« J’arrivai chez moi, dit-il, à minuit ; la scène de famille qui m’attendait était très propre à répandre une illumination joyeuse au milieu de quelque roman fantastique. […] Si vous étiez né Grec ou seulement Italien, ayant sous les yeux, dès le berceau, une nature merveilleuse et un art idéal, vous auriez atteint le but dès le point de départ, et le grand style se serait formé en vous sur le modèle éternel ; mais vous êtes né Allemand avec une âme grecque, et il vous a fallu vous refaire Grec à force de contemplation et d’intuition. » — « Je vous ai attendu longtemps, répond Goethe ; j’ai marché jusqu’ici seul dans ma voie, non compris, non encouragé ! […] Le plaisir, en France, court plus vite que le temps ; il n’attend personne, pas même le génie. […] On s’attendait au massacre des habitants et à l’incendie de la ville ; Goethe envisagea d’un regard calme le péril. […] je suis enfermée dans mon amour pour toi comme dans une cabane solitaire ; ma vie se passe à t’attendre !
« Cet ordre, si brutalement péremptoire, du départ de l’ambassadeur, et cette déclaration de rupture ne produisirent pas l’effet qu’en attendaient M. de Cacault et le gouvernement consulaire. […] Cacault que le général l’attendait à Pise pour conférer avec lui ; ils s’y rendirent. […] Voilà que ce soir-là, tandis que nous attendions la sortie des souverains de leurs appartements, il s’approche de moi, puis, me prenant par la main, il me conduit dans un coin du salon. […] « Nous répondîmes que ce biais était impossible ; que, tous, nous étions résolus à ne point trahir la vérité à n’importe quel prix ; que nous ne voulions pas manquer à nos devoirs et à nos serments de soutenir les droits du Saint-Siège ; que cette défense obligatoire exigeait l’allégation du véritable motif de notre conduite à l’exclusion de tout autre ; que nous ne nous attendions pas aux conséquences qui allaient, disaient-ils, découler de l’exposition du vrai motif, et que nous n’entrions même pas dans ces éventualités ; que nous ne prétendions point nous ériger en juges de l’affaire, mais que nous ne pouvions transiger en aucune façon sur la sincérité des causes qui nous avaient empêchés d’intervenir. […] Cette fâcheuse coïncidence devait encore accroître la colère de l’Empereur recevant une lettre si différente de celle qu’il attendait.
Après cela, j’ouvris la porte, et le froid terrible entrant tout à coup, m’avertit qu’il ne fallait pas attendre. […] Lorsque je rencontrai la tante et Catherine, qui m’attendaient sous la voûte de la mairie, elles me reconnurent à peine. […] c’était comme un spectacle qui se passe sous vos yeux : — je voyais leur étonnement et leurs craintes en apprenant la grande bataille ; la tante Grédel qui courait tous les jours sur la route pour aller voir à la poste, pendant que Catherine l’attendait en priant ; et M. […] Mon âme était là-bas avec eux ; elle attendait en quelque sorte devant la poste avec la tante Grédel, elle retournait au village abattue, elle voyait Catherine dans la désolation. […] Goulden, qui n’était pas trop content de voir revenir les anciens rois et les anciens nobles, pensait pourtant que ces gens avaient assez souffert dans les pays étrangers, pour comprendre qu’ils n’étaient pas seuls au monde et respecter nos droits ; il pensait aussi que l’empereur Napoléon aurait le bon sens de se tenir tranquille… mais il se trompait : — les Bourbons étaient revenus avec leurs vieilles idées, et l’empereur n’attendait que le moment de prendre sa revanche.
