… Ainsi quand ta voix si connue Revint hier me visiter, Je crus que du haut de la nue L’ancienne joie allait chanter. […] plusieurs sont ainsi, plusieurs, je le veux croire, De ceux qu’autour de toi charmaient tes anciens vers, De ceux qui, dans la course en commun à la gloire, T’offraient leurs rangs ouverts. […] Ainsi l’on fait de toi, chaste Muse plaintive, Qui de trop doux parfums entouras l’oranger ; Ces bosquets que j’aimais de notre ancienne rive Je n’ose y ressonger.
Ce que les anciens appelaient l’esprit divin, c’était sans doute la conscience de la vertu dans l’âme du juste, la puissance de la vérité réunie à l’éloquence du talent. […] Ce qui est sublime dans quelques discours anciens, ce sont les mots que l’on ne peut ni prévoir, ni oublier, et qui laissent trace dans les siècles, comme de belles actions. […] Un très petit nombre d’hommes se vouait, chez les anciens, à cette morale stoïcienne qui réprimait tous les mouvements du cœur : la philosophie des modernes, quoiqu’elle agisse plus sur l’esprit que sur le caractère, n’est qu’une manière de considérer tous les objets de la vie.
La Fontaine, de même que Boileau et Racine, était pour Furetière un ancien ami. […] Dès lors cet homme, cet ancien ami, ce poète inimitable, dont le style naïf et marotique fait tant d’honneur aux fables des anciens et ajoute de grandes beautés aux originaux 6, n’est plus qu’un misérable écrivain licencieux, auteur de contes infâmes, un Crétin mitigé, tout plein d’ordures et d’impiétés, un fauteur de débauche digne du bourreau ; Furetière pousse l’animosité jusqu’à reproduire à la suite de son libelle la sentence de police portant suppression de ses contes, et l’accuse, comme je l’ai déjà dit, de spéculer sur sa propre turpitude, en vivant de la prostitution de sa femme.
Ce Maurice Scève, issu d’une ancienne famille piémontaise, est surtout connu par son ouvrage intitulé : Delie, object de plus haute vertu. […] Il faut dire qu’il reconnut bientôt s’être abusé et que la plupart de ces rythmes étaient en réalité fort anciens et dataient du moyen âge. […] Cependant, son humeur l’attachait toujours aux gaillardises de l’ancienne littérature. […] Ronsard, quoique plus âgé, n’était pas aussi avancé que Baïf dans la connaissance des lettres anciennes. […] Un ancien bruit se réveilla alors : on recommença à soutenir que les poésies de Claudine n’avaient été que du cru de son mari.
Un prestige singulier avait d’ailleurs éclairé cet intervalle de près de vingt ans, qui sépare, chez Valéry, ses poèmes nouveaux de ses vers anciens. […] Valéry s’en est expliqué dans la note finale de l’Album de Vers anciens sur l’Amateur de Poèmes. […] Un Album de Vers anciens comprend tous les poèmes de jeunesse écrits jusqu’en 1898. […] Tout reparaît à la fois neuf et ancien, soustrait au temps, avec un visage d’éternité. […] L’ancienne Parque n’avait pas d’yeux pour le soleil et ne le « soutenait » que de son être entier.
Ainsi, à chaque pause de son exil, il allait décrivant et ajoutant quelque pièce à ses anciens cadres. […] Geoffroy, quoique du même parti politique que Delille, s’est montré beaucoup plus sévère dans la nouvelle Année littéraire qu’il essaya alors, et il ménagea moins l’aimable auteur que l’ancienne Année littéraire ne l’avait fait. […] Du commerce des anciens il ne rapporta jamais ce sentiment de l’expression magnifique et comme religieuse, ce voile de Minerve, où chaque point, touché par l’aiguille des Muses, a sa raison sacrée. […] Ovide, par exemple, en était venu à ne faire du distique qu’une paire de vers tombant deux à deux, tandis qu’auparavant, et surtout chez les plus anciens, comme Catulle, la phrase poétique se déroulait libre à travers les distiques. […] On est déjà si loin de l’ancienne Université, qu’il n’est pas inutile de rappeler que les colléges de Lisieux et de Beauvais étaient À Paris, tandis que le collège d’Amiens était bien dans cette ville même.
