que les passions des personnages du poëte comique.
Le comte de Belcamp est un personnage taillé sur ce patron. […] Ses personnages sont ses créatures, il est bien maître d’en faire ce qu’il veut. […] Or, comptez tous les personnages du roman. […] Si le personnage de M. […] Suite du récit. — Nouveaux personnages. — Paul De Kock après M.
Tels de ses personnages sont Italiens de pied en cap. […] Il emprunta, pour répéter encore le mot, les costumes, mais il inventa et donna l’âme à ces personnages. […] Ce fougueux personnage se nommait Pierre Roulès et il était curé de Saint-Barthélemy. […] Que de personnages s’agitent entre ces deux pièces, tous si vivants qu’on les connaît mieux que des personnages de chair et d’os ! […] Ces personnages sont les fils de son génie.
Tout le monde est plus ou moins communiste ici, dans le singulier monde où s’agitent les personnages du roman : M. […] Cardonnet excepté) a les deux caractères obligés des personnages : l’héroïsme du cœur et l’argumentation intarissable. […] Ce ne sont des personnages ni complètement réels, ni complètement allégoriques. […] Il importe peu que ce soit un chapitre de psychologie intime, où les personnages réels du drame de sa vie peuvent se reconnaître eux-mêmes sous des noms nouveaux. […] Je n’y échappai, ce jour-là, que grâce à l’absence des principaux personnages de l’illustre théâtre.
À peu près, disons-nous, car ce ne fut pas sans subterfuges que Goethe parvint à faire, du personnage de son choix, un héros national. […] Quelques traits, empruntés à une autre aventure, également authentique et personnelle, et à des personnages différents : pour avoir combiné ce mélange, Goethe se comparait à Praxitèle. […] Le troisième personnage du roman, Albert, est dessiné de main de maître. […] Autour de ces hauts personnages, gravitait le petit monde des ministres, des chambellans, des dames de cour, des courtisans, des lettrés appelés à la résidence. […] Le capitaine, en effet, est un galant homme, actif et intelligent comme tous les personnages de Goethe, d’une âme droite, d’un caractère solidement trempé.
Ô le grand personnage ! […] Beaucoup de princes et de grands personnages la faisaient venir dans leurs hôtels. […] Il était sur le théâtre, comme c’était encore l’usage, alors, pour beaucoup de grands personnages. […] Trois fois cette admirable tragédie fut jouée à la Cour par ces grands personnages. […] Préville y faisait six personnages, avec un talent, un entrain qui ne contribuèrent pas peu au succès.
Des personnages de son théâtre, aux héros de la Légende des Siècles aux femmes et aux enfants qui traversent certains poèmes, tous sont ainsi peints au décuple, saisis une première fois d’un coup, repris, traités à nouveau, enclos de mille contours semblables et déviants, obsédés et retouchés par une main sans cesse retraçante. De même pour la psychologie des personnages que M. […] A tous les tournants des drames ou des romans, se passent des coups de théâtre, de poignantes alternatives, des luttes de conscience entre deux devoirs, des ironies tragiques qui font dire ou faire à un personnage le contraire de ce qu’il veut de toute son âme. […] Hugo entend l’âme de ses personnages. De même que ses phrases, ses poèmes, ses recueils, ses romans et ses drames sont le développement d’antithèses de plus en plus générales, ses personnages sont presque tous de nature double, comme dimidiés portant en eux la lutte constante ou passagère de deux passions adverses, constitués contradictoirement dans leur âme et dans leur corps, dévoyés par une crise qui retranche leur existence antérieure de leur existence actuelle.
