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504. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Elle crée admirablement la richesse ; elle la répartit mal. […] Grandeur mal composée où se combinent tous les éléments matériels et dans laquelle n’entre aucun élément moral. […] « Il lui fit le même mal ou le même bien. […] mais c’est fort mal ! […] « — Mais c’est mal, dit-elle à son mari, de vendre ainsi ses enfants

505. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

Ainsi se forma, dans l’effroi de ce père farouche, dans l’ennui de cette vie vide, dans l’amitié de cette sœur mal équilibrée, ainsi se forma le Chateaubriand qui séduisit le monde : incapable de choisir une action limitée, mais aspirant à tous les modes de l’action en vue d’obtenir tous les modes de la sensation, fuyant le réel mesquin ou blessant pour s’enchanter de rêves grandioses et doucement amers, évitant surtout d’approfondir, d’analyser, ne demandant à la nature que des apparences où il pût loger ses fantaisies, timide, orgueilleux, mélancolique, éternellement inassouvi et las. […] Ambassadeur, ministre, polémiste, il servira à sa mode la Restauration, sans complaisance pour la royauté, méprisant pour les courtisans, gênant pour les ministres, dédaignant d’allonger la main pour saisir le pouvoir, voulant mal de mort à tous ceux qui le saisissent, et portant de rudes coups parfois au régime qu’il prétend servir. […] Le mal qui est dans la création, il ne le sent que dans son éphémère personne, et se croit la victime élue entre les créatures pour la souffrance648. […] Chateaubriand n’a pas mal compris la France et l’Europe de son temps. […] Il a mieux jugé que la plupart des conseillers de Charles X la situation créée par la Révolution : nécessité de rassurer les acquéreurs de biens nationaux, impossibilité de supprimer la presse, et nécessité, si c’est un mal, de vivre avec ce mal.

506. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

Le père du réalisme, c’est Goethe en personne ; pourquoi ne pas le dire, puisque le meilleur moyen de déconcerter nos faux réalistes, c’est de les confronter avec le grand esprit dont ils ont si mal interprété le système ? […] Or l’immoralité de Madame Bovary n’est peut-être point, comme on l’a cru, dans telle ou telle scène qu’un coup de ciseau pouvait faire disparaître ; elle est plutôt dans le système de l’écrivain, dans son indifférence hautement affichée, dans cet art égoïste qui se croit dispensé de tout sentiment humain lorsqu’il a dit : « Je suis le réalisme. » Le bien et le mal, les entraînements et les résistances, le dévergondage et le repentir, il décrit tout du même ton, avec une impartialité glaciale. […] Si l’auteur, dans son indifférence, n’avait pas retracé deux ou trois scènes indignes d’une plume qui se respecte, le vrai caractère de son livre serait moins l’excitation au mal que l’épouvantable châtiment de l’adultère. […] On a parlé de mystification, on a prononcé le mot de délire ; ne croyez ni à l’un ni à l’autre, il n’y a qu’un système mal compris et audacieusement défiguré. […] L’étude mal comprise a produit l’archéologie équivoque, et de l’érudition fantasque est née la fausse poésie.

507. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Je fus tenté de m’écrier comme faisait mademoiselle Mars dans Henri III : — Henri, vous me faites mal ! — Je ne lui dis pas cela tout à fait, car j’aurais été peut-être moins touchant que mademoiselle Mars ; — Mais, lui dis-je vous prenez mal votre temps pour m’interrompre ! […] Voilà cette histoire ; elle est bien simple, elle est facile à raconter ; et si vous n’étiez pas venu me chagriner par votre sortie contre Molière, je ne m’en serais pas mal tiré. […] vous me criez aux oreilles, vous entrez ici comme la tempête, vous déclamez à outrance, vous me faites mal, vous me faites peur : le moyen de raconter une si honnête histoire au milieu de tout ce bruit que vous faites là ! […] Il est vrai de dire que ce danger est assez rare. — « Il y en a beaucoup que le trop d’esprit gâte, qui voient mal les choses à force de lumière, et qui même seraient bien fâchés d’être de l’avis des autres pour avoir la gloire de décider. » Ces gens-là, si l’opinion publique s’exprime avant qu’ils n’aient parlé, s’écrient à l’attentat !

508. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

Et voilà comment, pour la première fois, la philosophie du Mondain : Il n’est jamais de mal en bonne compagnie, s’est introduite dans l’histoire sous une plume que le catholicisme de l’auteur (car l’auteur a toujours respecté le catholicisme dans ses ouvrages) aurait dû rendre plus sévère. […] Quand, au lieu du rayon de Fontenoy, Louis XV aurait eu de la gloire, à périr par elle, comme Napoléon, dans une hémorragie sublime, ces torrents d’un noble sang versé par le glaive n’auraient pas guéri du mal de ses mœurs la famille de ces rois très-chrétiens dont la conduite avait été païenne, hélas ! […] Ni donc, en ces sortes de femmes, le degré plus ou moins profond de corruption, ni même des qualités restées saines et charmantes, ne peuvent entrer en considération avec le mal absolu d’un vice élevé jusqu’à la hauteur d’une fonction ! […] En effet, Mme Du Barry était mariée, et casser son mariage eût été presque, au sens léger des peuples, consacrer l’adultère pour éviter le concubinage, c’est-à-dire éviter un mal déjà effroyablement grave, par un mal plus grand. […] Ce perpétuel déterrement de toute cette vieille société, que nous connaissons suffisamment et pour tout le mal qu’elle a fait, et pour le profit qu’on en retire, n’est pas seulement malsain, il est nauséabond.

509. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

« Nous ne donnons pas Mme de Chevreuse, — dit-il nonchalamment, — comme un modèle à suivre, mais nous espérons (ajoute-t-il) que tant de grandeur d’âme, de constance, d’intrépidité, d’héroïsme bien ou mal employé, trouvera grâce pour des fautes que nous n’avons pas voulu dissimuler. » Mais on se lave en vain les mains dans la cuvette de Pilate. « Vous ne donnez pas », mais vous faites prendre ! […] Compromise et compromettante, Mme de Chevreuse ne passera jamais cette limite dans la médiocrité du mal, malgré M.  […] Ainsi, dans le bien comme dans le mal, c’est toujours la même préoccupation personnelle et bornée, c’est toujours la même infirmité d’enthousiasme, c’est toujours le même égarement de la pensée, quand les squelettes des grandes dames du xviie  siècle viennent passer leurs mains sur les cheveux blanchis de cette tête, amoureuse de fantômes et qui ne se possède plus ! […] Quand Richelieu allait jusqu’à la hache pour en finir avec le mal et le couper dans sa racine, Anne soutenait une noblesse indocile qui cherchait partout, même dans le lit du roi, le point d’appui d’une grande révolte. […] Lorsqu’on invente un roman dans l’histoire, le mal n’est pas bien grand, cela s’en détache bientôt et en tombe.

510. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

En cela, Henri VIII vaut mieux que Luther ; le mal qu’il a fait est moindre que le mal consommé par le moine allemand. […] Sans doute, par cela même qu’il était aussi un protestantisme, un détachement violent de Home, une révolte contre l’autorité souveraine et infaillible, il avait à produire les maux que doivent produire toutes les espèces de protestantisme. […] Il est bien évident que, pour nous qui sommes restés fidèles à la vérité, de pareilles assertions peuvent être discutées et poussées, les unes après les autres, dans l’abîme tourbillonnant de l’inconséquence ; mais, quoi qu’il en soit, on n’en reconnaît pas moins, sous ces affirmations plus faciles à articuler qu’à prouver, les racines à moitié arrachées du catholicisme, le germe oublié que rien n’a pu étouffer, la trace de ces idées traditionnelles mal effacées d’abord et qui finiront par reparaître, lettre par lettre, comme les merveilleux caractères de quelque palimpseste divin. […] Arrivé à ce comble, le mal ne pouvait guères empirer. […] l’affreux cancer qui lui mange le flanc guérirait peut-être ; l’Angleterre catholique réparerait les maux que l’Angleterre protestante a infligés à la catholique Irlande.

511. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

n’empêche pas ledit Louis de Camors de faire de très laides et de très abominables choses, le long du roman ; mais il les fait sans grandeur, car le mal même a sa grandeur, sans aplomb, avec la pâleur des gens qui tremblent, avec le trémoussement de nerfs de ce temps, si misérablement nerveux… C’est véritablement à faire pitié, et nous nous attendions à de l’horreur ! […] Bon an, mal an, cet écrivain, la veine sans déveine, — et qui ne s’ouvre pas les veines pour faire un livre, comme les affreux passionnés du génie, — pond et lèche son petit roman, mondain et moral, à travers la minceur transparente duquel on voit, comme le poisson dans un filet d’eau, la pièce de théâtre qu’il en tirera. […] Sa houle donne aux natures médiocres le mal de cœur que donne la mer aux estomacs faibles. […] Eh bien, aux premières pages de ce roman si peu romanesque, Philippe déclare cette volonté à son père, un gentilhomme de l’ancien temps qui croit qu’on peut continuer, dans son château de province, la tradition des gentilshommes, en ce temps-ci qui les a mis à pied comme des postillons qui ont mal mené ! — et, en effet, il faut être juste, ils ont mal mené, en conduisant la France, les gentilshommes.

512. (1874) Premiers lundis. Tome II « Alexis de Tocqueville. De la démocratie en Amérique. »

Pleins d’un amour sincère pour la patrie, ils sont prêts à faire pour elle de grands sacrifices : cependant la civilisation trouve souvent en eux des adversaires ; ils confondent ses abus avec ses bienfaits, et dans leur esprit l’idée du mal est indissolublement unie à celle du nouveau. » Cette absence de lien entre les opinions et les goûts, entre les actes et les sentiments, entre l’énergie des désirs et la justesse des vues, ce divorce trop habituel entre les convictions chrétiennes restantes et les sympathies de l’avenir, toute cette confusion morale attriste le jeune philosophe et lui semble un symptôme presque unique dans l’histoire. […] Le second volume nous montre cette démocratie et la souveraineté populaire qui en est l’âme, dans son influence continue et dans son esprit en dehors des lois écrites ; ici trouvent leur place les mœurs, les instincts, les passions politiques et publiques des gouvernés, des gouvernants ; ce qui résulte en bien et en mal de cette omnipotence de la majorité, les vices et les dangers qu’elle entraîne, en même temps que ce qui la tempère. […] S’il devait arriver en France que la monarchie ou la république (peu importe), en s’armant de ce mot de centralisation mal entendu, fissent prévaloir, constamment la régularité administrative, soit douce, soit rigoureuse, sur la vie réelle, morale, animée de chaque point du pays ; si l’on ne parvenait enfin à introduire et à fonder parmi nous les institutions démocratiques en ce qu’elles ont d’essentiel, d’élémentaire et de vivace, c’est-à-dire l’existence communale, M. de Tocqueville paraît craindre qu’une des chances naturelles de cette égalité croissante ne fût un jour, tôt ou tard, l’assujettissement de tous par un seul, du moment qu’on n’aurait plus à espérer le gouvernement de tous par eux-mêmes.

513. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Édouard Rod »

Il fait un autre effort : il prend dans sa maison, comme petite bonne, une orpheline assez mal élevée, qu’il est bientôt obligé de mettre à la porte. […] Le mal défini par M.  […] Ce mal, M. 

514. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

D’ailleurs je ne pense point que le public jugeât mal d’un ouvrage en general, quand bien même quelqu’unes de ces beautez lui seroient échappées. […] Quand un orateur fait bailler et dormir son auditoire, ne passe-t-il pas pour constant qu’il a mal harangué, sans qu’on songe à s’informer si les personnes que son discours a jettées sur le côté sçavoient la rhetorique. […] Ils ne laisseroient pas de croire que la piece est mauvaise, bien qu’on expliquât mal par quelles raisons elle ne vaut rien.

515. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

Il fallut qu’il s’y ajoutât quelque chose ; et ce quelque chose ne fut pas non plus la dévotion, la dévotion ordinaire aux vieilles femmes dévotes, dont je n’ai pas, du reste, à dire du mal, car je les ai toujours aimées… Il faut bien l’avouer, cette dévotion-là, ne fût-elle pas pédante ou pincée, a une discrétion qui baisse ses coiffes, même sur le front d’une Mme de Maintenon, tandis que la piété de Mme Swetchine ne baisse pas les siennes, car elle n’a pas de coiffes ; elle a le front tout nu, sous ses cheveux blancs et dans ses rides, comme il convient à une vieille femme, heureuse d’être, par la vieillesse, devenue une voisine de Dieu ! C’est ce sentiment du voisinage de Dieu qui a inspiré à Mme Swetchine d’admirables pages consolatrices sur la vieillesse, qui mettent mieux que de la charpie, mais un dictame, sur le mal cruel d’être vieux. […] Hippocrate aussi est vaincu par cette souveraine ordonnance contre le plus grand mal de la vie et qui le guérit par un miracle.

516. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « A. Grenier » pp. 263-276

Mais ce rapprochement m’en faisait espérer de plus grands… non plus entre deux rhéteurs isolés, mais entre l’antiquité et la France moderne, par exemple, — la France, qui commence d’avoir le mal des Grecs et des Romains, et qui, si ce mal oratoire, sophistique et cabotin, dont elle est la proie, continue, périra par les mots, comme l’antiquité ! […] La preuve — affirme-t-il — qu’une telle satire n’est pas possible, c’est que, par leur prédominance intellectuelle, les professeurs contemporains sont en voie de tout envahir parmi nous, comme, parmi les Anciens, d’autres professeurs avaient tout envahi, et comme si ce n’était pas ce mal même que, dans son livre, Grenier a si admirablement signalé !

517. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Caro. Le Pessimisme au XIXe siècle » pp. 297-311

Caro, puisqu’il s’agit de la construction qu’on appelle un livre, il n’a pas trop mal fait le sien. […] Mais les pessimistes de la science et de la pensée, qui veulent supprimer le mal absolu, le mal ontologique de la vie, sont je ne sais quels êtres innommables, abstraits, sans principes, sans entrailles, des espèces de boîtes à logique comme il y a des boîtes à musique !

518. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Jésus, le Dieu qui a crucifié l’orgueil et la volupté humaine, qui est venu apporter au monde païen deux choses qui, pour la première fois, descendaient du ciel : l’humilité et la charité, n’est plus maintenant qu’un philosophe qui a dit aux peuples d’une voix plus douce, mais qui a dit comme les Gracques ou comme tous les souleveurs de plèbe : « Comptez vos maux et comptez-vous ! » Des esprits de tout ordre ont été pris à cette horrible gageure de parti, et c’est parce que le mal a été grand à cet égard et qu’il augmente, que la vulgarisation des Évangiles est devenue de la plus grande opportunité. […] Aussi, faut-il le reconnaître, dans les circonstances qui nous entourent, en face des monstrueuses comparaisons qu’on se permet, essayer de rendre plus populaire et plus facile cette étude de l’Évangile qui nous élèverait la tête et nous ouvrirait le cœur si nous savions y revenir, c’est là une tentative d’esprit pénétrant qui voit les maux de ce temps et leur remède, c’est une noble et touchante entreprise d’intelligence et de charité.

519. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Edgar Poe » pp. 339-351

Né dans ce tourbillon de poussière que l’on appelle, par une dérision de l’histoire, les États-Unis34 ; revenu, après l’avoir quittée, dans cette auberge des nations, qui sera demain un coupe-gorge, et où, bon an mal an, tombent cinq cent mille drôles plus ou moins bâtards, plus ou moins chassés de leur pays, qu’ils menaçaient ou qu’ils ont troublé, Edgar Poe est certainement le plus beau produit littéraire de cette crème de l’écume du monde. […] Edgar Poe s’est chargé seul de cette besogne : il s’est assassiné lui-même… Moralement, l’Amérique et Edgar Poe se valent ; ils n’ont point de reproche à se faire ; ils ont tous les deux le même mal, monstrueux et mortel dans l’un comme dans l’autre, le mal de l’individualité.

520. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

Si vous joignez de plus à cela l’horripilation impudique que causent, à ces sensitives du mariage des prêtres, le dogme de l’immaculée Conception et la haine profonde pour le Marianisme, — cette affreuse religion entrevue par Michelet, — qui remplacerait prochainement le Christianisme si nous n’avions pas pour le sauver des docteurs comme des Julio de la Clavière et des abbés Trois-Étoiles, vous aurez à peu près tout ce qu’il y a de vues et de choses nouvelles dans ce Maudit, que j’appelle plutôt le mal dit ; car il est impossible de plus mal dire, il est impossible de plus manquer que ce livre du talent qui sait exprimer même des sottises, et qui parfois les fait passer ! […] Sur ces entrefaites, une mission faite par un capucin mystique auquel Julio, qui hait les ordres religieux et généralement toute espèce de moine, montre une blessante froideur, achève le mal commencé par la calomnie.

521. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Il est des hommes qui pardonnent encore plutôt le mal qu’on fait avec éclat, que le bien qu’on fait avec faiblesse ; d’ailleurs, le rôle que ce ministre joua dans la Fronde ; ses fuites, ses terreurs, sa proscription, source de plaisanteries ; les bons mots des Marigny et des Grammont, espèce d’armes qui soumettent à l’homme d’esprit l’homme puissant, et qu’il est plus aisé de dédaigner en apparence que de ne les pas craindre ; les vaudevilles et les chansons, qui chez un peuple léger communiquent si rapidement le ridicule et l’éternisent, tout cela devait peu contribuer à exciter l’enthousiasme des orateurs. […] Mazarin le fit appeler, lui fit des reproches de ce qu’il traitait si mal ses amis, et lui donna sur-le-champ une abbaye de quatre mille livres. Quillet eut d’abord la bassesse d’accepter ce bienfait d’un homme dont il avait dit du mal ; et, comme s’il n’eût attendu qu’un salaire, dès qu’il fut payé, il fut flatteur.

522. (1902) Propos littéraires. Première série

N’est-ce pas que ce n’est point trop mal écrit ?] […] Croyez que je ne pense aucun mal de Jean d’Agrève de M. de Vogüé. […] Rengrégement du mal. […] Toutes ses affaires vont mal en ce moment. […] Cette partie du livre n’est pas mal faite et ne manque pas d’intérêt.

523. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

En attendant cette consultation générale, voici le diagnostic particulier d’un mal qui est le principe de presque toutes nos tares, l’intarissable source de nos purulences, et qu’il appelle le mal artistique et littéraire. […] Le mal que font ou qu’aggravent les livres peut-il être guéri par d’autres livres ? […] Il semble que la vieille chanson, toujours entendue, soit présentement mal comprise. […] Le mal est très complexe. […] Quel est le remède à tous ces maux ?

524. (1887) George Sand

Elle demandera alors si à tant de maux il n’y a pas de remède. […] Les détails et la gradation du mal sont marqués avec une précision presque scientifique. […] Si on a fait le mal, c’est qu’on n’a pas su ce qu’on faisait. […] Le mal engendre le mal… » (21 octobre 1871.) […] Mais je suis malade du mal de ma nation et de ma race. » — « Défendons-nous de mourir ! 

525. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

certainement, le mal existe. […] Le mal, c’est l’injustice de Dieu. […] Il n’y a pas de conviction plus forte dans l’humanité, ni plus fondée sur le spectacle des choses, que la foi en puissances supérieures qui ont voulu le mal ; et il faudrait dire plus que le mal, à savoir le mal mêlé à leur gré de bien, c’est-à-dire un plus grand désordre que le mal absolu, un mal capricieux et arbitraire, un mal qu’on peut changer en bien et qu’on redresse en effet, parfois, pour montrer qu’on pourrait le corriger si on voulait ; une injustice ingénieuse et qui s’amuse ; plus que le mal, l’esprit de malice. […] — Il dit : Oui, la terre est mauvaise, et ainsi Dieu le veut ; mais ce n’est pas qu’il soit injuste, c’est qu’il est offensé ; il l’a été à l’origine, et l’est encore, puisqu’il l’a été, la loi de réversibilité étant admise ; il est offensé, de là le mal ; il fait du mal la loi du monde comme châtiment et comme épreuve ; il punit par le mal, il rachète par le mal, qu’il souffre lui-même sur la croix, il éprouve par le mal, et enfin il délivre du mal ceux qui, pour eux-mêmes ou pour d’autres, ont expié. […] A le prendre en gros, ce n’est point si mal jugé.

526. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Son talent d’écrivain le servait mal, et il était le premier à en souffrir. […] Il n’est pas donné d’esquiver le mal que Zeus envoie ; implore, si tu veux, le roi Posidon, ton père. […] Je me relevai aussitôt, étourdi, mais sans grand mal. […] La mort, selon Montaigne, n’est pas un remède à un seul mal, mais à tous les maux. […] Voici un temps bien contraire à vos maux.

527. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Dans cette disposition où il se trouvait quelquefois de prier le ciel pour que les maux de fortune allassent encore plus loin, il était néanmoins obligé de convenir que la Convention, par certains de ses décrets (notamment par son décret final sur la contribution de guerre), lui laissait bien peu à désirer, et qu’elle agissait exactement comme si elle eût voulu combler ses intentions et ses souhaits d’un dépouillement absolu de chacun54. […] À cette nouvelle séance, il demanda, par une lettre motivée qu’il lut à haute voix, trois nouveaux amendements à la doctrine du professeur : 1º sur le sens moral dont il réclamait la reconnaissance nette et distincte et le rétablissement formel dans une bonne description de la nature humaine ; 2º sur la nécessité d’une première parole accordée ou révélée à l’homme dès la naissance du monde, et sur la vérité de ce mot de Rousseau que la parole a été une condition indispensable pour l’établissement même de la parole  ; 3º sur la matière non pensante, et qu’il fallait remettre à sa place bien loin de ce sublime attribut : Je fus mal reçu par l’auditoire, dit-il, qui est dévoué en grande partie à Garat à cause des jolies couleurs de son éloquence et de son système des sensations. […] Saint-Martin se séparait profondément de Bernardin de Saint-Pierre en ce que, religieux comme lui, il croyait de plus à la chute, à une nature gâtée et corrompue et portant l’empreinte du mal ; il croyait en un mot que, dans l’univers tel qu’il est, il y a et il y aura toujours quantités de désharmonies, jusqu’à ce que le maître, le divin réparateur vienne remonter la lyre et en rajuster les cordes sacrées […] J’ai traversé en outre trois fois presque tout le royaume pendant ces temps de trouble, et la paix s’est trouvée partout où j’étais (excepté l’aventure du Champ-de-Mars de l’été de 1791, pendant laquelle j’étais à Paris) ; tout cela me fait croire que, sans oser me regarder comme un préservatif pour mon pays, il sera cependant garanti de grands maux et de désastres absolus tant que je l’habiterai ; non pas, comme je viens de le dire, que je me croie un préservatif, mais c’est parce que je crois que l’on me préserve moi-même, attendu que l’on sait combien la paix m’est chère, et combien je désire l’avancement du règne de mon Dieu… Vous croyez peut-être que la suite des événements va le détromper : pas le moins du monde. […] Ce qui paraît sûr, c’est que Saint-Martin, qui avait eu d’abord l’auditoire assez mal disposé pour lui, finit par avoir les rieurs de son côté.

528. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Mais il était souvent mal servi par les siens propres ; il ne s’en aperçut que trop au siège de Paris, au siège de Rouen. […] Le mal ne va jamais plus outre, on n’en est point pis pour cela ; je parle de ceux qui ont cet honneur de pouvoir et devoir parler à lui… Quoi que ce soit, il sera loisible aux gens de bien, sous ce roi-ci, de penser librement ce qu’ils voudront, et de dire librement ce qu’ils auront pensé. […] Plus d’un homme des champs qui savait ses anciens put se dire alors, en parodiant légèrement Ménandre : « La paix nourrit bien le laboureur, même en Sologne ; et la guerre le nourrit mal, même en Beauce. » L’heureux mot de Sully, et qui est resté, « que le labourage et le pâturage étaient deux mamelles dont était alimentée la France », exprime ce même sentiment. […] Telle était la fin du règne du bon Henri IV, qui fut la fin de beaucoup de biens et le commencement d’une infinité de maux, quand une Furie enragée ôta la vie à ce grand prince. […] Le remède eut donc de la violence du mal.

529. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

La langue des Romains, en général, était devenue celle de nos aïeux dans presque toute la Gaule ; on la parlait tant bien que mal, mais on la parlait. […] Ce serait pourtant mal connaître le cœur humain que de le croire si disposé à rendre justice à ce qui est bien, même quand ce qui est bien ne barre le chemin de personne et augmente le savoir de tous. […] Il fallait donc geler, bon gré, mal gré, en l’honneur du principe, geler dans les formes, et, comme elle le disait spirituellement, périr en symétrie. […] Il a bâti un hôtel de ville à Narbonne ; il est en train de réparer et de restituer le château de Pierrefonds, qui était à la fois une place militaire et une habitation de luxe ; il est inspecteur des édifices diocésains, et il construit même, bon an mal an, deux ou trois maisons à Paris pour de simples bourgeois. […] Remarquez que le poète a la délicatesse de ne pas nommer le fard qui était en général mal porté, comme on dit.

530. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Deschanel a publiés pendant son séjour en Belgique, ce qui est resté très-amusant à parcourir, c’est cette suite de jolies anthologies dans la collection Hetzel : les Courtisanes grecques ; — l’Histoire de la Conversation ; — le Bien qu’on a dit des Femmes ; — le Mal qu’on a dit des Femmes ; — le Bien qu’on a dit de l’Amour ; — le Mal qu’on a dit de l’Amour ; — le Bien et le Mal qu’on a dits des Enfants. […] On peut remarquer, comme un fait moral assez naturel et digne de la race d’Adam, que le Mal qu’on a dit des Femmes a eu jusqu’à six éditions à 3,000 exemplaires, tandis que le Bien qu’on a dit d’elles n’en a eu que quatre à grand-peine. Un bon juge me signale comme une suite de pages charmantes le début du Bien et du Mal qu’on a dits des Enfants.

531. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

Un jour que Mme Duchambge indiquait à Mme Valmore un livre qui venait de paraître, et qui disait crûment de certaines choses meilleures à cacher, Mme Valmore répondait : « (22 avril 1857)… Tu craignais de m’avoir fait mal en me racontant Mme Dorval. […] Béranger si malade, et le sachant lui-même si profondément, que cette visite m’a fait beaucoup de mal. […] Son embrassement m’a fait mal. » Si bonne, si affectueuse qu’elle fût et sujette aisément aux illusions, Mme Valmore n’était pas dupe. […] On serait trop tenté vraiment, à voir le détail d’une telle vie, et quel mal infini eut de tout temps à se soutenir et à subsister cette famille d’élite et d’honneur, ce groupe rare d’êtres distingués et charmants, comptant des amitiés et, ce semble, des protections sans nombre, chéris et estimés de tous, on serait tenté de s’en prendre à notre civilisation si vantée, à notre société même, à rougir pour elle ; et surtout si l’on y joint par la pensée le cortège naturel de Mme Valmore, cette quantité prodigieuse de femmes dans la même situation et « ne sachant où poser leur existence », courageuses, intelligentes et sans pain, « toutes ces chères infortunées » qui, par instinct et comme par un avertissement secret, accouraient à elle, qu’elle ne savait comment secourir, et avec qui elle était toujours prête à partager le peu qui ne lui suffisait pas à elle-même ! […] J’avais songé, par une sorte de compensation bien due, à réunir d’autre part autour d’elle quelques-uns des noms dont elle eut le plus à se louer, bon nombre des êtres bienfaisants et secourables qu’elle avait rencontrés sur sa route, et qui lui avaient été une consolation, une douceur et un réconfort au milieu de ses maux ; — et M. 

532. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

je n’étais pas malheureux alors ; je commençais à me fatiguer du tourbillon où mon inconstance m’avait entraîné, et à croire qu’il était temps de songer à une demi-retraite… Je me plaisais à mes maux, à mes pleurs, au faible murmure de mon repentir. […] Mais peu importe ; il suffit que le mal ne puisse sortir de sa confession, et qu’il y ait presque à toute page d’admirables instincts et élancements de pur amour. […] Il faudrait transcrire (car sans cela je n’ose assez le louer) le récit d’Arthur, lettre xie , ce départ en automne par un temps triste, sur une route boueuse, ces misères du cantonnier qui casse son caillou du matin au soir, ces jurements et ces coups de fouet du roulier, ce réveil hideux d’une diligence qu’on rencontre, toute cette saleté, ce dégoût, cette nausée du mal dont est saisi l’oisif et le voluptueux, lui-même dévoré dans son cœur. […] oui, Arthur a raison : tout est souffrant, tout est mauvais, tout est corrompu ; les uns plus tôt, les autres plus tard, chacun à sa manière ; la vue même du mal rend mauvais, la simple connaissance de la corruption corrompt, quand on n’a pas l’aromate immortel. […] Dieu et l’homme travaillant ensemble, cela est sublime. — Le mal paraît endormi ou vaincu.

533. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Pierre Corneille »

Elle recevait ses vers, lui en demandait quelquefois ; mais le génie croissant du poëte se contenait mal dans les madrigaux, les sonnets et les pièces galantes par lesquels il avait commencé. […] Il n’était ni adroit, ni habile aux détails, avait le jugement peu délicat, le goût peu sûr, le tact assez obtus, et se rendait mal compte de ses procédés d’artiste ; il se piquait pourtant d’y entendre finesse, et de ne pas tout dire. […] Quitter l’Espagne dès l’instant qu’il y avait mis pied, ne pas pousser plus loin cette glorieuse victoire du Cid, et renoncer de gaieté de cœur à tant de héros magnanimes qui lui tendaient les bras, mais tourner à côté et s’attaquer à une Rome castillane, sur la foi de Lucain et de Sénèque, ces Espagnols, bourgeois sous Néron, c’était pour Corneille ne pas profiter de tous ses avantages et mal interpréter la voix de son génie au moment où elle venait de parler si clairement. […] Tout ceci nous mène à expliquer et à excuser dans notre illustre poëte ces singulières dédicaces à Richelieu, à Montauron, à Mazarin, à Fouquet, qui ont si mal à propos scandalisé Voltaire, et que M.  […] Il ne savait pas causer, tenait mal son rang dans le monde, et ne voyait guère MM. de La Rochefoucauld et de Retz, et madame de Sévigné que pour leur lire ses pièces.

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