Les noms des philosophes et des poëtes anciens hérisseront de leur orthographe gothique cette bizarre épopée. […] Si, au contraire, l’idéal de la poésie française est dans le mélange du génie national et du génie ancien, le Roman de la Rose, qui est un faible pas de la poésie française vers cet idéal, doit être regardé comme un progrès. […] Pendant que les esprits médiocres restaient attachés à la poésie nationale, les forts et les inventeurs cherchaient la tradition de l’ancien monde. […] Jean de Meung explique certaines choses de son temps par la sagesse des anciens ; il nourrit ses propres idées des leurs. […] Ce fardeau d’érudition ancienne qui semble l’écraser au quatorzième siècle, plus il marchera, plus il s’en allégera ; et de quelle façon ?
Jean Moréas, tout en la brisant, ne concevait point pour le Rythme d’autre mesure que « l’ancienne métrique, avivée, disait-il : un désordre savamment ordonné, la rime illuescente et martelée auprès de la rime aux fluidités abscondes, l’alexandrin à arrêts multiples et mobiles, l’emploi de certains nombres impairs. » Ainsi, à travers Mallarmé et Verlaine, et Ronsard, Moréas me semble avoir préparé les voies au « Vers libre » dont M. […] Et loin, avec une peur de ses heurts, de la vie moderne, il se complaît aux poèmes « anciens et romanesques. » Eh 1887, M. […] Albert Mockel… Or, cette théorie, si nuancée soit-elle, appartient encore au domaine métrique où le Rythme ancien dépend essentiellement du nombre de temps accentués à équidistances. […] La mesure de l’alexandrin est gardée en tant que présence continue de l’unité de mesure… Car la mesure de douze pieds est tenue, par nous, pour nécessaire, organique : elle a son équivalent en toutes métriques premières, anciennes et modernes, L’explication s’en trouve évidemment en une raison physiologique : que ce mètre est la mesure du temps nécessaire à l’expiration du souffle. […] « Verhaeren brise son vers qui s’alourdissait des disciplines anciennes, et il retrempe son aspiration au matérialisme, à la croyance en l’idéal scientifique et en la nécessité de l’effort.
* * * — Un paysan, un ancien châtreur de cochons, tombe chez nous, pour nous acheter nos fermes des Gouttes. […] C’est Marcelin, autrement dit Planat, un de mes anciens condisciples, le directeur de La Vie parisienne. […] * * * — Ce qui tuera l’ancienne société, ce ne sera ni la philosophie ni la science. […] On est réuni dans cet atelier rustique du parc, ancienne chapelle qui a gardé son autel, et pêle-mêle, sont là, assis au hasard, sur les marches de l’autel ou sur des chaises, hommes, femmes et enfants, toute la maisonnée du moment. […] L’homme qui nous a donné cette vision d’outre-tombe, est un pauvre diable, ancien graveur sur bois, échoué là, par la misère.
Le voyant, le coup de pistolet dans l’habillement de la femme, est une victoire du goût étranger, du goût américain sur l’ancien goût français. […] J’ai acheté des albums anciens, un bronze si gras qu’il semble la cire de ce bronze, et la robe d’un tragédien japonais, où sur du velours noir, des dragons d’or aux yeux d’émail, se griffent au milieu d’un champ de pivoines roses. […] Si l’on tourne à droite, on trouve dans la baie de l’ancienne fenêtre du salon, un petit canapé vert rayé de blanc, surmonté des médailles, des diplômes que la princesse a reçus aux expositions. […] Mardi 1er décembre Les anciens dîners de Magny deviennent assommants. […] … celui qui suit mon cours, je n’en aurais pas eu… Il s’est saigné… Lui c’est un ancien élève de Broussais.
