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396. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

L’ouvrage, enfin imprimé, devait paraître dans quelques jours et récompenser par une légitime admiration les longues veilles de l’écrivain, quand un ordre arbitraire du ministre de la police, Savary, duc de Rovigo, fit mettre en pièces les dix mille exemplaires. […] Cette mesure fut suivie d’un ordre de sortir de France dans le délai de trois jours. […] « Il ne faut point rechercher la cause de l’ordre que je vous ai signifié dans le silence que vous avez gardé à l’égard de l’empereur dans votre dernier ouvrage, ce serait une erreur : il ne pouvait pas y trouver une place qui fût digne de lui. […] Corbigny de tenir la main à l’exécution de l’ordre que je lui ai donné, lorsque le délai que je vous accorde sera expiré. […] Mathieu de Montmorency et madame Récamier, deux cœurs tentés par le péril quand il fallait avouer ou consoler l’amitié, bravèrent cet ordre et subirent la peine de leur courageuse générosité.

397. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Chaque loi nouvelle devient ainsi un élément plus précis et plus délicat de l’ordre. […] La solution de cette antinomie semble être dans une sorte de panthéisme ; ce qu’on appelle la matière et l’esprit n’est peut-être que deux ordres de phénomènes irréductibles l’un à l’autre, en tant qu’ils relèvent de deux modes distincts de l’être universel, mais trouvant leur fondement dans cet être unique et commun. […] Ce que nous appelons le mal en dehors de nous n’est qu’un moyen fatal, la condition d’un ordre qui nous dépasse infiniment. […] Les choses reprennent ainsi leur ordre et leur proportion ; la Terre n’est qu’un des plus petits corps de l’infini céleste, mais elle vaut mieux que le plus beau soleil, parce qu’elle a fait l’homme et que l’homme a trouvé la justice dans son cœur. […] Car l’ordre nécessaire, ou le plaisir divin, Fait d’un même sépulcre un même réfectoire À d’innombrables corps, sans relâche et sans fin.

398. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

— ce n’est pas tout non plus que de refaire, dans l’ordre des idées, la fantaisie du Roi de Bohême et ses sept châteaux, de cet aimable Nodier, qui avait, lui, de l’humour, et non de l’humeur ; qui était un poète, non un philosophe… politique ! […] , qu’il fait peut-être la place à l’Ordre, tout en croyant la faire à la Révolution. […] Dialecticien irrésistible, incomparable, quand il forge et scelle les uns dans les autres tous les anneaux de la chaîne d’un raisonnement, d’une propulsion à tout renverser dans l’ordre logique, Proudhon est certainement le polémiste le plus redoutable qu’ait eu la langue française. […] Pour bien comprendre la différence de la vigueur de ces deux hommes, partis tous les deux du principe de Descartes (l’examen individuel), qui n’était en somme que le principe protestant tombé de l’ordre religieux dans l’ordre métaphysique pour retomber dans l’ordre politique, comme toujours, il n’y a qu’à regarder leur point d’arrivée… Après Rousseau, que n’y a-t-il pas ? […] » ni tout ce qui rogne et diminue le monstre de ses théories, n’empêcheront qu’il ne soit un coupable au premier chef dans l’ordre de la pensée, un de ces grands criminels qu’il faudrait envoyer, les larmes aux yeux, à l’échafaud, si, dans l’ordre de la pensée, il y avait des échafauds !

399. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Il voulait, dit-on, les unir, les coordonner suivant les matières pour en former un volume nouveau : il aurait mieux fait de suivre simplement l’ordre des dates et de recueillir tout ce qui avait gardé de l’intérêt. […] Scribe, par exemple, était à l’ordre du jour, il y a quelques semaines. […] Charles Magnin ; mais pour un mandarin de cet ordre, une visite, une démarche directe à l’égard d’un inférieur, qui en même temps se montrait un juge si indépendant, semblait chose grave, insolite. […] J’y reviens avec plaisir, et j’insiste désormais sur cet ordre de services par lesquels il survivra aux souvenirs de sa génération et laissera un nom dans la science. […] Il n’affichait rien, mais on savait son nouvel ordre d’idées, et l’on respectait sa solitude.

400. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

L’exposition de Bajazet paraît d’un ordre infiniment supérieur. […] Où trouverait-on, dans la nature, des hommes raisonnables qui parlassent ainsi tout haut, qui prononçassent distinctement et avec ordre tout ce qui se passe dans leur cœur ? […] Ainsi, le dialogue sera d’autant plus parfait, qu’en observant scrupuleusement cet ordre naturel, on n’y dira rien que d’utile, et qui ne soit, pour ainsi dire, un pas vers le dénouement. […] On a cité, avec raison, comme une beauté de dialogue du premier ordre, la cinquième scène du troisième acte de Cinna. […] Cependant, malgré cet ordre, dès que l’empereur arrive à ces vers : Cinna, tu t’en souviens, et veux m’assassiner !

401. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

« La fantaisie de voyager m’était entrée quelque temps auparavant dans l’esprit, comme si j’eusse eu des pressentiments de l’ordre du Roi. » Cet ordre du roi devait s’appliquer à lui, et il est difficile, ce me semble, de ne pas en convenir. « Là (c’est-à-dire quand ils sont arrivés à Bourg-la-Reine), là se doit trouver un valet de pied du Roi (expression amusante de La Fontaine pour dire un exempt, un officier de police) qui a ordre de nous accompagner jusques à Limoges. » Qui a ordre de nous accompagner. […] Mais nous jugeâmes qu’il valait mieux obéir ponctuellement aux ordres du Roi. » La Fontaine, cette fois, a envie de rester quelque part et de laisser Jannart aller en avant, seulement il dit : « Non, il vaut mieux obéir ponctuellement aux ordres du roi. » Il semble bien qu’il doit y obéir lui personnellement, et, pour moi, je crois à un voyage forcé. […] Remarquez que, même dans ses Contes et dans ses Fables, il est moraliste, et de premier ordre, c’est-à-dire qu’il parle avec infiniment de perspicacité, de grâce, de malice et quelquefois de profondeur, des vertus, peu, mais des ridicules et des vices des hommes.

402. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

Noble historien de la Grande Armée, témoin véridique de nos grandeurs et de nos héroïques désastres, vous avez mérité aussi que l’on dise de vous que vous êtes le juge d’instruction modèle dans cet ordre pacifique des vertus. […] Et elle n’a pas le dévouement seul : elle a l’esprit d’ordre et d’administration, comme il en faut dans tout ce qui dure. […] De tels actes, une telle activité bienfaisante et, pour tout dire, une telle agence de charité instituée et gouvernée pendant des années par une simple particulière, n’ont pas été sans attirer les regards des supérieurs dans l’ordre spirituel. […] L’état le plus naturel à l’homme qui étudie, comme à celui qui compose avec suite, même dans l’ordre de l’imagination, et qui par conséquent a besoin de longues heures de travail, est encore la vie domestique, régulière, intime. […] En fait, les grands projets dits de Propriété littéraire, soumis à des Commissions ou à des Chambres, le projet de 1825, celui de 1844 devant la Chambre des députés et celle des pairs, la question reprise à fond par ordre de l’Empereur, et soumise en 1864 à une Commission présidée par M. le comte Walewski, n’ont pu aboutir et se traduire en loi, malgré les lumières et les talents combinés, qui, certes, n’y ont pas fait faute.

403. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

Il dédie son livre à la mémoire de l’abbé Séguin, vieux prêtre, son directeur, mort l’année dernière à l’âge de quatre-vingt-quinze ans : « C’est pour obéir aux ordres du directeur de ma vie que j’ai écrit l’histoire de l’abbé de Rancé. […] Avant le moment de sa conversion, Rancé fut député du second ordre à l’Assemblée générale du Clergé qui se tint dans les années 1655-1657 ; il y eut un rôle assez actif et même d’opposition à la Cour, au moins en ce qui concernait les intérêts du cardinal de Retz, son ami, qu’on voulait déposséder. […] Ainsi la réforme de la Trappe elle-même, bien qu’entamée en 1662 seulement, ne se modela sur aucune autre du siècle ; elle fut œuvre originale et ne se rattache par l’imitation qu’aux premiers temps de l’Ordre : de là sans doute la rudesse et quelques excès.  […] Ce n’était là qu’un commencement, et le grand expiateur, comme M. de Chateaubriand l’appelle, s’essayait à peine, lorsqu’il fut encore retardé dans son ardeur et obligé par obéissance de se rendre à Paris à une assemblée de son Ordre, puis député à Rome pour y soutenir les intérêts communs. […] Une partie de l’Ordre de Citeaux s’était réformée, et prétendait assez naturellement échapper à la juridiction du général qui n’admettait pas cette réforme ; mais il y avait là aussi une question de  régularité et de discipline ; Rome était saisie de l’affaire et paraissait, selon son usage, plus favorable à la chose établie qu’à l’innovation, même quand cette innovation pouvait n’être dite qu’un retour.

404. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre III. Littérature didactique et morale »

Hier c’était au jésuite qu’il en avait : au xiiie  siècle, c’était aux jacobins, aux cordeliers, en un mot aux ordres mendiants. Jean de Meung qui admet le Temple et l’Hôpital, les chanoines de Saint-Augustin et l’ordre de Saint-Benoît, est un des plus terribles ennemis que les moines mendiants aient rencontrés. […] Ce bourgeois rangé, prudent, pieux, en veut aux mendiants de leur vie quémandeuse et fainéante, de leurs richesses acquises sans travail ; il leur eu veut de se substituer aux séculiers, de prêcher, de confesser et d’absoudre dans les paroisses, au nez des curés désertés et affamés ; et ses rancunes d’écolier irritant ses haines de bourgeois, il leur en veut de leur intrusion dans les chaires de l’Université, de la défaite et de l’exil de Guillaume de Saint-Amour ; il prend à celui-ci, qui peut-être avait été son maître, des chapitres entiers, notamment du livre des Périls des derniers temps, et les tourne en vers français à la confusion de l’ordre de Saint-Dominique et de tous ces nouveaux frères dont l’oisiveté et l’hypocrisie menacent de perdre la Sainte Église. […] L’Évangile est sa règle, il s’y tient, il le défend : il dispute contre ceux qui lui semblent s’en éloigner, il se fait le champion de l’ancienne foi contre les nouveautés de l’Évangile éternel, et c’est pour purifier la religion, qu’il fait une si rude guerre à la corruption de l’Église, aux vices des ordres monastiques. […] Il ressemble surtout à Rabelais : c’est la même érudition encyclopédique, la même prédominance de la faculté de connaître sur le sens artistique, la même joie des sens largement ouverts à la vie, le même cynisme de propos, le même fatras, la même indifférence aux qualités d’ordre, d’harmonie, de mesure.

405. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

Et je remarque enfin qu’au-delà de la métaphysique et de ses émanations de l’ordre pratique, Montaigne travaille à nous faire douter des formes multiples où nous réalisons nos instincts, à nous persuader que ces formes, toutes relatives à nous, ne sont pas ces instincts, ni ne leur sont essentielles ; que donc nous ne devons pas nous opposer, nous diviser par là, ni refuser de voir nos semblables dans des hommes qui ne prient pas, ne parlent pas, ne s’habillent pas comme nous : est-ce raison d’assommer des sauvages parce qu’ils ne portent pas de hauts-de-chausses ? […] Comment Montaigne, qui prescrit si bien d’endurcir et d’assouplir le corps, ne veut-il pas soumettre l’âme à une pareille méthode, au même ordre sévère d’exercices et d’entraînement ? […] L’ordre manque, et le raisonnement, et les proportions. […] En politique, il achète la paix, l’ordre, de l’entière soumission au pouvoir absolu. […] Il résignea son office de conseiller en 1570, et reçut en 1571 l’ordre de Saint-Michel.

406. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

Cet équilibre est le soutien de l’ordre, dans le moral, comme dans le physique : or, la Religion l’établit ce juste équilibre, & la raison qui le méconnoît & voudroit le rompre, n’est plus une raison, c’est une phrénésie. […] Dans l’ordre de la Nature, les connoissances sont imparfaites, les vérités incertaines, les erreurs fréquentes, les expériences trompeuses, les raisonnemens abusifs ; tout est équivoque, rien n’est assuré : cependant les systêmes de Talès, de Pythagore, d’Epicure, de Ptolomée, de Descartes, ont eu leurs partisans ; & ceux de Copernic, de Newton, de Leibnitz, de Néedhan, de Buffon, ont aujourd’hui les leurs. […] Un Gouvernement éclaire aura bien le même but ; mais il ne maintiendra l’ordre & la subordination de chaque individu, qu’autant que la Religion lui prêtera son secours ; car il faut nécessairement l’action d’une Puissance qui influe sur les cœurs, qui les adoucisse, les réprime, les compose & en écarte les passions tumultueuses, dont l’impétuosité bouleverse les plus solides établissemens. […] Dans l'ordre philosophique, tout est permis, rien ne réclame, point de motif qui ramene au devoir ; les injustices, les crimes, les atrocités se consomment & subsistent sans aucune rétractation : l'endurcissement le plus absolu contre toute espece de considération, n'est-il pas en effet une suite nécessaire de l'incrédulité ? […] Quel fanatisme plus utile, que celui qui maintiendroit l’ordre, au milieu du désordre apparent, qui charmeroit les douleurs & les maux les plus pénibles à supporter ?

407. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Un des signes auxquels il est possible de reconnaître les hommes de premier ordre est, semble-t-il, un certain sceau d’uniformité dont toutes leurs œuvres sont marquées. […] Ici, comme dans La Tentation, Flaubert a fait une double application du mode de vision à travers lequel il perçoit les réalités de tout ordre. […] Or cet examen tend à montrer que l’observation des phénomènes de tout ordre a donné lieu à des interprétations diverses, successives et contradictoires ; il fait voir, qu’au gré de la prédilection des auteurs, les problèmes les mieux étudiés reçoivent encore, les solutions les plus variables. […] De là, la relativité de toutes les conclusions scientifiques dès qu’elles touchent à un ordre de phénomènes quelque peu complexe. […] La foi populaire en l’absolu de la science repose donc sur une croyance latente en l’existence d’une cause première d’où l’ordre phénoménal pourrait être déduit dans son entier.

408. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

2° Dans l’invention intellectuelle, l’ordre des phénomènes est renversé. […] Or notre langue maternelle ne nous est devenue familière qu’avec le temps, et les réflexions que nous trouvons toutes simples aujourd’hui, enfants, elles eussent fait honneur à notre sagacité ; enfin, l’inspiration et la verve supposent un esprit cultivé et exercé : d’ordinaire, on n’est inspiré que dans l’ordre d’idées sur lequel la réflexion se porte de préférence ; le génie, a-t-on dit, est une longue patience ; en d’autres termes et plus exactement, la découverte est l’effet et la récompense d’une longue et patiente recherche ; si l’on trouve sans chercher, c’est qu’on avait cherché sans trouver244. […] Pour cela, il faut organiser un certain nombre de termes usuels en une combinaison nouvelle ; les qualités et les défauts de la formule dépendent du choix des termes et de l’ordre dans lequel ils sont groupés ; une formule parfaite serait celle qui éveillerait nécessairement dans tout esprit exercé l’idée même dont les destinées lui sont confiées par le penseur. […] L’expression aisée ne manquera point, non plus qu’un ordre lumineux. »] quid valeant humeri peut se traduire : le sujet auquel on se sent préparé par des études antérieures. […] C’est pour cela même qu’en rangeant ses idées dans leur ordre véritable on est tristement forcé de renoncer à une foule de choses qu’on voudrait dire et que le bon arrangement à lui seul réfute et repousse comme contradictoires à ce qu’on entend prouver. » 254.

409. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Pour le moment, j’attends dans une jolie petite ville de Bourgogne l’ordre de partir faire bravement mon devoir de Français et de bon citoyen, ordre qui ne tardera guère… Si je n’en reviens pas, conservez le souvenir de votre instituteur qui vous a bien aimés et qui vous embrasse tous en vous invitant à crier ; « Vivent les Républiques et les Peuples libres !  […] Le vieux Corneille donnerait une place dans son œuvre à ces hommes raidis, cabrés, furieusement concentrés dans l’idée qu’ils ne veulent pas obéir, et qui se soumettent souvent avec une espèce de tendresse virile aux disciplines de l’armée et aux ordres des « galonnards ».‌ […] Nous nous défendons premièrement contre des monstres, des monstres sensés qui vont au fond de tout, même du crime. » — « Cette race est basse, elle sera vaincue et déshonorée. »‌ Au 19 novembre 1914, il fait cette réflexion : « La plus grande grandeur de cette guerre, il me semble, je la vois dans ceci qu’elle rend immédiat, universel l’ordre de la mort, et possible l’ordre de la justice. […] » Nous, les modérés — lire, les réactionnaires — dans la Presse de l’Enseignement, par principe, par respect pour l’ordre, la discipline, nous soutenions l’Administration, qui ne nous en savait aucun gré, on devine pourquoi, et logiques, également, nous tapions dur sur les syndicalistes, les révolutionnaires, ennemis de toute autorité.‌

410. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — II. (Suite.) » pp. 155-174

Au moment où il débouche du côté de Beuron, le cortège est rencontré par la chasse du roi qui est éparse dans la plaine ; on nous a décrit l’ordre et la marche du convoi et de l’ovation. […] Revenant alors en toute hâte, Rosny et ses compagnons trouvent le roi réveillé, « se promenant dans un jardin et venant de hocher un prunier de damas blanc, qui portait les plus belles et meilleures prunes (à ce que vous me dîtes me contant tout ceci, écrit le fidèle secrétaire), que vous ayez jamais mangées ; auquel, en l’abordant, vous criâtes : “Pardieu, sire, nous venons de voir passer des gens qui semblent avoir dessein de vous préparer une collation de bien autres prunes que celles-ci, et un peu plus dures à digérer, si vous ne montez promptement à cheval pour aller donner ordre à votre armée…” ». — Toute cette scène, le cri soudain de Henri IV, « Des chevaux ! […]  » les ordres qu’il envoie à l’instant, l’alerte donnée aux plus prochains quartiers, et sa présence d’esprit, son coup d’œil qu’il avait toujours le plus ferme et le plus judicieux, une fois en selle et l’épée au poing, sont rendus d’une manière vive et des plus françaises. […] Henri IV lui ayant exposé la question complète telle qu’elle s’agitait alors au sujet de sa religion, et lui ayant recommandé d’y bien réfléchir, lui dit qu’il le renverrait quérir dans trois ou quatre jours ; car c’était la coutume de Rosny, lorsqu’il était consulté par le roi, de demander du temps pour y penser ; il réfléchissait durant plusieurs nuits aux choses sans fermer la paupière, et mettait en ordre avec méthode tout ce qui lui venait dans l’esprit, afin de le déduire ensuite de point en point. […] Rosny fut l’homme qui, le premier, mit ordre à ces licences et qui établit l’exactitude et la probité dans le service du roi.

411. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Ne lui demandez pas plus de chaleur ni de sympathie pour cet ordre de sentiments ou de vérités ; il a du lettré chinois dans sa manière d’apprécier les religions. […] À partir de cet âge, couronné par les règnes d’Antonin et de Marc-Aurèle, la décadence commence, et Gibbon va en retracer l’histoire avec exactitude, avec regret, en s’attachant à tout ce qui la retarde, en répugnant à tout ce qui l’accélère ; une belle histoire où le génie de l’ordre, de la méthode, de la bonne administration, domine ; une narration revêtue de toutes les qualités fermes, continues et solides, qui la font ressembler, jusque dans ses dégradations successives et inévitables à travers les temps barbares, à une large chaussée romaine. […] Ce qui perce surtout dans cet Essai, et ce qui sera l’esprit même de la méthode de Gibbon, c’est de ne jamais sacrifier un ordre de faits à un autre, de ne pas accorder plus d’autorité qu’il ne faut à un accident saillant, de se tenir également éloigné de la compilation qui coud des textes à la suite, et du système absolu qui y tranche à son gré […] Gibbon lui-même, qui avait qualité de premier capitaine, fut d’abord à la tête de sa propre compagnie et ensuite de celle des grenadiers ; puis, dans l’absence des deux officiers supérieurs, il se trouva de fait chargé par son père de donner des ordres et d’exercer le bataillon. […] C’est bien le même homme qui, se jugeant plus tard à l’âge de cinquante-quatre ans, presque au terme de sa carrière, disait de lui encore : « Le sol primitif a été considérablement amélioré par la culture ; mais on peut se demander si quelques fleurs d’illusion, quelques agréables erreurs n’ont pas été déracinées avec ces mauvaises herbes qu’on nomme préjugés. » Culture, suite, ordre, méthode, une belle intelligence, froide, fine, toujours exercée et aiguisée, des affections modérées, constantes, d’ailleurs l’étincelle sacrée absente, jamais le coup de tonnerre : c’est sous ces traits que Gibbon s’offre à nous en tout temps et dès sa jeunesse.

412. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Sa mère s’y oppose ; elle veut que chacun reste sinon dans son état, du moins dans son ordre. […] Celle-ci a bien des défauts sans doute ; elle a aussi ses grossièretés, ses restes de détails matériels, ses affectations de sentiment ; on y voit l’échafaudage ; mais l’élévation y est, mais on entre décidément dans un ordre supérieur et habituel de pensées attachantes et de nobles désirsi : laissez-en la première partie, ne prenez que la seconde : un souffle d’immortalité y a passé. […] Il n’y faut voir que cela, sans s’inquiéter du plan ni de l’ordre qui demeure arbitraire et assez obscur. […] En parlant des gens de lettres, il est à la fois orgueilleux et modeste ; il a le sentiment de la puissance croissante de son ordre : « Cependant de tous les empires, celui des gens d’esprit, dit-il, sans être visible, est le plus étendu. […] [1re éd.] un ordre supérieur et habituel de pensées et de nobles désirs

413. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Persévérance et uniformité ardente, qui le tint toujours à l’abri de tout échec et de tout soupçon ; qui se sent et transpire dans tout ce qu’il profère et enseigne, et qui lui assurait, dans l’ordre moral et chrétien, une autorité que nul en son siècle n’a surpassée, pas même Bossuet ! […] D’Aguesseau a très bien loué en Bourdaloue « la beauté des plans généraux, l’ordre et la distribution qui règnent dans chaque partie du discours, la clarté et, si l’on peut parler ainsi, la popularité de l’expression 66, simple sans bassesse et noble sans affectation ». […] La foi avec tous ses motifs n’y ferait plus rien : dégagés que nous serions de ce souvenir de la mort, qui, comme un maître sévère, nous retient dans l’ordre, nous nous ferions un point de sagesse de vivre au gré de nos désirs, nous compterions pour réel et pour vrai tout ce que le monde a de faux et de brillant ; et notre raison, prenant parti contre nous-même, commencerait à s’accorder et à être d’intelligence avec la passion. […] Il lui a appliqué très ingénieusement, pour la savante disposition des plans et la distribution des diverses parties, le mot de Quintilien qui compare cette sorte d’orateur tacticien à un général habile qui sait ranger ses troupes dans le meilleur ordre. Bourdaloue a donc, comme on dit, l’imperatoria virtus, cette qualité souveraine de général qui fait que tout marche en ordre et à son rang ; que rien ne s’ébranle sans le mot du chef.

414. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Les Pensées de Pascal, recueillies et mises en ordre par ses amis, étaient pour la première fois livrées au public, et ravivaient ce souvenir des Provinciales, qui était la blessure toujours saignante de la Société de Jésus. C’est au milieu de ces circonstances (que je ne puis ici qu’esquisser légèrement, mais bien faites pour inspirer une curiosité dont nous n’avons plus idée), que le jésuite Bourdaloue, montant avec éclat dans les chaires de la capitale et dans celle des Tuileries, venait inopinément relever, soutenir l’honneur de son ordre, et planter à son tour le drapeau d’une prédication pressante, éloquente, austère. […] La Bruyère a très finement touché ce coin singulier, et ce travers d’être en tout l’opposé du commun des mortels, dans le portrait qu’il a donné de Tréville sous le nom d’Arsène (chapitre « Des ouvrages de l’esprit ») : Arsène, du plus haut de son esprit, contemple les hommes, et, dans l’éloignement d’où il les voit, il est comme effrayé de leur petitesse : loué, exalté et porté jusqu’aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s’admirer réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu’il a, posséder tout celui qu’on peut avoir, et qu’il n’aura jamais : occupé et rempli de ses sublimes idées, il se donne à peine le loisir de prononcer quelques oracles : élevé par son caractère au-dessus des jugements humains, il abandonne aux âmes communes le mérite d’une vie suivie et uniforme, et il n’est responsable de ses inconstances qu’à ce cercle d’amis qui les idolâtrent ; eux seuls savent juger, savent penser, savent écrire, doivent écrire… À l’heure dont nous parlons, Tréville n’avait point encore eu d’inconstance proprement dite, mais une simple conversion ; seulement il l’avait faite avec plus d’éclat et de singularité peut-être qu’il n’eût fallu et qu’il ne put le soutenir : il avait couru se loger avec ses amis du faubourg Saint-Jacques, il avait rompu avec tous ses autres amis ; il allait refuser de faire la campagne suivante sous les ordres de Louis XIV : « Je trouve que Tréville a eu raison de ne pas faire la campagne, écrivait un peu ironiquement Bussy : après le pas qu’il a fait du côté de la dévotion, il ne faut plus s’armer que pour les croisades. » Et il ajoutait malignement : « Je l’attends à la persévérance. » Tel était l’homme dont la retraite occupait fort alors le beau monde, lorsque Bourdaloue monta en chaire un dimanche de décembre 1671 et se mit à prêcher Sur la sévérité évangélique : il posait en principe qu’il faut être sévère, mais que la sévérité véritablement chrétienne doit consister, 1º dans un plein désintéressement, un désintéressement même spirituel et pur de toute ambition, de toute affectation même désintéressée ; — 2º qu’elle doit consister dans une sincère humilité, et 3º dans une charité patiente et compatissante. […] C’est ce qu’il fit dans plusieurs des sermons qu’il alla, par ordre du roi, prêcher à Montpellier en 1683-1686, pour y instruire et édifier les nouveaux convertis. […] Le théologien et futur évêque anglican Burnet, qui était venu en France peu de temps auparavant (1683), et qui y avait vu les hommes les plus distingués en doctrine et en piété (sans oublier M. de Tréville qui venait de reparaître dans le monde), n’avait pas manqué de chercher Bourdaloue : Je fus mené par un évêque, dit-il, aux Jésuites de la rue Saint-Antoine ; j’y vis le père Bourdaloue, estimé le plus grand prédicateur de son temps et l’ornement de son ordre.

415. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Saint-Simon, qui n’avait pas eu le temps de connaître Louvois, ne lui en. voulait pas moins personnellement comme au grand niveleur qui avait mis au pas la noblesse dans les armées, qui l’avait réduite à l’égalité dans l’obéissance et la discipline, avait assujetti les plus grands seigneurs (sauf les seuls princes du sang) à débuter par porter le mousquet et à faire le service comme les plus simples gardes, puis, les grades venus, à ne tenir de leur naissance aucune prérogative et à ne figurer qu’à leur rang selon l’ordre du tableau. […] — II faudrait l’avoir vue, Monsieur. — Monsieur, j’y donnerai ordre. — II faudrait l’avoir donné. […] C’est le duel éternel de tout ce qui finit et de ce qui succède, de ce qui se survit et de ce qui doit vivre ; cela s’est vu de tout temps, en grand, en petit, dans tous les genres et dans tous les ordres : César et, Pompée, Malherbe et le vieux Desportes, Descartes et Voët, Franklin et l’abbé Nollet… Le chevalier de Glerville sent désormais son maître dans celui qui fut longtemps son diacre, comme le disait plaisamment Vauban : « Il est fort chagrin contre moi, ajoutait celui-ci, quelque mine qu’il fasse ; c’est pourquoi il ne me pardonnera rien de ce qui lui aura semblé faute ; mais je loue Dieu de ce que lui et moi avons affaire à un ministre éclairé qui, en matière de fortification, ne prend point le change, et qui veut des raisons solides pour se laisser persuader et non pas des historiettes. » Une dernière rencontre a lieu entre les deux rivaux, au sujet des fortifications de Dunkerque ; elle est décisive. […] Je vous supplie donc de vous laisser persuader, et de vous souvenir que, la citadelle de Lille ayant l’honneur d’être votre fille aînée dans la fortification, il est juste que vous lui fassiez quelque prérogative. — Rien, disait-il encore en ouvrier amoureux de son ouvrage, rien n’est mieux conduit ni plus beau que toute cette maçonnerie ; l’on n’y voit pas le moindre défaut. » La maçonnerie était belle, mais on menait les maçons un peu rudement : « Pour empêcher la désertion des maçons, qui me faisait enrager, j’ai pris, sous votre bon plaisir, deux gardes de M. le maréchal (d’Humières), des plus honnêtes gens, qui auront leurs chevaux toujours sellés dans la citadelle, avec chacun un ordre en poche et un nerf de bœuf à la main ; les soirs, on verra ceux qui manqueront ; après quoi, dès le matin, ils les iront chercher au fond de leur village, et les amèneront par les oreilles sur l’ouvrage. » Est-il besoin d’avertir qu’il y a quelque plaisanterie dans cette rudesse un peu grossière ? […] Ne craignez point d’abîmer Mongivrault et Voilant (deux ingénieurs sous ses ordres), s’ils sont trouvés coupables.

416. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

3° Il y eut, en 1831, et dans les années qui suivirent, un mouvement de bonne volonté et de rapprochement de la part des croyants d’un certain ordre et de plusieurs jeunes esprits respectueux, mouvement qui n’eut lieu d’abord que dans une sphère assez restreinte, dont M. de Lamennais fut quelque temps le centre, mais qui se prolongea même après ses écarts et sa défection. […] L’épuration, dans chaque administration, était à l’ordre du jour : pour conserver sa place, même dans les bureaux de la Police, il fallait donner les mêmes gages que dans l’Université ; il fallait produire des attestations de devoirs pieux accomplis, être vu le dimanche en certains lieux ; et les jours de fêtes donc ! […] « On ne veut aujourd’hui que des hypocrites, écrivait en mai 1826 un royaliste non suspect ; les soldats sont envoyés par ordre faire leur jubilé. […] Des renaissances d’Ordres religieux savants produisirent des travailleurs, un peu novices d’abord et aventureux, bientôt expérimentés et capables. […] Mémoires de M. l’abbé Liautard ou Fragments inédits, politiques et religieux, traitant, de l’autel et du trône, etc. ; recueillis et mis en ordre par M. l’abbé A.

417. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Le 13 au soir, cette dame eut ordre de quitter la ville avec sa sœur, Mme de Lauraguais. En partant, les deux sœurs n’obéissaient pas moins à la prudence qu’à l’ordre du roi, car le déchaînement du peuple eût mis leur vie en danger. Elles ne s’étaient d’abord retirées qu’à trois lieues de Metz ; elles eurent bientôt l’ordre d’aller plus loin et de ne point approcher de la Cour plus près que de cinquante lieues. […]  » Et voilà aussi comme la plume reprend ses avantages en regard du pinceau, et comment la fine analyse morale, la propriété, la concision et le choix des termes, une certaine distribution et un ordre naturel de pensées, une certaine marche graduelle en si petit espace, réussissent, presque en jouant, à faire un Portrait qui a sa beauté et tout son effet. […] Nattier avait reçu l’ordre exprès de la reine de ne la peindre qu’en habit de ville.

418. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

. — Par cette fortune du premier ordre, nous pouvons nous figurer celle du second. […] — Tantôt il est couvert par un traité récent, par sa qualité d’étranger, par son origine presque royale. « En Alsace, les princes possessionnés étrangers, les ordres de Malte et Teutonique jouissent de l’exemption de toute contribution personnelle et réelle. » — « En Lorraine, le chapitre de Remiremont a le privilège de se cotiser lui-même dans toutes les impositions de l’État31. » Tantôt il a été protégé par le maintien des États provinciaux et par l’incorporation de la noblesse à la terre : en Languedoc et en Bretagne, les biens roturiers payent seuls la taille. — Partout d’ailleurs, sa qualité l’en a préservé, lui, son château et les dépendances de son château ; la taille ne l’atteint que dans ses fermiers. […] À Mende37, l’évêque, seigneur suzerain du Gévaudan depuis le onzième siècle, choisit les conseils, les juges ordinaires et d’appel, les commissaires et syndics du pays », dispose de toutes les places « municipales et judiciaires », et, prié de venir à l’assemblée des trois ordres de la province, « répond que sa place, ses possessions et son rang le mettant au-dessus de tous les particuliers de son diocèse, il ne peut être présidé par personne, qu’étant seigneur suzerain de toutes les terres et particulièrement des baronnies, il ne peut céder le pas à ses vassaux et arrière-vassaux », bref qu’il est roi ou peu s’en faut dans sa province. […] Reste l’assise primitive, la structure ancienne de la propriété, la terre enchaînée ou épuisée pour le maintien d’un moule social qui s’est dissous, bref un ordre de privilèges et de sujétions dont la cause et l’objet ont disparu46. […] Cela ne suffit par pour que cet ordre soit nuisible ou même inutile.

419. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Il l’a pourtant, cette conception de l’ordre universel, et, jusque dans ses fragments de pensées, il le prouve par d’assez belles marques. […] Son impartialité de vue l’élève au-dessus des souffrances partielles, même personnelles, et des accidents : « Si l’ordre domine après tout dans le genre humain, c’est une preuve, se dit-il, que la raison et la vertu y sont les plus fortes. » La vraie biographie de Vauvenargues, l’histoire de son âme est toute dans ses écrits ; c’est un plaisir de l’en dégager et de se dire avec certitude, en soulignant au crayon tel ou tel passage : Ici c’est bien lui qui parle, c’est de lui-même qu’il a voulu parler. […] Dans l’ordre des connaissances et des jugements, il pensait que « l’effet d’une grande multiplicité d’idées, c’est d’entraîner dans des contradictions les esprits faibles ». Dans l’ordre des sentiments et du goût, il ne croyait pas que nous fussions du tout au-dessus des peuples anciens, plus voisins que nous de l’instinct de la nature : « On instruit notre jugement, disait-il, on n’élève point notre goût. […] Il offre le rare exemple d’un homme supérieur longtemps retenu au-dessous de son niveau, comprimé, abreuvé de disgrâces, qui ne s’aigrit ni ne se révolte, mais prend sa revanche noblement et se rouvre la carrière dans l’ordre de l’esprit avec vigueur et sérénité.

420. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

La princesse des Ursins, qui m’a amené à toucher cette corde délicate, était une femme politique, non pas, je le crois, du premier ordre, mais bien supérieure comme telle à Mme de Maintenon. […] Durant les trois premières années, Mme des Ursins travaille à s’établir complètement dans l’esprit des deux personnes royales ; elle écarte les influences rivales, les déjoue par tous les moyens, excite mille clameurs, et, faute d’assez de ménagement et de prudence, mérite de recevoir son rappel par ordre de Louis XIV (1704). […] Il élève la même accusation contre Orry, homme habile que Louis XIV avait envoyé en Espagne pour y mettre quelque ordre dans les finances. […] Je renvoie au tome IV de Saint-Simon ceux qui voudront admirer la présence d’esprit avec laquelle Mme des Ursins, ainsi rappelée à l’improviste et touchée de la foudre, ne se laissa déconcerter en rien, la tranquillité de sa démarche, l’art avec lequel elle ménagea sa retraite lentement, en bon ordre, ne lâchant le terrain que pied à pied, sans affecter pourtant de désobéir, et disposant dès lors ses mesures en cas de retour. Après une première station à Toulouse d’où elle continuait de correspondre avec sa royale élève et où elle vint à bout de parer l’exil pour l’Italie, elle reçut l’ordre tant désiré de venir à Versailles, et dès lors elle ne douta plus du succès final et du triomphe.

421. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

Un homme du premier ordre dans le droit et dans les lettres avait alors toute autorité à Dijon, et il exerça la plus grande influence sur la direction d’esprit du jeune de Brosses. […] Le xviiie  siècle s’était ouvert par les Lettres persanes : il allait se continuer par des œuvres qui, même sérieuses, et dans l’ordre historique le plus régulier, n’auraient plus cet appareil érudit. […] L’intérêt qui se porte à tel ou tel ordre de la connaissance humaine, voyage et se déplace, en quelque sorte, avec la société même et avec les besoins nouveaux ; mais on n’est point, pour cela, barbare. […] Aussi n’attaqua-t-il jamais à fond rien d’essentiel dans l’ordre de la société ; ses plaisanteries même et ses licences, nées de son humeur et du génie du terroir, n’eurent rien de systématique ni d’hostile ; et, en mêlant à ses propos de tous les jours bien des grains de Rabelais, il n’y mit jamais le venin qui blesse malignement et qui tue. […] C’est une certaine manière en mosaïque qui n’est pas ici à discuter ; je ne prends que l’idée, qui est grande : Ce serait une magnificence bien digne d’un aussi puissant roi que le nôtre, dit de Brosses, de faire construire exprès un vaste bâtiment en galerie, pour y réunir les copies en mosaïque19 des plus fameux ouvrages à fresque qui sont en Italie, tant en tableaux qu’en plafonds, en les distribuant dans un bel ordre et dans un beau jour, au milieu d’une riche architecture.

422. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

Cette dernière question est la plus fondamentale : il faut savoir par quoi et comment les anneaux de la chaîne ont été d’abord soudés ensemble, pour comprendre dans quel ordre ils se suivent actuellement et sous quelle forme ils reparaissent dans notre conscience à tel moment déterminé. […] Ravaisson ajoute : « Le principe de l’association et de la mémoire n’est donc autre que la raison76. » Cette théorie, qui fait de la raison comme un moyen de mouvement et de transport pour les idées, intervertit l’ordre des faits. […] Nous avons dit que les idées sont des espèces et que la lutte des idées est une lutte d’espèces ; en voilà une preuve nouvelle : l’humanité porte dans sa tête les embranchements, les ordres, les classes, les familles, les genres des Cuvier, des Geoffroy Saint-Hilaire et des Jussieu. […] On peut admettre avec Spencer que les états vifs de conscience (comme les sensations), résistent plus aux souvenirs et idées du même ordre qu’à ceux d’un ordre différent.

423. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

. — « Tôt ou tard on ne jouit que des âmes. » Le commencement de la lettre se rapporte à des affaires de l’Ordre, au choix que venait de faire le Chapitre provincial d’un successeur du Père Lacordaire et à d’autres points particuliers ; mais voici le côté aimable, et qui me rappelle, je ne sais trop comment, de jolies lettres de Pline le Jeune : «  Quant à vous, mon bien cher qui montez à cheval dans la forêt de Compiègne avec l’habit religieux et qui le trouvez tout simple, je n’ai rien à vous dire. […] J’avoue que de grands coupables par l’esprit peuvent avoir des noms glorieux ; mais cette gloire est d’un ordre que les cœurs chrétiens ne reconnaissent pas. […] N’ayant jamais eu aucune diversion d’humaine tendresse, tout avait tourné chez lui à l’ambition spirituelle, mais aussi à une certaine tendresse, également spirituelle, qui se manifestait dans la familiarité avec ceux qu’il appelait ses enfants, tant ceux de son Ordre que les élèves venus du dehors et qu’il tenait dans sa main. […] Sans entrer dans aucune controverse proprement dite et en m’en tenant à la description morale, je voudrais rappeler et signaler en quelques traits exacts et ressemblants la physionomie des moments principaux qui se sont dessinés dans cet ordre de faits depuis 1800 : ces moments, selon moi, sont au nombre de quatre et diffèrent notablement entre eux.

424. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

Au lieu de s’en tenir aux livres et aux procédés en usage dans son pays, il voyagea et le fit avec ordre, méthode, en tenant note et registre de chaque observation, sans rien laisser d’inexploré ou d’étudié à demi. […] Des missions spéciales qui lui furent confiées par les gouvernements, par des souverains ou par de très puissants particuliers, le mirent à même de faire des observations comparées approfondies, depuis la Belgique jusqu’aux confins de l’Europe et de l’Asie ; pas une forge importante ne lui a échappé ; il a eu à en diriger lui-même ; il a eu dans les usines de l’Oural jusqu’à 45,000 individus sous ses ordres, une véritable armée d’ouvriers. […] C’est le même langage uni et simple que dans son livre, avec l’abondance de plus, avec la particularité et un certain accent qui grave Il y a lieu de croire que la Révolution de 1848, les graves problèmes qu’elle souleva et les sombres pensées qu’elle fit naître, introduisirent un degré d’examen de plus dans quelques parties du livre, et tinrent plus constamment en éveil l’attention de l’observateur sur le principe moral qui maintient dans l’ordre certaines populations d’ouvriers, moins avancées et plus heureuses pourtant que d’autres. […] La comparaison cloche toutefois : le militaire a pour lui l’avancement et les honneurs du grade : l’ouvrier littéraire, en général, n’avance pas ; il n’a pas de grade reconnu, même dans son ordre.

425. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « L’abbé Prevost et les bénédictins. »

C’est à cette époque de son séjour dans l’Ordre et de sa sortie que se rapportent quelques pièces qu’il nous a été permis de recueillir. […] Lorsque Prevost se décida à sortir de la Congrégation de Saint-Maur, il ne songeait d’abord qu’à se retirer à Cluny, où la règle était moins austère ; il voulait simplement, comme il va nous le dire, quitter la Congrégation pour passer dans le grand Ordre , changer de branche au sein du même Ordre. […] Mais lisons d’abord, nous raisonnerons après : « Mon Révérend Père, « Je ferai demain ce que je devrois avoir fait il y a plusieurs années, ou plutôt ce que je devrois ne m’être jamais mis dans la nécessité de faire ; je quitterai la Congrégation pour passer dans le grand Ordre.

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