Exerçons l’instinct ; aidons la réflexion à se dégager des sensations ; attendons, sans la prévenir, que la raison apparaisse. […] La nature ne connaît que Dieu : les dogmes des religions sont des inventions de la société ; ne montrons à notre élève que Dieu, et attendons pour le lui montrer qu’il puisse le voir, dans la pureté et l’infinité de son essence. […] On ne s’attendrait pas que cette œuvre si une, si logique, si ramassée en un petit nombre de principes, fût la transcription d’une vie si éparse, si aventureuse, si agitée ; et cela est pourtant. […] Il a paru bien bizarre que Rousseau attendit si tard pour parler de Dieu à son élève, tout à la fin de l’éducation. […] Mais regardons la réalité des choses : ne faut-il pas attendre que l’enfant soit un homme, qu’il sache et comprenne déjà bien des choses, pour poser devant lui la question de croire et de ne pas croire ?
Mais pour peu qu’ils soient douteux, il ne se donne pas le temps de les vérifier ; et s’ils tardent, il ne les attend pas. […] Il n’attend pas toujours qu’on le loue, il s’en charge lui-même ou il y aide les gens : le tout avec du tact, de la mesure, de charmants retours de vérité sur lui-même, où il se met à sa place, et rend de très bonne grâce ce qu’il a pris de trop. […] Quand Gil Blas, dans l’antichambre de l’archevêque de Grenade, attend le moment d’être reçu, au lieu d’inventorier le palais archiépiscopal, il aime mieux, dit-il, décrire le peuple d’ecclésiastiques et de gens d’épée qui attendent comme lui à la porte du cabinet. […] On s’attendait à des préceptes sur l’objet et l’utilité des exercices ; le livre n’offre que des distinctions générales sur les études, divisées en nécessaires, utiles, curieuses, superflues.
Je l’attends à quelques années de là. […] Grâce à ces mélanges, la condition rajeunira le caractère, et, pour peu qu’on s’y entende, « on pourra faire, affirme Diderot, un Misanthrope nouveau tous les cinquante ans. » Nous sommes à deux cents ans du premier ; le second, nous l’attendons encore. […] Dans la comédie sérieuse de Diderot, le caractère n’étant que l’accessoire, je m’attends bien à cette maxime : « C’est aux situations à décider des caractères » : et à celle-ci : « Le plan d’un drame peut être fait et bien fait sans que le poète sache rien du caractère qu’il donnera à ses personnages60. » Je n’exhume pas ces paradoxes d’un livre oublié, pour me donner le vain plaisir de triompher d’idées qui n’auraient plus de champions. […] Beaumarchais n’a pas dû avoir un ami qui ne s’attendît à devenir son ennemi. […] Acheminer le vieux célibataire au mariage sans l’y pousser ; écarter, par de prudentes calomnies, un neveu et sa jeune femme de la maison d’un oncle incapable de haine et très capable de retour ; ménager un intendant complice de ses petits profits, qui veut sa main parce qu’il la sait bien pleine ; poursuivre le maître en paraissant l’attendre, et tenir l’intendant tout à la fois en échec et en espérance : voilà les fins auxquelles la rusée fait servir les qualités comme les vices de sa nature.
Mais c’est le propre de la foi d’espérer contre l’espérance, et il n’est rien après tout que le passé ne nous autorise à attendre de l’avenir de l’humanité. […] Il faudrait attendre pour cela le prochain tremblement de terre. […] Il détruira lui-même l’instrument qui aurait pu servir à l’élever ; il faudra attendre que la civilisation sorte de nouveau spontanément du fond de sa nature. […] Souhaitons-lui de la patience, s’il est obligé d’attendre, pour faire prévaloir sa découverte, l’adhésion du suffrage universel. Un empirique qui crie bien haut qu’il a trouvé la solution, qu’elle est claire comme le jour, qu’il faut avoir la mauvaise foi de gens intéressés pour s’y refuser, qui répète tous les jours dans les colonnes d’un journal de banales déclamations — celui-là, incontestablement, fera plus vite fortune que celui qui attend le succès de la science et de la raison.