C’était une conséquence du système de Corneille, qui faisait ses héros tout d’une pièce, bons ou mauvais de pied en cap ; à quoi Racine répondait fort judicieusement : « Aristote, bien éloigné de nous demander des héros parfaits, veut au contraire que les personnages tragiques, c’est-à-dire ceux dont le malheur fait la catastrophe de la tragédie, ne soient ni tout à fait bons ni tout à fait méchants. […] Il faut donc qu’ils aient une bonté médiocre, c’est-à-dire une vertu capable de faiblesse, et qu’ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester. » J’insiste sur ce point, parce que la grande innovation de Racine et sa plus incontestable originalité dramatique consistent précisément dans cette réduction des personnages héroïques à des proportions plus humaines, plus naturelles, et dans cette analyse délicate des plus secrètes nuances du sentiment et de la passion. […] Telle est la situation d’esprit des trois personnages principaux au moment où Racine commence sa pièce. […] C’est elle que je me suis surtout efforcé de bien exprimer, et ma tragédie n’est pas moins la disgrâce d’Agrippine que la mort de Britannicus. » Et malgré ce dessein formel de l’auteur, le caractère d’Agrippine n’est exprimé qu’imparfaitement : comme il fallait intéresser à sa disgrâce, ses plus odieux vices sont rejetés dans l’ombre ; elle devient un personnage peu réel, vague, inexpliqué, une manière de mère tendre et jalouse ; il n’est plus guère question de ses adultères et de ses meurtres qu’en allusion, à l’usage de ceux qui ont lu l’histoire dans Tacite. […] Des reproches analogues peuvent s’adresser aux caractères et aux discours des personnages.
D’abord il a su placer ses personnages dans leur milieu, créer autour d’eux comme une atmosphère ecclésiastique. […] Et l’on assiste à des messes, à des pèlerinages, à des conférences ecclésiastiques ; on comprend que monsieur le curé-doyen de Bédarieux est un personnage et aussi monsieur l’archiprêtre de la cathédrale ; et l’on conçoit tout ce qu’il y a dans ce mot : « Monseigneur ». […] Ferdinand Fabre fait quelquefois parler ses personnages comme ils écriraient, en style de mandement ; mais cette convention, si c’en est une, est des plus efficaces pour l’effet général de ses peintures. […] C’est un grand signe pour un romancier qu’on puisse s’attarder si longtemps sur chacun de ses personnages et qu’on y sente de tels « dessous ». […] Les paysages sont rudes, les personnages simples et violents.
La pièce met en scène des personnages chimériques, agités par des incidents fantastiques ; elle crée un monde à la renverse, où tout est retourné et défiguré : le sens dessus dessous est complet. […] C’est une de ces positions où il faut se garder de mettre un personnage sur lequel on veut porter l’intérêt. […] Nous reparlerons de ce personnage non moins impossible que ceux qui l’entourent. […] Le personnage parasite de l’Étrangère ne s’incorpore pas à la pièce ; il y est plaqué. […] C’est un personnage assez insignifiant, par lui-même, que celui de ce gentilhomme désœuvré et d’esprit borné.
Mézeray, qui ne songe pas au drame, nous fait cependant connaître d’abord ses personnages principaux : il les montre surtout en action, sans les trop détacher des sentiments et des intérêts plus généraux dont ils sont les chefs et les représentants, mais en laissant néanmoins à chacun sa physionomie propre. […] Quoi qu’il en soit, en toute occasion, et lorsqu’il rencontre des opinions de cette nature chez quelques-uns des personnages de l’histoire, Mézeray les touche évidemment avec plaisir et les fait valoir d’un mot. Au moment où la guerre civile s’organise et où les huguenots devenus puissants, enhardis par la première faveur de Catherine de Médicis et par les édits de L’Hôpital, agitent un grand dessein de confédération par toute la France, Mézeray énumère les diverses opinions produites dans leurs conseils, dont quelques-unes n’allaient à rien moins qu’à transférer la couronne de la tête du roi sur celle du prince de Condé, et à remettre le royaume en plusieurs souverainetés particulières comme du temps de Hugues Capet ; puis il ajoute, en doutant que l’amiral de Coligny y ait jamais pu consentir : Pour l’Amiral et le prince de Portian (Antoine de Croÿ) : comme c’étaient deux âmes libres et qui se piquaient du bien public, ils témoignaient avoir envie de rétablir l’ancienne liberté française, en faisant en sorte que cette monarchie, fût gouvernée par le conseil de plusieurs des plus prudents personnages, et que l’autorité du monarque fût restreinte à certains termes, etc. […] Ce qu’il faut dire à l’honneur de sa véracité