D’où vient ce privilège acquis aux habitants de l’ancienne Grèce, de s’être rendus les maîtres de toutes les nations modernes dans la poésie, l’éloquence, et les beaux-arts ? […] Telles sont les sept conditions spéciales de l’ancienne comédie grecque. […] Première, seconde, et troisième époque de l’ancienne comédie. […] Si je tentai le panégyrique de l’ancienne, en étudiant ses desseins et son but, je dois faire une plus grande apologie de la nouvelle. […] Telle était la licence, l’effronterie de la comédie ancienne que nous avons classée dans la première espèce.
Ossian, quand on le croyait ancien, semblait l’égal d’Homère. […] Il alla dans les villages, interrogeant les anciens et les anciennes. […] À tout prendre, les nouveautés des symbolistes sont plutôt des retours aux usages anciens. […] Aux modernes comme aux anciens, aux Latins, aux Espagnols, aux Italiens et même aux Français. […] Jules Lemaître, qu’il avait connu de bonne heure, avait eu sur lui l’aimable autorité d’un jeune ancien.
L’ancienne, constante, universelle admiration du monde : voilà, nous l’avouons, un fameux critérium ! […] mais qui révoque en doute aujourd’hui la royauté de ce poète parmi les lyriques anciens ? […] Il est naturel que les œuvres mortes en ce sens soient généralement les plus anciennes ; mais ce n’est pas toujours le cas. […] Les œuvres de Callimaque sont perdues, à quelques fragments près, comme celles de presque tous les grands lyriques anciens. […] Dans cinq cents ans, il y aura deux histoires anciennes.
Si profond que soit le travail des siècles, l’esprit et la nature sont toujours les mêmes, et l’ancien culte subsiste sous d’autres noms. […] Ce sont là nos dieux, les mêmes que les dieux anciens, mais délivrés de leur enveloppe légendaire, plus beaux, puisqu’ils sont plus purs. […] — On les entend ici aussi bien que chez les anciens tragiques. […] Selon l’ancien usage, les alliés restaient au logis et, de père en fils, se transmettaient le petit domaine ; les cadets allaient au loin chercher fortune. […] Quelques-uns de ces bourgs, anciens chefs-lieux de bailliage, avaient été de petites capitales rustiques, et conservaient une aristocratie locale.
Ces anciens hommes auraient tort. […] Lui-même sent au cœur leur morsure féconde ; il se sait poète, il désire la gloire et l’avoue noblement, comme faisaient les poètes anciens (l’Ambition). […] Sully-Prudhomme n’en invente pas de nouveaux, car il n’y en a point, mais il approfondit les anciens. […] Victor Hugo, jusqu’aux Contemplations, observe à peu près l’ancienne coupe de l’alexandrin. […] Joignez qu’il n’y avait peut-être pas, dans l’ancienne Gaule, beaucoup plus de chênes que de sapins.
Je n’ai à suivre cette querelle des anciens et des modernes qu’en tant que l’abbé de Pons y intervient et y figure. — Il eut affaire avec Gacon. Gacon, un chétif et déshonorant défenseur des anciens, s’était mis en effet du jeu : sous le titre d’Homère vengé, il publia en 1715 le livre le plus incohérent et le moins solide, mi-partie de vers et de prose, folâtre de ton, tout bariolé de fables et de rondeaux, le tout à l’honneur du père de la poésie et contre son moderne détracteur. Je n’y trouve qu’un fait assez curieux : c’est que Boileau, que La Motte visitait quelquefois, avait été un jour averti par Gacon que le traître à mine si douce était un ennemi irréconciliable des anciens et leur préparait une rude attaque. […] En un endroit, à propos d’un passage d’Horace (« pallida Mors aequo pulsat pede… »), il raille le plus joliment du monde les traducteurs de son temps, les oppose les uns aux autres, leur soutient qu’ils ne sont jamais bien sûrs de saisir la nuance exacte et vraie de ce qu’ils admirent si fort chez les anciens, et conclut qu’ils ne font le plus souvent que la soupçonner et la deviner.