La petite Grèce attendait cet énorme choc, et cette attente semblait le sursis d’un arrêt de mort. […] N’attends pas la cavalerie, ni l’infanterie qui arrivent. — Ne reste pas devant l’armée nombreuse du continent ; mais pars, — Tourne-lui le dos, tu lui feras face un jour. — Ô divine Salamine ! […] Les Spartiates n’attendirent pas l’attaque par derrière ; ils se ruèrent hors du défilé, sur l’avant-garde persane, et firent dans sa masse une trouée sanglante. […] Quand les ennemis approchaient, il jetait l’ancre dans le terrain sablonneux ; et là, rivé au sol, le glaive en avant comme un bec de proue, il attendait l’abordage. […] Comme à Platée, les Perses les attendaient, un genou en terre, l’arc au poing, sous la toiture d’osier de leurs boucliers plantés dans le sol par des fers de piques.
Il l’attendait. […] Mais il l’attend, le misérable ! […] Il prenait parti sur ces choses-là sans attendre la certitude. […] Madame de Mouchy l’attendait à l’Alhambra. […] Elle reconnaît aussitôt celui qu’elle attendait, son rêve.
Il finit même par regarder comme un homme sans lumières celui qui, mettant de côté la prospérité présente, recommandait d’attendre la fin de toutes choses pour les juger. […] Je suis, de plus, chargé de te dire que, si tu balances à le faire périr, ou si tu le laisses vivre, de quelque manière que ce soit, tu dois t’attendre toi-même à la mort la plus affreuse. […] Lorsqu’un enfant vient de naître, tous ses parents, rangés autour de lui, pleurent sur les maux qu’il aura à souffrir depuis le moment où il a vu le jour, et comptent en gémissant toutes les misères humaines qui l’attendent. […] « En écoutant ce récit, le roi ne put se figurer, ce qui était vrai pourtant, que ces Grecs s’attendaient bien à périr, mais ne voulaient perdre la vie qu’après l’avoir ôtée au plus grand nombre possible d’ennemis, et ne vit que de l’absurdité dans leur conduite. […] « Cependant, au lever du soleil, Xerxès, ayant fait des libations, attendit l’heure du marché plein pour se mettre en mouvement : c’était celle qui avait été convenue avec Épialte, et calculée sur la descente de la montagne, qui demandait moins de temps que la montée.
Vous attendez « le coup du Gendre de Monsieur Poirier » ? […] Lorsqu’il en fait part à sa mère, c’est à une heure du matin, près de la table où traînent les restes d’un souper, et pendant que sa maîtresse attend dans le cabinet de toilette. […] dit-elle. « Attends que ça vienne », répond-il. […] » Et il laisse Paméla porter le petit Louis aux conjurés qui l’attendent à l’entrée du souterrain… Le reste est rempli par l’histoire de la conspiration. […] Attiré par la vedette de l’affiche, Dufresne l’attend, un soir, à sa sortie des Ambassadeurs.
Attendre tous les soirs une robe qui passe, Baiser un gant jeté. […] Nos rimeurs contemporains veulent ainsi « faire un sort » à toutes leurs rimes ; de douze syllabes en douze syllabes, on s’attend si bien au petit ou grand effet, que l’effet est manqué. […] Nous sommes aussi vieux qu’au jour de ta naissance ; Nous attendons autant, nous avons plus perdu : Plus livide et plus froid, dans son cercueil immense, Pour la seconde fois Lazare est descendu. […] Alors en effet le petit nombre de mots économise l’attention ; de plus, la voix tombe et se pose plus vite qu’on ne s’y attendait : il s’ensuit un silence imprévu, qui, en surprenant l’oreille, ranime l’attention et la fixe sur l’idée qu’on vient d’exprimer. […] Il attendit que l’eau se fût rendormie, N’osant bouger, Le cœur battant à grands coups.