comme historien, c’est que ce fonds d’opinion et d’humeur, encore plus que de principes, ne le mène point à altérer les faits ni à favoriser quelques-uns de ses personnages au détriment des autres. […] Mézeray, nous racontant la Saint-Barthélemy et le contrecoup de cette nuit sanglante dans les provinces, me fait l’effet d’un historien qui raconterait les massacres de Septembre après en avoir recueilli toutes les circonstances dans les auteurs originaux et de la bouche de quelques témoins survivants : un historien qui déroulerait aujourd’hui, comme il le fait, la longue traînée de forfaits qui s’alluma à ce signal dans les provinces, la bande de massacreurs en bonnets rouges à Bordeaux, les massacres des prisons à Rouen en dépit du gouverneur, « si bien qu’il y fut assommé, tué ou étranglé six ou sept cents personnes qu’ils appelaient par rôle les uns après les autres », les scènes de Lyon qui surpassèrent tout le reste en horreur, arquebusades, noyades dans le Rhône, le tout par le commandement de Pierre d’Auxerre, homme perdu de débauche, arrivé tout exprès de Paris, le Collot d’Herbois de ce temps-là ; — un historien qui écrirait, de nos jours, ces mêmes pages de Mézeray, paraîtrait avoir voulu faire des allusions aux personnages et aux événements de la Révolution française : et c’est en cela que le récit de Mézeray me paraît préférable à tous autres et d’un intérêt inappréciable, en ce que l’historien, encore à portée de ces temps, a résumé dans son propre courant tous les narrateurs originaux du xvie siècle, et qu’en nous rendant naïvement les faits et les impressions qu’ils excitent, il nous en fait sentir l’expérience toute vive, sans soupçon de complication ni de mélange.
Les collèges leur fournissent un public, des acteurs : et voilà comment Michel de Montaigne note parmi les faits mémorables de sa jeunesse d’avoir, à l’âge de douze ans, vers 1545, « soutenu les premiers personnages ès tragédies latines de Buchanan, de Guérente, et de Muret », qui se représentaient « avec dignité » au collège de Guyenne, sous l’habile direction du principal André Gouvéa. […] Rien du style ni de la poésie, ni du pittoresque de Virgile ne subsiste ; mais l’action, la vie, la lutte, Hardy a senti tout cela : il dégage très justement les situations, et, dans son plat jargon, il fait dire aux personnages précisément ce qu’il faut qu’ils disent. […] Il n’avait laisse autour des deux amants que les personnages nécessaires à l’explication de leur fortune : s’il a gardé l’infante, c’est par une erreur imputable aux préjugés mondains de son temps. […] Le Cid et Chimène restent des personnages de roman, mais des personnages de roman qui seraient vrais et sensés.
Le farouche écrivain développe, exprime violemment, abondamment — et longuement — les actes et les sentiments de ses personnages : il ne les explique jamais, et ne saurait en effet les expliquer sans éliminer le diable — auquel il tient plus qu’à tout. […] M. d’Aurevilly a, comme Balzac, des extases et des émerveillements bruyants devant ses personnages. […] Quelle que soit dans son personnage la part de la nature et de la volonté, la constance, la sûreté, la maîtrise infaillible avec lesquelles il a soutenu ce rôle ne sont pas d’un médiocre génie. […] Quelle force d’âme, quand on y songe, dans cet acharnement à garder jusqu’au bout, en présence des autres hommes, l’apparence et la forme extérieure du personnage spécial qu’on a rêvé d’être et qu’on a été !
Quels sont les personnages le plus ordinairement drapés dans le théâtre de Molière ? […] L’identité d’inspiration se retrouve jusque dans le choix des personnages de la charmante nouvelle allégorique que Furetière a, suivant le goût du temps, intercalée dans la seconde partie de son roman. […] La maison du procureur, son intérieur, son mobilier, son jargon, ses plaisirs, le caquet de sa femme, et jusqu’au menu de ses repas et de ses festins, y sont pour la première fois décrits avec la fidélité et la minutie d’un procès-verbal ; les personnages s’y montrent non pas tels qu’il a plu au romancier de les faire, mais tels qu’ils ont dû être rigoureusement par rapport à leur époque et à leur fonction, et l’on sent parfaitement, à la façon dont ils se conduisent, que l’auteur se préoccupe bien moins de leur faire jouer un rôle que d’accuser scrupuleusement jusqu’aux moindres circonstances de leurs habitudes et jusqu’aux moindres détails de leur physionomie. […] Les trois épisodes dont il se compose se relient, il est vrai, entre eux, par l’intervention des mêmes personnages, à peu près comme se relient les différents épisodes de la Comédie humaine.