Laboulaye ne paraît pas douter que si la liberté la plus entière d’association et de propagande était laissée à toutes les communions, à toutes les sectes anciennes ou nouvelles, ce serait la doctrine chrétienne, évangélique et noblement spiritualiste des Channing, des Vinet, des Tocqueville, qui l’emporterait en fin de compte et qui prendrait le dessus : et ainsi du reste, dans toutes les branches de l’activité humaine. […] — Lorsque, dix-huit ans après, Napoléon, à son retour de l’île d’Elbe, fit appeler Benjamin Constant aux Tuileries (14 avril 1815) et le désigna pour dresser et rédiger l’Acte additionnel, il semble vraiment n’avoir fait que renouer cette relation ancienne, en être tout d’un coup revenu en idée à ce Benjamin Constant antérieur, et avoir mis à néant et en complet oubli quatorze années d’hostilité déclarée et de guerre. […] Je le vois encore, sur les derniers temps de la Restauration, avec son visage fin, amaigri, de jeune vieillard, ses longs cheveux négligés et pendants, sa taille de peuplier, avec son pas traînant et son attitude délabrée, exhalant de toute sa personne je ne sais quelle senteur de musc qui rappelait l’ancien muscadin ; cherchant dans les salons du général La Fayette (moins remplis alors qu’un ou deux ans plus tard) quelqu’un avec qui causer, et ne le trouvant pas toujours, ou faisant le soir à l’Athénée une lecture déjà cent fois redite et qu’il essayait d’animer ; écrivant pour le Courrier français des séries d’articles qu’on ne lisait plus. […] Laboulaye de nous avoir rendu plus facile la lecture d’écrits si anciens déjà et en partie oubliés.
Il m’est arrivé quelquefois de réhabiliter d’anciens auteurs, et l’on m’a même reproché d’en avoir l’habitude et le goût ; mais, si j’en ai réhabilité quelques-uns, je me flatte du moins de n’en avoir pas inventé. […] Quant aux anciennes éditions du temps, par Jean de Tournes, il n’y a plus à y penser : il faut être un Yemeniz ou un d’Aumale pour les disputer et les acquérir à la folle enchère : elles se vendent au poids de l’or. […] Seulement on distingue encore, à la nature de ses legs et donations, bien de la bonté ; mais plus rien de l’ancien poète ne transpire : le voile funèbre s’abaisse et nous le dérobe. […] Il ne reste plus rien de cet ancien nous-mêmes ; Sans pitié ni remords le Temps nous l’a soustrait.
Catinat en fit l’épreuve en un ancien camarade du régiment des gardes, M. de Rubentel, excellent officier, mais qui ne pardonnait pas chez un autre une élévation à laquelle il s’était cru en état de prétendre. […] Catinat ne s’est pas trompé ; il n’y a pas de retour de la part d’un jaloux : « Le parfait silence de M. de Rubentel, écrit-il quelques jours après, ne t’a point surpris ainsi que moi ; je suis bien sûr que ce sera très fort malgré lui s’il se trouve dans quelque endroit où tu seras. » Cherchez vite si vous êtes curieux, lisez dans Saint-Simon le portrait de ce Rubentel, ancien lieutenant colonel du régiment des gardes, ancien lieutenant général, brave homme de guerre, mais difficile à vivre, d’une humeur à faire damner les gens, d’autant plus roide et plus cassant qu’on lui fait plus d’avances, et furieux si on le néglige ; enfin un fagot d’épines. […] On aura déjà remarqué que, dans sa langue inélégante mais saine, Catinat prend volontiers les mots dans une acception un peu plus ancienne que sous Louis XIV ; quand il écrit, il est comme Vauban, un peu suranné de langage.
