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494. (1886) Le roman russe pp. -351

À partir de ce moment, l’humble famille des écrivains devient foule et puissance ; sa richesse fait notre embarras, comme auparavant sa pauvreté. Je m’attacherai à quelques figures qui résument la physionomie de cette foule inconnue. […] Et dans l’âme, comme au ciel, s’ouvrent des espaces sans fin ; une foule de visions argentées se lèvent avec grâce dans ses profondeurs. […] Je détache encore un tableau très vivant de la foule polonaise, assemblée à Varsovie pour assister au supplice des Cosaques. […] Soudain un frémissement court dans la foule et des cris éclatent de toute part : « On les amène !

495. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Voici, dans le même décor de la contrée natale, la même cité imaginaire, la même foule bariolée et burlesque, les mêmes tonalités somptueuses, la même puissance enveloppante de l’âme patriarcale. […] Alors, au milieu de cette exhibition après faillite, de ce bazar qu’attendaient les enchères, au sein de cette foule qui suait le désir du lucre, une rédemption s’opéra d’un coup. […] Pas un cri de ce temps ne franchira mon seuil ; Et pour m’ensevelir loin de la foule athée, Je saurai me construire un monument d’orgueil. […] Il aperçoit les routes et les bois, les foules et les villes à travers une perpétuelle hallucination. […] Disséminés dans toute l’œuvre, maints poèmes clament ces foules, ces villes, cet or.

496. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Comment la foule, ameutée et hostile d’abord aux funérailles, les suit avec recueillement. […] La pièce obtint un grand succès et attira la foule. […] Elle remplissait dans le comique une foule de rôles, mais elle tenait l’emploi, fort important dans les comédies de ce temps-là, de première soubrette. […] L’annonce d’une comédie nouvelle et l’innovation d’un spectacle composé de plus d’une pièce attirèrent la foule. […] Raisin essaya d’attirer la foule par d’autres divertissements ; mais ses représentations avaient perdu leur principal attrait : elles cessèrent bientôt d’être suivies.

497. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Jules Sandeau » pp. 322-326

Jules Sandeau, le 26 mai, a été des plus intéressantes, et la foule élégante qui y assistait s’est montrée des plus satisfaites : elle l’a prouvé à diverses reprises par ses applaudissements.

498. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Béranger] » pp. 333-338

ce n’était pas une abolition assez éclatante de ce chant insultant d’un vainqueur sauvage, à qui il avait fait dire en son ivresse : Retourne boire à la Seine rebelle, Où tout sanglant tu t’es lavé deux fois ; Hennis d’orgueil, ô mon coursier fidèle, Et foule aux pieds les peuples et les rois !

499. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLV » pp. 176-182

Il y avait foule et des regrets universels.

500. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

Il fallait donc des lieutenances à cette foule turbulente ; et comment s’y prit-on ?

501. (1875) Premiers lundis. Tome III « Émile Augier : Un Homme de bien »

Mais ce que nous voudrions surtout suggérer à un talent aussi net et aussi naturel d’expression, aussi tourné par vocation, ce semble, aux choses de théâtre, ce serait d’agrandir, avant tout, le champ de son observation, non pas de vieillir (cela se fait tout seul et sans qu’on se le dise), mais de vivre, de se répandre hors du cercle de ses jeunes contemporains, de voir le monde étendu, confus, de tout rang, le monde actuel tel qu’il est, de le voir, non pas à titre de jeune auteur déjà en vue soi-même, mais d’une manière plus humble, plus sûre, plus favorable au coup d’œil, et comme quelqu’un de la foule ; c’est le meilleur moyen d’en sortir ensuite avec son butin, et de dire un jour à quelque ridicule, à quelque vice pris sur le fait : Le voilà !

502. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Introduction » pp. 2-6

Sa fonction principale est, en effet, de renseigner et de guider la foule, d’opérer pour elle un premier triage dans la masse de la production courante, de lui désigner ce qui mérite d’être mis à part.

503. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VI. Recherche des effets produits par une œuvre littéraire » pp. 76-80

Le héros d’un roman qui réussit se reproduit dans une foule d’imitateurs.

504. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Il y en aurait plutôt dans certaines incorrections grammaticales, dans quelques-unes de ces négligences de rime et de langue, que le poëte (a dit autrefois Nodier) semble jeter de son char à la foule en expiation de son génie, et qu’en prenant une plus pastorale image je comparerais volontiers à ces nombreux épis que le moissonneur opulent, au fort de sa chaleur, laisse tomber de quelque gerbe mal liée, pour que l’indigence ait à glaner derrière lui et à se consoler encore. […] en ce moment, comme il s’écrie vers le ciel, comme il foule délicieusement la mousse ! […] Il y a de la douleur toujours (car l’homme la traîne partout), mais moins de vices ; et, tandis qu’en bas, dans les foules, nos pas se heurtent, tournent souvent sur eux-mêmes, et finalement se découragent, de loin, d’en haut, aux yeux du pasteur et du poëte, s’aperçoit mieux peut-être la marche constante de l’humanité sous le Seigneur.

505. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE KRÜDNER » pp. 382-410

C’est comme une sainte du moyen-âge qui nous apparaît, une sainte du Nord, du treizième siècle, une sainte Élisabeth de Hongrie, ou encore quelque sœur du Grand-Maître des Chevaliers porteglaive, qui, du fond de sa Livonie, attirée sur le Rhin, et longtemps mêlée aux délices des cours, ayant aimé et inspiré les illustres minnesinger du temps, ayant fait elle-même quelque roman en vers comme un poëte de la Wartbourg, ou plutôt ayant voulu imiter notre Chrestien de Troyes ou quelque autre fameux trouvère en rime française, en cette langue la plus délitable d’alors, serait enfin revenue à Dieu, à la pénitence, aurait désavoué toutes les illusions et les flatteries qui l’entouraient, aurait prêché Thibaut, aurait consolé des calomnies et sanctifié Blanche, serait entrée dans un Ordre qu’elle aurait subi, qu’elle aurait réformé, et, autre sainte Claire, à la suite d’un saint François d’Assises, aurait remué comme lui des foules, et parlé dans le désert aux petits oiseaux. […] Qu’est-ce qui produit donc cette foule de vices qui nous blessent sans cesse ? […] On en citerait une foule d’exemples.

506. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « George Farcy »

Le sentiment de la vie, de l’effort contraire, de l’action et de la réaction, remplace la conception de l’idée abstraite et subtile, et morte pour ainsi dire, puisqu’elle n’est pas incarnée dans le monde… On va, on sent avec la foule ; on a failli parce qu’on a vécu, et l’on se prend d’indulgence pour les fautes des autres. […] Voici quelques vers commencés que nous trouvons dans ses papiers : Thérèse, que les Dieux firent en vain si belle, Vous que vos seuls dédains ont su trouver fidèle, Dont l’esprit s’éblouit à ses seules lueurs, Qui des combats du cœur n’aimez que la victoire, Et qui rêvez d’amour comme on rêve de gloire,  L’œil fier et non voilé de pleurs ; Vous qu’en secret jamais un nom ne vient distraire, Qui n’aimez qu’à compter, comme une reine altière, La foule des vassaux s’empressant sur vos pas ; Vous à qui leurs cent voix sont douces à comprendre, Mais qui n’eûtes jamais une âme pour entendre Des vœux qu’on murmure plus bas ; Thérèse, pour longtemps adieu ! […] Mais si la foule lui est insupportable, le vaste espace l’accable encore, ce qui est moins poétique.

507. (1863) Cours familier de littérature. XV « XCe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (3e partie) » pp. 385-448

C’était lui et sa belle fiancée agenouillés devant l’autel, le Père Buquet les bénissant et leur parlant d’avenir, la foule assistante, le chant de l’orgue, cette quête pour les pauvres où j’avais quelque embarras, la signature à la sacristie, tant de témoins de ce brillant contrat avec la mort. — La rencontre dehors d’un char funèbre ; le déjeuner à côté de vous où vous me disiez : “Que votre frère est beau ! […] C’est la saison où l’on vient nous voir, cette fois-ci c’était en foule des allons à la campagne, et la campagne est envahie, le Cayla peuplé, bruyant, gai de jeunesse, la table entourée de convives inattendus, l’improvisé dispense de cérémonie. […] D’abord sa mère, puis son père, puis ce frère Maurice, dans l’âme duquel elle se transvase, puis les amis de ce frère, dans lesquels elle voit encore et toujours lui, puis enfin, si l’on en croit des signes non équivoques de sa plume, cet admirateur de son frère, ce jeune homme original, d’un autre temps, ce chevaleresque paladin de style qui confond la plume avec l’épée, et qui aime le combat contre son siècle, parce que le siècle est nombreux comme une foule et que lui est seul comme l’antagonisme courageux, M. d’Aurevilly !

508. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 5-64

— Monte, jeune pifferaro, dirent-ils tous en me faisant place, il ne nous manquait qu’un ménétrier, dont nous n’avons point au village, pour jouer de la zampogne sur le devant du char de noces en rentrant en ville et en nous promenant dans les rues aux yeux ravis de la foule, tu nous en serviras quand tu seras rafraîchi ; et puis, à la nuit tombée, tu feras danser la noce chez la mère de la mariée, si tu sais aussi des airs de tarentelle, comme tu sais si bien des airs d’église. […] CLV La foule de leurs amis se pressait à la porte de la ville ; on sortait de toutes les maisons et de toutes les boutiques pour leur faire fête ; les fenêtres étaient garnies de jeunes filles et de jeunes garçons qui jetaient des œillets rouges sur les pas des bœufs, sur le ménétrier et sur le char ; nous en étions tout couverts ; on battait des mains et on criait : Bravo ! […] Ce dieu, c’est la foule ; quand elle est contente, ils sont inspirés ; j’étais au-dessus de moi-même, ivre, folle, quoi !

509. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

Après Rabelais et Calvin, elles continuent d’entrer en foule dans les ouvrages en prose, et on les voit apparaître en plus grand nombre et de plus en plus claires dans Amyot et Montaigne. […] Ce que Pascal, homme de génie, voit simultanément en Montaigne et en lui, et presque plus tôt en lui qu’en Montaigne, le moi humain, nous, la foule des esprits capables de se perfectionner par la culture, nous le voyons aussi, avec son aide et par son indication, charmés de nous estimer davantage dans le même temps que nous nous reconnaissons. […] Il a peint admirablement ce caprice de son esprit et cette indifférence pour toute méthode : « Je n’ai point d’aultre sergent de bande à ranger mes pieces que la fortune à mesme que mes resveries se présentent, je les entasse ; tantdst eues se pressent en foule, tantost elles se traisnent à la file.

510. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

L’Histoire du Consulat et de l’Empire a contenté ce besoin de notre temps, avec un assentiment extraordinaire des bons juges et de la foule. Si quelques esprits restés fidèles à l’ancien type historique, et justement préoccupés de précision, de choix sévère entre le nécessaire et le superflu, de beauté soutenue du langage, ont pu croire par moments qu’ils lisaient moins une histoire qu’un vaste et éloquent rapport, ils sont d’accord avec les bons juges et la foule pour admirer cette facilité, cette lumière universelle qui, de l’esprit de l’écrivain, se répand sur tous les sujets qu’il traite, cette pénétration qu’aucune difficulté ne met en défaut, cette éloquence qui, même où elle surabonde, ne sent jamais l’amplification, cette veine de français des meilleurs temps de la langue, qui court à travers les négligences et les locutions vieillissantes de la langue politique138. […] Cependant quelques noms destinés à durer dominent la foule brillante de nos romanciers.

511. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Mais, s’il y avait dans la foule un seul incrédule qui levât les yeux pour voir si le miracle était réel, le saint, justement blessé de ce soupçon, ne bougeait pas, et, par la faute du mécréant, personne n’était béni. […] Elle parlait admirablement le breton, connaissait tous les proverbes des marins et une foule de choses que personne au monde ne sait plus aujourd’hui. […]  » Au milieu de cet éclat public, le vicaire ne put éviter d’apprendre la vérité sur une foule de points qu’il se dissimulait.

512. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIV. La littérature et la science » pp. 336-362

La vapeur contrainte pour la première fois à mouvoir des bateaux et des voitures ; la conquête de l’air entreprise par d’audacieux aérostats ; la foudre obligée de dire son secret et de suivre la route qu’on lui trace ; le magnétisme dévoilant quelques-uns de ses mystères, qui font l’étonnement de la foule et la fortune des charlatans : voilà, non le tableau complet, mais une esquisse rapide des fruits que fait naître une observation plus attentive du monde extérieur. […] Il n’est pas jusqu’aux gens du monde dont la frivolité ne se pique de goût pour les sciences naturelles, et les grands amphithéâtres où l’on enseigne la physique et la chimie, devenus trop petits pour la foule qui s’y presse, voient avec surprise s’asseoir sur leurs bancs peu rembourrés l’élite de l’aristocratie féminine. […] On verrait, par exemple, comment les théories microbiennes d’un Pasteur, ses recherches sur les infiniment petits des corps ont pour pendant les fines études des romanciers analystes, les subtiles anatomies morales d’un Bourget coupant, comme on l’a dit, un cheveu en quatre, ses tentatives pour pousser ses délicates dissections jusqu’au plus menu détail, son talent à saisir et à rendre visibles les infiniment petits du cœur humain ; on verrait comment cette prédominance de l’esprit d’analyse se marque, dans l’érudition du temps, par des discussions acharnées sur un point ou une virgule, par une foule de travaux minutieux dont les auteurs fouillent à la loupe avec une patience infatigable quelque coin exigu du passé.

513. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre deuxième. Le développement de la volonté »

Dans une foule rassemblée sur une place, si quelque danger vient à se produire sur un point, les mouvements de recul pourront être prévus et affecter une forme mécanique. […] Si on voit une foule courir dans une direction, on est poussé à tourner la tête du même côté et à suivre les autres : c’est là une impulsion produite par une perception. […] Tout acte est associé dans notre esprit à une foule d’idées qui sont comme les principes dont il est la conséquence ; or, la conséquence suggère nécessairement le souvenir de ses principes habituels.

514. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Hume et Gibbon ont, dit-on, perdu le génie de la langue anglaise, en remplissant leurs écrits d’une foule de gallicismes ; on accuse le premier d’être lourd et immoral. […] Un vieillard perce la foule et vient le presser dans ses bras ; on lui sert un grand festin ; on lui fournit des vivres en abondance. […] Bravant les vains mépris de la foule insensée Jamais l’ambition ne troubla leur pensée. […] Mais si le despote est fort, que lui importeront les gémissements secrets de la foule ou l’indignation impuissante de quelque honnête homme ? […] On connaît cette foule de mots où brille la magnanimité de Louis XIV.

515. (1925) Dissociations

Donc, pour prendre un exemple, d’ailleurs périodique comme les phases de la lune, la foule (et dans la foule il y a pas mal d’hommes qui font figure dans le monde), la foule, guidée par les maîtres qui sont dignes de la conduire, s’obstine à unir dans un même concept, dans une même vision, l’art et la morale. […] La foule ne sépare pas ces deux idées. […] La foule réclame le miracle. […] Le miracle se produira-t-il avant que la foule se lasse ? […] Si le bandit avait prêté quelque peu à la sympathie, l’admiration aurait gagné la foule et peut-être la presse.

516. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

Cette foule idolâtre postulait un idéal digne d’elle et approprié à sa nature, cela est bien entendu. […] » Je le sais, et cependant je leur demanderai à mon tour s’ils croient à la contagion du bien et du mal, à l’action des foules sur les individus et à l’obéissance involontaire, forcée, de l’individu à la foule. […] Je ne crains pas qu’on dise qu’il y a absurdité à supposer une même éducation appliquée à une foule d’individus différents. […] Ce monde lilliputien, ces processions en miniature, ces petites foules serpentant dans des quartiers de roche, font penser à la fois aux plans en relief du Musée de marine, aux pendules-tableaux à musique et aux paysages avec forteresse, pont-levis et garde montante, qui se font voir chez les pâtissiers et les marchands de joujoux. […] Parmi les nombreuses omissions que j’ai commises, il y en a de volontaires ; j’ai fait exprès de négliger une foule de talents évidents, trop reconnus pour être loués, pas assez singuliers, en bien ou en mal, pour servir de thème à la critique.

517. (1900) Quarante ans de théâtre. [II]. Molière et la comédie classique pp. 3-392

La foule n’en était pas moins énorme aux alentours du théâtre. […] C’est seulement vers le milieu du dix-huitième siècle que le Tartuffe, traduit en portugais par le capitaine Manoel de Souza, fut joué à Lisbonne, aux applaudissements de la foule. […] Mais à qui a vu cette foule applaudir et rire, il est évident que le fameux moment psychologique n’est pas encore arrivé. […] Il faut, même alors qu’on le lit dans le silence du cabinet, se figurer qu’il a écrit pour la foule. […] C’est un régal de lettrés ; la foule n’y entrera que plus malaisément.

518. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome II

des défauts qui la rapprochent du commun des spectateurs, une raison moins austère, des passions dont la violence secoue plus fortement la foule. […] Une foule de jeunes chevaliers et de plébéiens, au nombre de plus de cinq mille, choisis parmi les plus beaux et les plus robustes, se répandaient de tous côtés pour prôner son talent : ils étaient divisés par compagnies. […] Ce n’est pas un grand effort de faire éclore quelques beautés d’un amas de sottises : la palme est à celui qui sait créer une foule de beautés, sans sortir du cercle étroit que l’art et la raison tracent autour de lui. […] Pour trois folles que le poète s’est permis de peindre afin d’étaler toutes les ressources de son art, quelle foule de femmes douces, modestes, vertueuses, magnanimes, qu’il a pris plaisir à parer de toutes les grâces de son génie ! […] Il y a une foule de comédies en un acte beaucoup plus agréables, et qu’on ne joue jamais.

519. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Il y a une foule de scènes que Voltaire n’était capable ni d’imaginer ni d’écrire, et dans la conduite on remarque un artifice théâtral et des combinaisons qui ne pouvaient partir que de la tête de Corneille. […] Le théâtre n’a-t-il pas une foule de convenances à garder ? […] Une foule d’amis que son danger excite. […] bien débité, il séduit au théâtre par une apparence de vivacité et de chaleur, par ce prestige banal d’une foule de mots prononcés avec volubilité ; mais, quand on l’examine, il est prolixe et traînant. […] …………………………………………… Je vois près d’une tombe une foule éperdue.

520. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Nous nous perdîmes dans la foule pendant mes années politiques et troublées de tribun sur la place publique. […] Il pouvait se cacher dans la foule, vivre et mourir incognito ; bonheur qui, par punition du ciel, m’est refusé. […] Mais, méconnu par la foule, il laissait ici-bas ce qui console de vivre, une famille du sang, et des amis, famille de cœur. […] Tu ris de ceux que le siècle exalte, parce qu’ils répètent les banalités et les sophismes convenus de leur époque ; tu plains ceux qui, comme toi, pensent leurs pensées à part de la foule, qui les écrivent ou qui les chantent, ou qui les convertissent en action, et qui, de leurs chants et de leurs actes, ne recueillent que l’envie ou le dédain.

521. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Est-il opportun de rabaisser une époque éprise d’idéologie et d’art, aux yeux de nos foules actuelles, qui ne se complaisent que trop, hélas ! […] Y a-t-il danger à ce que les foules soient incitées à mésestimer l’effort littéraire du xixe  siècle français ? […] L’art vrai est en dehors des foules. […] Maurice De Waleffe (Extrait de Paris-Midi) Émile Zola, dans le dernier quart du siècle, exerçait en prose le sacerdoce que Victor Hugo exerça d’abord en vers pendant quarante ans ; il enseignait aux foules la liberté et l’égalité, au nom de la science.

522. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

C’est ce que Wagner a fait, en partie par une série de scènes nouvelles, en partie par une foule de modifications de détails qui passent inaperçus à l’œil banal, quoiqu’ils changent la nature du drame du tout au tout. […] Au premier moment, dans la lutte qui s’établissait entre Wagner et la foule, les partisans de Wagner n’ont pas eu le temps de s’entre-regarder, il s’agissait de courir au plus pressé. […] Mais l’hostilité de la foule ayant cessé peu à peu et s’étant transformée en curiosité, il a enfin fallu passer à la période éducatrice. Jusque-là on n’avait fait que crier : « Wagner est un grand génie. » La foule a naturellement voulu savoir pourquoi.

523. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

La foule houleuse et de belle humeur témoignait bruyamment sa satisfaction du temps et du spectacle ; elle s’enquérait du nom des célébrités et des délégations de villes et de pays qui défilaient pour son plaisir ; elle admirait les monumentales couronnes de fleurs portées sur des chars ; elle applaudissait les fifres des sociétés de tir, déchirant les oreilles de leurs airs discordants ; elle saluait de rires ironiques Déroulède et son sérieux en redingote verte ; et pour mettre le comble à sa joie, il ne manquait que le blason des Benni-bouffe-toujours du cortège, — le lapin sauté et leur arme, — la colossale seringue de carton. […] Cependant les lettrés du xviie  siècle annonçaient que l’Adone effacerait à jamais le Roland furieux, la Divine Comédie et l’Iliade d, et des foules en délire promenaient des bannières, où l’on proclamait que l’illustre Marin était « l’âme de la poésie, l’esprit des lyres, la règle des poètes… le miracle des génies… celui dont la plume glorieuse donne au poème sa vraie valeur, aux discours ses couleurs naturelles, au vers son harmonie véritable, à la prose son artifice parfait… admiré des docteurs, honoré des rois, objet des acclamations du monde, célébré par l’envie elle-même, etc., etc. ». […] Tout y est pesé, prévu ; depuis le char du pauvre dans le but d’exagérer sa grandeur par cette simplicité et de gagner la sympathie de la foule toujours gobeuse, jusqu’aux cancans sur le million qu’il léguait pour un hôpital, sur les 50 mille francs pour ceci, et les 20 mille pour cela, dans le but de pousser le gouvernement à la générosité et d’obtenir des funérailles triomphales sans bourse délier. […] Un bout de conversation saisi au vol dans la foule du premier juin : Premier bourgeois. — Hugo, devait être diantrement riche pour que l’État lui fasse de telles funérailles : ce n’est pas pour un génie pauvre qu’il ferait tant de dépenses.

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