Ils pouvaient donc espérer d’une autre vie plus et mieux que ce que faisait attendre la religion nationale. […] L’état d’âme était là, préfiguré sans doute avec d’autres, et n’attendait qu’un signal pour se déclencher. […] On répondra que la vérification était possible en droit, sinon en fait, que d’autres voyageurs étaient libres d’y aller voir, que d’ailleurs la carte dressée sur les indications d’un voyageur unique était provisoire et attendait que des explorations ultérieures la rendissent définitive. […] La rencontre, chez les mystiques, de cette expérience telle qu’on l’attendait, permettrait alors d’ajouter aux résultats acquis, tandis que ces résultats acquis feraient rejaillir sur l’expérience mystique quelque chose de leur propre objectivité. […] L’absence d’une chose étant toujours la présence d’une autre — que nous préférons ignorer parce qu’elle n’est pas celle qui nous intéresse ou celle que nous attendions — une suppression n’est jamais qu’une substitution, une opération à deux faces que l’on convient de ne regarder que par un côté : l’idée d’une abolition de tout est donc destructive d’elle-même, inconcevable ; c’est une pseudo-idée, un mirage de représentation.
J’attendrai. […] Et les courtisans d’Alexandre d’admirer de toutes leurs forces. — On s’attendait à une grande récompense. […] « J’attendrai l’heure où je n’aurai plus de talent », répondit l’ami, qui s’appelait Fontenelle. […] s’écria le vieillard, qui s’attendait à être reçu les bras ouverts, je suis perdu ! […] Elle avait un amoureux qui l’attendait, afin de mourir.
J’aurais couru, aujourd’hui même, vous dire tout cela et bien d’autres pensées encore, que les vôtres ont réveillées en moi et ont fait naître ; mais je suis comme vous, j’ai cet honneur, et je suis de corvée tous ces jours-ci : je ne pourrai aller rue de la Ville-l’Évêque que vers la fin de la semaine, et je n’ai pu attendre jusque-là pour vous envoyer les remerciements d’un cœur comblé, pardonné et récompensé à jamais par vous.
D'autres pensent qu’il n’y a pas d’inconvénient à attendre et que le bien se dégagera.
Il savait bien que le jour de la lutte renaîtrait entre nous et la faction incorrigible, et pensant qu’il serait temps alors de lui faire bonne guerre, il attendait patiemment le juste milieu à cette épreuve.
Comme Brizeux, auquel il ressemble par la pudeur de son lyrisme voilé, il a aimé la Muse d’un amour exclusif, délicat et scrupuleux… Le poète de l’Âme vierge n’a pas attendu, pour nous dire sa chanson, que les annonciateurs de « formules » nouvelles aient prédit une révolution du goût.
Je les remarque avec d’autant plus de plaisir que je m’y attendais moins.
L’orgueil, l’indépendance, l’entêtement, sont tour-à-tour des prestiges qui les aveuglent ; & égarés eux-mêmes par leurs propres illusions, ils deviennent une occasion d’ égarement & de folie pour les esprits foibles & inquiets qui n’attendent que de fausses idées pour s’y laisser entraîner.
Vous n’attendez pas après l’argent d’un tableau pour payer votre loyer.
Molière fut une fois vu durant plusieurs heures, assis à bord du coche d’Auxerre, à attendre le départ. […] C’est que Molière ne la cherchait pas ; c’est qu’il ne faisait pas d’habitude son second vers avant le premier, et n’attendait pas un demi-jour et plus pour trouver ensuite au coin d’un bois le mot qui l’avait fui. […] du ton d’un homme qui en dit moins qu’il ne pense ; les deux amis attendaient sa décision. […] Shakspeare, jeune, inconnu encore, attendait dans la chambre d’une auberge l’arrivée de lord Southampton, qui allait devenir son protecteur et son ami. […] Elles lui donnèrent à ce dernier moment de sa vie tout le secours édifiant que l’on pouvoit attendre de leur charité, et il leur fit paroître tous les sentiments d’un bon chrétien et toute la résignation qu’il devoit à la volonté, du Seigneur.
Hugo, à notre sens, attend encore des juges. […] Il devait s’y attendre ; il doit peu s’en soucier. […] Arrivé là, le lecteur se déroule et attend. […] Attendons. […] J’attends avec impatience, et je lirai avidement cette réponse.
