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682. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

   Tu me traitas comme un génie :    Tu m’abreuvas de calomnie, Et tu me fis marcher par les plus durs chemins ! […] Il rend à l’aimable et douloureux génie tous les hommages que lui doivent les générations filles ou sœurs, mais il ne lui passe point son mépris de toute humanité, de toute réforme supérieure, ses airs de débauche, son indifférence affichée pour tout ce qui n’était pas Ninette ou Ninon. Musset, en son temps, a apostrophé Lamartine et s’est mis à l’aise avec lui, le traitant d’emblée et sans façon d’égal à égal, d’Alfred à Alphonse ; eu égard à la différence des âges, à celle des réputations au moment où cette épître parut, eu égard aussi, j’ose le dire, à l’étoffe et à la portée non comparables des génies, c’était légèrement fat et quelque peu impertinent : M.  […] Non, mais je cherche en toi cette force qui fonde, Cette mâle constance, exempte du dégoût… Il cherche, en un mot, la vertu la plus absente, la qualité la plus contraire au défaut qui s’est trop marqué ; et il se plaît ici, en regard et par contraste, à exposer en disciple d’Hésiode et de Lucrèce, en lecteur familier avec le bouclier d’Achille et avec les tableaux des Géorgiques, l’invention des arts, la fondation des cités, la marche progressive et lente du génie humain, tout ce qui est matière aussi de haute et digne poésie. […] —  Le quadrige est vaincu : nous tenons un génie Qui fume, haletant d’un utile courroux, Et, dans l’oppression d’une ardente agonie, Attache au vol du temps l’homme pensif et doux.

683. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

Quelques génies heureux, parmi les lyriques, semblent, au contraire, conserver jusqu’au bout un accord égal, facile, entre la sensibilité et son expression. […] Mais, pour ces natures mêmes, il est vrai de dire qu’il y a du talent, du génie en plus, disponible encore après l’expression des choses nties. […] C’est toujours le même génie, La même âme, instrument humain ! […] A ces vains jeux de l’harmonie Disons ensemble un long adieu : Pour sécher les pleurs du génie, Que peut la lyre ? […] N’envions point leur gloire aux fortunés génies, Que tout orne à la fois !

684. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Au prince de Conti succèdent le comte de Vaudreuil et M. de Calonne, puis Robespierre, puis Bonaparte ; et pourtant, au milieu de ces servitudes diverses, Le Brun demeure ce qu’il a été tout d’abord, méprisant les bassesses du temps, vivant d’avenir, effréné de gloire, plein de sa mission de poëte, croyant en son génie, rachetant une action plate par une belle ode, ou se vengeant d’une ode contre son cœur par une épigramme sanglante. […] Au lieu de négliger simplement les salons littéraires et philosophiques, pour vaquer avec plus de liberté à son génie et à sa gloire, il les attaqua en toute occasion, sans mesure et en masse. […] Patriotisme, adoration de la nature, liberté républicaine, royauté du génie, telles sont les sources fécondes et retentissantes auxquelles Le Brun d’ordinaire s’abreuve. […] Enfin, toutes les fois qu’il veut décrire l’enthousiasme lyrique et marquer les traits du vrai génie, Le Brun abonde en images éblouissantes et sublimes. […] Mais un mauvais exemple que Buffon donna à Le Brun, ce fut cette habitude de retoucher et de corriger à satiété, que l’illustre auteur des Époques possédait à un haut degré, en vertu de cette patience qu’il appelait génie.

685. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verlaine, Paul (1844-1896) »

Verlaine, qui se relie à François Villon par tant de génies libres et charmants, nous aide à comprendre une des directions principales du type français. […] Camille Mauclair Verlaine a apporté ici le lied, créé une littérature d’ingénuité sentimentale, ennobli l’aveu individuel, mêlé la musique à l’émotion des lettres, donné l’exemple d’un génie se jouant librement, lumineux, tragique ou tendre, puéril et profond, énonçant le moi avec une multiplicité verbale inattendue. […] Hugues Rebell J’aime le génie gracieux, subtil et sensuel qui apparaît dans l’œuvre de Paul Verlaine, des Poèmes saturniens à Bonheur, surtout dans les premiers recueils et dans Parallèlement. […] Celle aussi toute abandonnée et naïvement enfantine, ou il fut si vrai de dire de lui ce que disait Schopenhauer : « Le génie a un caractère enfantin. » Et ne pourrais-je croire qu’il fut dans l’évolution littéraire comme le père spirituel d’un de vos deux plus grands poètes : M.  […] Quant à son rôle dans « l’évolution littéraire », il me semble qu’il est peut-être le génie le plus purement français, le plus primesautier et le plus doux depuis l’auteur de la fable des Deux Pigeons.

686. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bossuet, et Fénélon. » pp. 265-289

Les disputes du quiétisme, de l’amour pur & parfait, si humiliantes pour la raison humaine, auroient eu le même sort, sans le nom des personnages qui s’y trouvèrent entraînés ; Louis XIV, madame de Maintenon, & les deux plus beaux génies qui fussent alors dans l’église. […] Son génie étoit créateur & lumineux ; son goût sûr & naturel ; son imagination douce & brillante ; sa conversation instructive & délicieuse ; sa plume celle même des graces. […] On l’a défini le seul homme éloquent parmi beaucoup d’écrivains de génie. […] Cette docilité, unique dans un homme de génie, lui gagna tous les cœurs. […] On prétend** que ces deux célèbres antagonistes, qui combattirent avec tant de chaleur pour des matières de théologie, avoient une façon de penser toute philosophique, & que, s’ils étoient nés à Londres, ils auroient donné l’essor à leur génie & déployé leurs principes, que personne n’a bien connus.

687. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Or, Jules Janin, tête sans métaphysique supérieure, ayant le bon sens et le discernement mais sans haute portée et sans grande profondeur, se vengeant de cette médiocrité par une imagination adorablement colorée et par la plus vive sensibilité d’écrivain, n’avait ni cette fermeté de jugement, ni cette connaissance des lois de l’esprit, ni ces principes qui constituent la Critique et son mâle génie. […] Les blasés des La Harpe, des Chénier, des Féletz trouvèrent cela délicieux… Le vieux Bertin, ce bœuf de génie qui a laissé dans la presse française l’ineffaçable sillon du Journal des Débats, et qu’Ingres nous a si bien peint, dans sa force fatiguée, fit son favori de ce jeune homme, qu’il tutoya comme les Rois d’Espagne tutoient leurs favoris, et à qui, en dehors de ses appointements, il donnait des gratifications de mille écus pour un feuilleton qui lui plaisait ! […] J’ai vu dans ma jeunesse des professeurs de rhétorique — des Cuvillier-Fleury du temps — traiter de germanico-savoyard le style romain du grand de Maistre, — en retard de gloire, ce grand homme, parce que, de génie, il avançait trop ! […] IV Oui, Sterne, dont il était le fils, — comme il était, je l’ai dit déjà, le fils de Diderot, car en littérature (et il n’y a qu’en littérature), on peut être le fils de deux pères sans inconvénient et sans immoralité, — Sterne, cet homme simple et exquis, qui n’avait pour vêtir son génie que trois chemises blanches et une culotte de soie noire ! […] Le génie de l’importunité vainquit… On fit à Janin l’aumône qu’il demandait, et cet homme obstinément heureux attendit d’être de l’Académie pour mourir… Ah !

688. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XV. M. Dargaud » pp. 323-339

Ainsi il admire l’Hôpital et Coligny, ses héros d’opinion, et il admire avec autant de passion sincère le grand François de Guise, par exemple, qui est le héros de l’opinion opposée à la sienne, mais il ne jugera plus avec cette haute et radieuse libéralité les travaux du Concile de Trente, et quand il aura dit des Jésuites « qu’ils eurent le génie de la politique et la passion religieuse », cet écrivain généreux, quand il s’agit de tel homme historique, se croira quitte envers la justice et la vérité. […] Coligny, le protestant d’action, au xvie  siècle, — et on sait à quoi l’action condamne les hommes les plus purs et les mieux intentionnés, qui en ont le génie, — Coligny, enfoncé dans les faits tumultueux et sanglants de son siècle, est nécessairement au-dessous, aux yeux d’un philosophe comme M.  […] La beauté et la laideur morale tiennent une telle place dans les hommes, même les plus éclatants par le génie et par la gloire, que toutes ces figures qui passent rayonnantes, ténébreuses ou indécises, dans cette étendue du xvie  siècle, lequel semble plus grand par l’effet de tout ce qu’il contient dans sa longueur encombrée, paraissent, sous la main de ce grand connaisseur en beauté morale, avoir des lumières ou des ombres de plus ! […] Qui ne sait les faiblesses d’imagination du plus grand génie de notre temps pour Catherine de Médicis ? […] Le morceau sur Machiavel, qui commence le second volume de l’Histoire de la Liberté religieuse est certainement la réponse la plus péremptoire qu’on ait faite à cette admiration que notre lâche dilettantisme littéraire témoigne encore aujourd’hui au grand scélérat de Florence, lequel rapetissa son génie dans une immense perversité, — oui, le rapetissa, quoiqu’elle fût immense !

689. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Si la douleur est féconde, le bonheur n’a-t-il pas inspiré au génie des hymnes éloquents ? […] Le génie poétique ne s’est-il pas montré à Florence sous les formes les plus variées ? […] Ernest représente l’homme de génie, et Castruccio la médiocrité. […] Le génie est un privilège que personne ne peut invoquer comme un devoir. […] Il aurait trouvé dans cette comparaison l’occasion toute naturelle de montrer en quoi le génie antique diffère du génie moderne ; il aurait pu insister sur la simplicité qui caractérise le génie grec, et cependant signaler de nombreuses analogies entre le poète d’Athènes et le poète de Stratford.

690. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Oserai-je dire encore un mot sur le respect dû aux grands génies ? […] Un auteur essaye là son génie et ses ressources ; et s’il n’a pas la force de vaincre les obstacles de l’arrangement, il y a aparence qu’il manqueroit aussi d’invention pour le fond des choses. […] Peut-être n’appartient-il qu’à un grand génie de s’égarer à ce point ; un génie médiocre est trop timide pour aller jusques-là. […] Le génie est toûjours mieux emploié à embellir, qu’à réparer. […] Ne craignez rien, monsieur ; quand on interdiroit les vers aux génies poëtiques, ils trouveroient bien encore l’occasion et les moyens d’être poëtes en prose.

691. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 119

Une verve singuliere, un génie pour les vers qu’il ne tenoit que de la nature, beaucoup de facilité à bien rendre ce qu’il sentoit, quoiqu’il fût sans Lettres, le firent regarder, dans son temps, comme une espece de phénomene poétique. […] Il est Auteur, outre cela, de plusieurs autres Pieces marquées au coin du même génie.

692. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Il mentionne Bossuet en termes nobles, mais en passant, quoique ce fût la plus grande gloire de la fin du règne et que tout le génie du siècle se fût retiré là ; par contre, il peint avec détail Fénelon, à cause des faiblesses qui gâtent ce bel original. […] Mais Bossuet la domine en sentant son génie et en s’y assujettissant. […] Ainsi a fait plus d’un homme de génie parmi ceux qui ont traité de matières de spéculation comme Descartes, ou qui ont fait des ouvrages d’art proprement dits. […] Pour ceux où la langue est écrite de génie, on ne s’avise guère que la grammaire y soit maltraitée. […] Ce sont les fautes contre le génie de la langue qu’il faut relever.

693. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

L’affaiblissement de talent que j’ai constaté tenait-il au sujet qu’il a traité plus qu’à sa constitution même, et les sujets pour lesquels il était fait pouvaient-ils lui retremper son génie ? […] Michelet, l’étincelant faussaire de l’histoire du passé, qui ne vaut que par l’étincelle, Michelet, le paradoxeur audacieux et décolleté, n’est plus ici le génie de l’éblouissement dans l’erreur. […] Ce pauvre diable de système, qui n’est même diable que comme cela, n’a pas coûté à la tête légère de Michelet un bien grand effort de génie. […] C’est, en bloc, ici, accumulées, déduites et appliquées, toutes les idées du Michelet de la dernière heure, — de cette dernière heure qui a duré si longtemps ; impénitence finale de son génie ! […] En choses charmantes, on y rencontre, entre autres, un jugement poignant de vérité et de regrets sur le génie de Géricault, — le lord Byron de la peinture, — et sur le sentiment, quel qu’il fût, qui tua son génie, dans sa force.

694. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » p. 397

Cette tournure d’esprit peut avoir son agrément, mais le goût en passe vîte, & il n’est pas à propos que la Nation préfere ces Productions légeres à des Ecrits plus utiles & plus conformes à son génie. […] Il regardoit ses Ouvrages avec tant d’indifférence, qu’il ne prit jamais aucun soin de les recueillir ; ils n’ont paru qu’après sa mort, réunis en quatre volumes, avec un Avertissement très-mal écrit, & qui ne ressemble en rien au génie de l’Auteur.

695. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Quitard »

Je ne crois pas aux sagesses collectives travaillant, sans être des abeilles, à ces proverbes, alvéoles d’or où le génie a mis son miel, — le génie et non pas les masses ! […] Qui sait si la plupart des pensées les plus individuelles de Rivarol lui-même ne passeront pas un jour dans la langue française et ne feront pas corps avec elle, comme des inscriptions sur le marbre où elles sont gravées, — et si, comme tant de mots dont le génie qui les a prononcés a été exproprié, pour cause d’utilité publique, avant le Code Napoléon, elles ne seront pas recueillies par quelque Quitard de 1990 ? […] Puisque non seulement il s’occupe et se préoccupe de proverbes, mais de locutions proverbiales, pourquoi affiche-t-il un si vertueux mépris pour l’argot cette langue populaire, sinistre et masquée, aux effroyables beautés, mais aux beautés réelles, qui a déjà versé dans la langue du xixe  siècle, sous la plume de quelques maîtres, des mots que le génie purifiera et qui y resteront comme des forces de plus ?

696. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Du Deffand »

Son esprit, qui n’était pas du génie pour en avoir les tristesses, était gai comme les esprits qui sentent leur vigueur. […] Et ce n’était pas la vieillesse, la décrépitude, qui lui faisait cet effet terrible, c’était le monde, — le monde, qui ferait brouter son champ de sottises, comme Nabuchodonosor brouta l’herbe, au Génie lui-même, si le Génie pouvait être assez dupe ou assez lâche pour baiser l’ergot d’un pareil seigneur. […] Elle a beau être frivole comme tout ce siècle écervelé, où les hommes comme Montesquieu et Voltaire ont dans le génie quelque chose d’ineffablement étourdi qu’on n’avait jamais vu avant eux, le bon sens gaulois, carré, indéfectible, se retrouve, à chaque instant, en Madame Du Deffand, sous cette poussière parfumée de la frivolité qui la poudre.

697. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Collé »

La chanson, ce chant de l’alouette des Francs, c’est le génie même de la France, et un jour j’en écrirai l’histoire. […] Et il y a plus, je prétends que la chanson, chez Collé, n’était nullement son vrai génie. […] Aimer sa femme et se vanter de l’aimer, ce qui est plus fort dans le temps où l’épicurisme de Richelieu et du chevalier de Faublas était à la mode, double courage en ce grivois de chansonnier si profondément à part de son époque, de son théâtre, et du genre de génie qu’il avait, mais qu’il n’avait pas seul ! […] tantôt, à un autre endroit, quand Collé parle de Rousseau comme un honnête homme a le droit de parler d’un drôle, le drôle aurait-il du génie, M. 

698. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

Je n’y retrouve qu’épuisée, ramollie, finie, cette formidable Sophie Arnould qui faisait tout trembler devant son esprit, devant cette furie de mots coupants et vibrants que personne n’eut au même degré qu’elle, dans un temps où l’esprit dominait le génie et où les hommes de génie étaient encore plus des hommes d’esprit, comme Voltaire et Montesquieu… Allez ! […] C’est par là que sortait ce souffle dont le marquis de Louvois, blessé certainement par quelque épigramme de Sophie, disait, avec la haine qui trouve le mot comme le génie : « Savez-vous pourquoi elle sent si mauvais, Sophie Arnould ? […] Elle est morte en radotant de sa misère et dans l’écroulement complet, définitif, de l’être entier… Cette courtisane exceptionnelle, qui avait le génie du mot, de l’aperçu, de la répartie, et qui régnait sur la pensée autant que sur les sens des hommes, est morte aussi bête que les autres courtisanes vivent !

699. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

On verrait que quand on a vécu dans la pensée occidentale, quand on a senti le puissant et sobre génie de la forme qui la contient, comme la mer est contenue par les arêtes de son rivage, quand enfin sur les belles lignes du front caucasien qui révèle si bien la supériorité de la race, on a reçu ce torrent miraculeux qu’on appelle le baptême et qui, nos littératures l’attestent ! […] du propre génie de l’Indoustan. […] Dans le poème dont il a commencé la traduction, et qui, nous le reconnaissons, est un travail cyclopéen de philologie et de difficulté d’expression, il n’a pas su distinguer ce qui appartenait à l’esprit hindou de ce qui ne lui appartenait pas, et, cette distinction faite, combien il restait peu à Valmiki de puissance réelle, de sens des choses de l’âme, de vrai génie ! […] En imagination, en invention poétique, comme en raison, en aperçus, en déductions, le génie oriental arrive au nihilisme de tous les côtés à la fois, et le ballon de la supériorité indienne crève enfin jusque sous les lèvres qui avaient le plus d’intérêt à le gonfler !

700. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ch. de Rémusat. Abélard, drame philosophique » pp. 237-250

Mais ni grand talent, ni même grand génie, ne sauraient arracher de telles œuvres à leur radicale, à leur irrémédiable infériorité. […] Ils rachètent par d’incontestables beautés les incohérences et les confusions, — ces épouvantables confusions qui embarbouillent parfois jusqu’au génie de Shakespeare lui-même, cet albatros qui dort trop souvent dans les nuages, mais qui s’y réveille avec de si sublimes cris ! […] … Abélard, qui est le héros de cette énorme pièce, ne justifie ni par une scène, ni par un mot, ni par un geste, la grandeur de caractère ou de génie que l’auteur lui accorde dans l’opinion des personnages qu’il mêle à sa vie. […] … C’est que Shakespeare faisait des drames de génie, tandis que Rémusat fait un drame philosophique, juste-milieu, centre gauche, Faubourg Saint-Germain, Académie française, — et j’ai même trouvé dans sa phrase, tout le long de la rhétorique de son drame, quelque chose qui sentait le renfermé de feu Villemain.

701. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Théophile Gautier. » pp. 295-308

C’est un écrivain d’application et d’agencement, de creusement et de volonté, lequel a la religion de Buffon : que le génie n’est qu’une patience… En raison même de ses facultés et de ses théories qui font suite à ses facultés, je crois bien que M.  […] Théophile Gautier, eut un jour la fantaisie d’art de faire un livre du passé dans le style du passé, et, dans le passé, il prit, pour se couler tout vivant dans son génie, le plus difficile génie auquel l’imitation pût atteindre. […] Quoique tous les genres de composition romanesque ne soient pas égaux, même devant le génie, et qu’il y ait une hiérarchie dans les œuvres aussi bien que dans les esprits, j’admets cependant que tous les genres de roman ont un intérêt assez grand pour saisir vivement la pensée et faire prendre l’essor au talent ; mais franchement, je ne vois pas très-distinctement à quel genre de composition romanesque peut appartenir Le Capitaine Fracasse de M. 

702. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

Parrhasius avait commencé, ses successeurs l’avaient suivi ; et le plus célèbre de tous, Praxitèle, répandait alors sur ses ouvrages, sur le Cupidon de Thespis, sur la Vénus de Gnide, cette grâce inimitable qui faisait le caractère de son génie. […] C’est là en effet que toute l’antiquité se trouve ; là, chaque homme paraît tour à tour avec son génie, et les talents ou les vertus qui ont influé sur le sort des peuples. Naissance, éducation, mœurs ; principes ou qui tiennent au caractère ou qui le combattent ; concours de plusieurs grands hommes qui se développent en se choquant ; grands hommes isolés et qui semblent jetés hors des routes de la nature dans des temps de faiblesse et de langueur ; lutte d’un grand caractère contre les mœurs avilies d’un peuple qui tombe ; développement rapide d’un peuple naissant à qui un homme de génie imprime sa force ; mouvement donné à des nations par les lois, par les conquêtes, par l’éloquence ; grandes vertus toujours plus rares que les talents, les unes impétueuses et fortes, les autres calmes et raisonnées ; desseins, tantôt conçus profondément et mûris par les années, tantôt inspirés, conçus, exécutés presque à la fois, et avec cette vigueur qui renverse tout, parce qu’elle ne donne le temps de rien prévoir ; enfin des vies éclatantes, dès morts illustres et presque toujours violentes ; car, par une loi inévitable, l’action de ces hommes qui remuent tout, produit une résistance égale dans ce qui les entoure ; ils pèsent sur l’univers, et l’univers sur eux ; et derrière la gloire est presque toujours caché l’exil, le fer ou le poison : tel est à peu près le tableau que nous offre Plutarque. […] si je dois vivre, si les jours de Démosthène doivent être conservés, que mes conservateurs soient mon pays, les flottes que j’ai armées à mes dépens, les fortifications que j’ai élevées, l’or que j’ai fourni à mes concitoyens, leur liberté que j’ai défendue, leurs lois que j’ai rétablies, le génie sacré de nos législateurs, les vertus de nos ancêtres, l’amour de mes concitoyens qui m’ont couronné plus d’une fois, la Grèce entière que j’ai vengée jusqu’à mon dernier soupir ; voilà quels doivent être mes défenseurs ; et si, dans ma vieillesse, je suis condamné à traîner une vie importune aux dépens des autres, que ce soit aux dépens des prisonniers que j’ai rachetés, des pères à qui j’ai payé la dot de leurs filles, des citoyens indigents dont j’ai acquitté les dettes ; ce n’est qu’à ceux-là que Démosthène veut devoir : s’ils ne peuvent rien pour moi, je choisis la mort ; cesse donc de me séduire, etc. » J’aime ensuite à voir la pitié de dédain avec laquelle il regarde le courtisan qui le croyait sans défense, parce qu’il n’avait autour de lui ni armes, ni soldats, ni remparts, comme si le courage n’était pas la défense la plus sûre pour un grand homme.

703. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. Des oraisons funèbres de Bourdaloue, de La Rue et de Massillon. »

Ceux qui viennent ensuite, trouvent la route tracée, et n’ont plus qu’à la suivre ; mais ce qui est une facilité pour les gens médiocres, est peut-être un obstacle pour ceux qui ne le sont pas ; car l’homme de génie a bien plus de vigueur et de force pour ce qu’il a créé lui-même, que pour ce qu’il imite. […] Son génie austère et dépourvu de sensibilité comme d’imagination, était trop accoutumé à la marche didactique et forte du raisonnement pour en changer ; et il ne pouvait répandre sur une oraison funèbre cette demi-teinte de poésie qui, ménagée avec goût et soutenue par d’autres beautés, donne plus de saillie à l’éloquence. […] La coutume ridicule et barbare de citer toujours un texte, coutume dont les hommes de génie ont quelquefois tiré parti, produisit cette fois-là le plus grand effet. […] La Rue fit couler des larmes et par la force de son sujet et par les beautés que son génie sut en tirer.

704. (1773) Essai sur les éloges « Morceaux retranchés à la censure dans l’Essai sur les éloges. »

Ce n’est pas qu’on prétende attaquer ici les qualités que peut avoir ce ministre ; on convient qu’il eut du courage, un grand caractère, cette fermeté d’âme qui en impose aux faibles, et des vues politiques sur les intérêts de l’Europe ; mais il me semble qu’il eut bien plus de caractère que de génie : il lui manqua surtout celui qui est utile aux peuples, et qui, dans un ministre, est le premier, s’il n’est le seul. […] Il ne sera pas mis non plus parmi ces grands hommes d’état nés pour être conquérants et législateurs, puissants par leur génie, grands par leur propre force, qui ont créé leur siècle et leur nation, sans rien devoir ni à leur nation ni à leur siècle : cette classe des souverains n’est guère plus nombreuse que la première ; mais il en est une troisième qui a droit aussi à la renommée : ce sont ceux qui, placés par la nature dans une époque où leur nation était capable de grandes choses, ont su profiter des circonstances sans les faire naître ; ceux qui avec des défauts ont déployé néanmoins un esprit ferme et toute la vigueur du gouvernement, qui, suppléant par le caractère au génie, ont su rassembler autour d’eux les forces de leur siècle et les diriger, ce qui est une autre espèce de génie pour les rois ; ceux qui, désirant d’être utiles, mais prenant l’éclat pour la grandeur, et quelquefois la gloire d’un seul pour l’utilité de tous, ont cependant donné un grand mouvement aux choses et aux hommes, et laissé après eux une trace forte et profonde.

705. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Puis pendant des siècles, une à une, les provinces qui entreront dans l’unité nationale recevront la langue de France, et mêleront à son esprit leur génie original : ce sera la rude et rêveuse Bretagne, réinfusant dans notre littérature la mélancolie celtique, ce sera l’inflexible et raisonneuse Auvergne, Lyon, la cité mystique et passionnée sous la superficielle agitation des intérêts positifs ; ce sera tout ce Midi, si varié et si riche, ici plus romain, là marqué encore du passage des Arabes ou des Maures, là conservant, sous toutes les alluvions dont l’histoire l’a successivement recouvert, sa couche primitive de population ibérique, la Provence chaude et vibrante, toute grâce ou toute flamme, la Gascogne pétillante de vivacité, légère et fine, et, moins séducteur entre ces deux terres aimables, le Languedoc violent et fort, le pays de France pourtant où peut-être les sons et les formes sont le mieux sentis en leur spéciale beauté. […] Le mouvement des idées, l’évolution de l’organisme social, le contact des races étrangères, et le spectacle de leurs idées, de leur organisation, de leurs arts aussi et de leur littérature, modifient sans cesse le génie national, et l’expression qu’il donne de lui-même dans les œuvres de ses écrivains. […] Au xvie  siècle, affranchi par l’antiquité retrouvée sinon matériellement dans ses œuvres, du moins dans son véritable esprit, éveillé au sens de l’art par la vision radieuse que lui offre l’Italie, le génie français crée ou emprunte les formes littéraires capables de satisfaire ses besoins nouveaux de science et de beauté.

706. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

Trois choses se succèdent continuellement dans les discours de Bossuet : le trait de génie ou d’éloquence ; la citation, si bien fondue avec le texte, qu’elle ne fait plus qu’un avec lui ; enfin, la réflexion ou le coup d’œil d’aigle sur les causes de l’événement rapporté. […] Celle de la duchesse d’Orléans est la plus étonnante, parce qu’elle est entièrement créée de génie. […] On sait avec quel génie, dans l’oraison funèbre de la princesse Palatine, il est descendu, sans blesser la majesté de l’art oratoire, jusqu’à l’interprétation d’un songe, en même temps qu’il a déployé, dans ce discours, sa haute capacité pour les abstractions philosophiques.

707. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Tristan et Yseult, l’Anneau du Nibelung, Parsifal, manifestations suprêmes du génie Wagnérien, sont acclamés par l’élite intellectuelle d’une nation : quoi ! […] Approprions-nous son génie, sa manière… Le Wagnérîste. — Arrêtez ! […] En un mot, ne tentez jamais de vous assimiler son double génie poétique et musical ! […] Oui, j’en suis persuadé, une gloire aussi grande que légitime, une gloire d’une espèce nouvelle, est réservée en France au musicien de génie, — car, du génie, il en faut toujours un peu, — qui, le premier, s’étant profondément imprégné de la double atmosphère musicale et poétique éparse dans nos légendes et dans nos chansons, et, le premier aussi, ayant accepté de la théorie wagnérienne tout ce qu’elle a de compatible avec l’esprit de notre race, réussira enfin, seul ou aidé par un poète, à délivrer notre opéra des entraves anciennes, ridicules ou démodées. […] Il avait répondu : « il faut se procurer un poème vraiment français […] conforme avant tout au génie français ».

708. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Michelet n’est qu’un fantaisiste, j’allais presque dire un fabuliste, plein de génie, et un fantastique qui se prend à l’illusion qu’il a créée, comme on s’enferre sur le glaive qu’on a forgé. […] Lui, le cardinal de Richelieu, l’homme écarlate de pensée, de dessein, d’action comme de robe, un génie fourbe qui cache son secret ! […] Le cerveau, personne n’en doutait ; mais le cœur, on le savait moins, et on le déniait à cet homme qui avait, en réalité, trop de génie pour n’avoir pas aussi du cœur. […] Michelet lui a refusé net le génie. […] , ces deux traits saillants du génie, ne se trouvèrent jamais chez elle. » C’était « une bourgeoise enrichie », le fait est vrai, mais M. 

709. (1881) Le roman expérimental

Un homme de génie n’est pas spirituel, et il fallait un homme de génie pour fixer magistralement la formule naturaliste. […] Augier d’être le génie attendu, le génie destiné à fixer la formule naturaliste ? […] Le génie ne comptait que dans la pompe même du règne. […] Non, en tout ceci, le génie seul importe. […] Est-il un homme de génie ?

710. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

La tâche du génie, c’est d’équilibrer ces deux tendances. […] Le laid peut être transfiguré par le génie ; mais la recherche ou même la tolérance du laid tue le simple talent. […] C’est souvent une chance relative, quand on a du génie, que de souffrir beaucoup : cela inspire et dirige l’inspiration du côté réel. […] Bernardin de Saint-Pierre, par l’intermédiaire de Chateaubriand, devait contribuer à former tout un côté du génie de Flaubert. […] Or le peuple hébreu a eu, au point de vue littéraire, ce rôle important de condenser tout le génie oriental.

711. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 326-327

Ces excès sont sans doute condamnables, mais ils n’en supposent pas moins les germes précieux du génie, germes si rares aujourd’hui ! […] Quel dommage, que ce Génie poétique ne soit pas né un Siecle plus tard ?

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