Le sourire de Mallarmé pouvait tromper certains, mais ne le trompait pas lui-même, lorsqu’à un journaliste, qui emportait le manuscrit d’une de ses allocutions, il disait : « Attendez que j’y remette un peu d’obscurité ». […] « Ces faveurs surabondantes et mystérieuses, loin de les accueillir telles quelles, uniquement déduites du grand désir, naïvement formées de l’extrême attente de mon âme, il faut que je les arrête, ô Phèdre, et qu’elles attendent mon signal. […] « Je ressens, dit-il, chaque parole dans toute sa force pour l’avoir indéfiniment attendue. » Chaque parole participe de mon être profond, imprévisible, le lointain de son origine fait la force vive avec laquelle elle m’arrive. […] Valéry l’a redit : Ne hâte pas cet acte tendre Douceur d’être et de n’être pas, Car j’ai vécu de vous attendre, Et mon cœur n’était que vos pas. […] Tout m’est pulpe, tout amande, Tout calice me demande Que j’attende pour son fruit.
Les leçons d’esthétique de Pictet l’ayant ému, il attend pieusement le contact avec la terre des arts et les paysages de Virgile. […] Il se ressaisit pourtant, et devait attendre encore dix-sept ans avant de donner un démenti péremptoire à Berthe Vadier. […] Attends, mon ami ! […] On y attendrait les vers de la Bouteille à la mer. […] Bergeret attend M.
Certains critiques ont toujours l’air de juges qui, leur sentence rendue, attendent le bourreau. […] nous sommes de doux passe-temps, des façons de se consoler, d’attendre. […] On pouvait, après ce premier livre, attendre une suite d’études dans le même ton de sincérité et de détachement ; l’ironie sans doute se serait accentuée et, portant sur des faits plus généraux, aurait donné aux analyses une force plus convaincante. […] Et les anges ont froid parmi les hirondelles, et la bien-aimée attend, inquiète, les anges attardés. […] Les fleurs qu’il désire et les fruits qu’il attend diffèrent selon la nature de son âme, mais il croit aux fleurs et aux fruits, et qu’il mangera les fruits, et qu’il s’endormira rassasié au pied de l’arbre de sa prédilection.
Jeune homme, qui vous destinez aux lettres et qui en attendez douceur et honneur, écoutez de la bouche de quelqu’un qui les connaît bien et qui les a pratiquées et aimées depuis près de cinquante ans, — écoutez et retenez en votre cœur ces conseils et cette moralité : Soyez appliqué dès votre tendre enfance aux livres et aux études ; passez votre tendre jeunesse dans l’etude encore et dans la mélancolie de rêves à demi-étouffés ; adonnez-vous dans la solitude à exprimer naïvement et hardiment ce que vous ressentez, et ambitionnez, au prix de votre douleur, de doter, s’il se peut, la poésie de votre pays de quelque veine intime, encore inexplorée ; — recherchez les plus nobles amitiés, et portez-y la bienveillance et la sincérité d’une âme ouverte et désireuse avant tout d’admirer ; versez dans la critique, émule et sœur de votre poésie, vos effusions, votre sympathie et le plus pur de votre substance ; louez, servez de votre parole, déjà écoutée, les talents nouveaux, d’abord si combattus, et ne commencez à vous retirer d’eux que du jour où eux-mêmes se retirent de la droite voie et manquent à leurs promesses ; restez alors modéré et réservé envers eux ; mettez une distance convenable, respectueuse, des années entières de réflexion et d’intervalle entre vos jeunes espérances et vos derniers regrets ; — variez sans cesse vos études, cultivez en tous sens votre intelligence, ne la cantonnez ni dans un parti, ni dans une école, ni dans une seule idée ; ouvrez-lui des jours sur tous les horizons ; portez-vous avec une sorte d’inquiétude amicale et généreuse vers tout ce qui est moins connu, vers tout ce qui mérite de l’être, et consacrez-y une curiosité exacte et en même temps émue ; — ayez de la conscience et du sérieux en tout ; évitez la vanterie et jusqu’à l’ombre du charlatanisme ; — devant les grands amours-propres tyranniques et dévorants qui croient que tout leur est dû, gardez constamment la seconde ligne : maintenez votre indépendance et votre humble dignité ; prêtez-vous pour un temps, s’il le faut, mais ne vous aliénez pas ; — n’approchez des personnages le plus en renom et le plus en crédit de votre temps, de ceux qui ont en main le pouvoir, qu’avec une modestie décente et digne ; acceptez peu, ne demandez rien ; tenez-vous à votre place, content d’observer ; mais payez quelquefois par les bonnes grâces de l’esprit ce que la fortune injuste vous a refusé de rendre sous une autre forme plus commode et moins délicate ; — voyez la société et ce qu’on appelle le monde pour en faire profiter les lettres ; cultivez les lettres en vue du monde, et en tâchant de leur donner le tour et l’agrément sans lequel elles ne vivent pas ; cédez parfois, si le cœur vous en dit, si une douce violence vous y oblige, à une complaisance aimable et de bon goût, jamais à l’intérêt ni au grossier trafic des amours-propres ; restez judicieux et clairvoyant jusque dans vos faiblesses, et si vous ne dites pas tout le vrai, n’écrivez jamais le faux ; — que la fatigue n’aille à aucun moment vous saisir ; ne vous croyez jamais arrivé ; à l’âge où d’autres se reposent, redoublez de courage et d’ardeur ; recommencez comme un débutant, courez une seconde et une troisième carrière, renouvelez-vous ; donnez au public, jour par jour, le résultat clair et manifeste de vos lectures, de vos comparaisons amassées, de vos jugements plus mûris et plus vrais ; faites que la vérité elle-même profite de la perte de vos illusions ; ne craignez pas de vous prodiguer ainsi et de livrer la mesure de votre force aux confrères du même métier qui savent le poids continu d’une œuvre fréquente, en apparence si légère… Et tout cela pour qu’approchant du terme, du but final où l’estime publique est la seule couronne, les jours où l’on parlera de vous avec le moins de passion et de haine, et où l’on se croira très clément et indulgent, dans une feuille tirée à des milliers d’exemplaires et qui s’adresse à tout un peuple de lecteurs qui ne vous ont pas lu, qui ne vous liront jamais, qui ne vous connaissent que de nom, vous serviez à défrayer les gaietés et, pour dire le mot, les gamineries d’un loustic libéral appelé Taxile Delord.
. — Un grand homme qui attend, comédie en 2 actes et en vers (1879). — La Lune rousse, comédie en 2 actes, en prose (1879). — Œuvres poétiques (1872-1883). — Promenades autour d’un tiroir (1886).
Tant qu'un Ecrivain pourra s'assurer de ne combattre qu'en faveur du bien public, il ne doit pas s'attendre aux suffrages de ceux qui en sont les plus mortels ennemis.
Nous n’étions pas revenus de notre surprise, elle augmenta encore lorsque nous vîmes entrer le président, dont l’aspect et les manières étaient tout à fait opposés à l’idée que nous nous étions faite de lui : au lieu d’un grave et austère philosophe dont la présence aurait pu intimider des enfants comme nous étions, la personne qui s’adressait à nous était un Français gai, poli, plein de vivacité, qui, après mille agréables compliments et mille remerciements pour l’honneur que nous lui faisions, désira savoir si nous ne voudrions pas déjeuner ; et comme nous nous excusions (car nous avions déjà mangé en route) : « Venez donc, nous dit-il, promenons-nous ; il fait une belle journée, et je désire vous montrer comme j’ai tâché de pratiquer ici le goût de votre pays et d’arranger mon habitation à l’anglaise. » Nous le suivîmes, et, du côté de la ferme, nous arrivâmes bientôt à la lisière d’un beau bois coupé en allées, clos de palissades, et dont l’entrée était fermée d’une barrière mobile d’environ trois pieds de haut, attachée avec un cadenas : « Venez, dit-il après avoir cherché dans sa poche ; ce n’est pas la peine d’attendre la clef ; vous pouvez, j’en suis sûr, sauter aussi bien que moi, et ce n’est pas cette barrière qui me gêne. » Ainsi disant, il courut à la barrière et sauta par-dessus le plus lestement du monde.