On a tort de croire que l’imagination ait manqué à Boileau ; il a du moins celle-là, qui n’est que souvenir et rappel des sensations anciennes. […] C’est qu’il ne rendait pas par un effort d’esprit l’idée d’Horace et de Juvénal ; mais quand il lisait dans Juvénal : « Si la Fortune veut, de rhéteur elle te fera consul », Si Fortuna volet, fies de rhetore consul, ce n’était ni Quintilien ni des licteurs qu’il se figurait ; mais il revoyait l’ancien régent du collège de Plessis, ce cuistre de la Rivière, en robe rouge de cardinal, siégeant au Parlement parmi les pairs comme évêque-duc de Langres : et aussitôt il notait que le sort burlesque D’un pédant, quand il veut, sait faire un duc et pair. Ce n’est pas là une transposition laborieusement étudiée : l’auteur ancien n’a fait que toucher pour ainsi dire en lui l’image à réveiller, et du fond de son expérience a surgi tout à coup, entre les lignes du texte latin, une physionomie familière et contemporaine. […] Mais emporté par son admiration pour les modèles anciens, obéissant à un goût tout intellectuel que lui inspirait la société où il vivait, il entreprit d’écrire des discours moraux.
Voici que maintenant paraît une littérature bourgeoise : non moins ancienne en sa matière, et parfois plus ancienne, que la littérature aristocratique, elle prend forme plus tardivement, parce qu’il fallait que la bourgeoisie prît de l’importance et s’enrichit, pour que les trouvères trouvassent honneur et profit à rimer les contes qui la divertissaient. […] Si le Pèlerinage de Renart est peut-être le plus ancien morceau de la collection qui nous est parvenue, le Jugement de Renart en est le principal et le plus fameux épisode : il eut un immense succès, et fournit le thème essentiel des imitations étrangères du roman, depuis le Reineke Vos flamand jusqu’au poème bien connu de Gœthe. […] Évidemment la satire est l’âme du roman de Renart : très anciennement, puisque la plus ancienne branche, le Pèlerinage de Renart, est sans valeur et sans signification même à tout autre égard, très anciennement l’histoire des animaux n’a apparu aux narrateurs et aux auditeurs que comme un moyen de dauber le prochain, le baron, le curé, le vilain, la femme : mais c’est un caractère vraiment remarquable que la bonne humeur de cette inextinguible malice.
Octave Feuillet, chercher ce qui s’y est ajouté dans ses oeuvres plus récentes et pour quoi je préfère quand même les plus anciennes, tel est le dessein qui m’est venu en lisant la Morte. […] Mais il y a plus, et, s’il est vrai qu’il procède quelque peu de George Sand et d’Alfred de Musset, on soutiendrait tout aussi justement que, sauf les modifications inévitables imposées par la différence des temps, une partie de son œuvre continue les romans d’amour et d’aventures du XVIIe siècle et, par-delà, les anciens romans grecs, et que M. […] Mlle Sibylle de Férias, élevée au milieu des bruyères de Bretagne par un grand-père et une grand’mère qui ressemblent à deux pastels fanés et très anciens, veut, à cinq ans, chevaucher un cygne pour aller sur l’eau, apprivoise un fou, catéchise son vieux curé et l’amène à un sentiment plus élevé de sa profession, vient à Paris et, amoureuse d’un beau jeune homme qui s’appelle Raoul, tombe en syncope le jour où il déclare « qu’il a le malheur de ne pas croire ». […] Il y a là deux jeunes hommes, le commandant d’Eblis — un soldat superbe et doux et son ancien compagnon d’armes, Roger de Louvercy, un pauvre infirme qui a le bras gauche mutilé et une jambe rétractée.
Les anciens n’avoient pas bien demêlé ceci ; ils regardoient comme des qualités positives toutes les qualités relatives de notre ame ; ce qui fait que ces dialogues où Platon fait raisonner Socrate, ces dialogues si admires des anciens, sont aujourd’hui insoûtenables, parce qu’ils sont fondés sur une philosophie fausse : car tous ces raisonnemens tirés sur le bon, le beau, le parfait, le sage, le fou, le dur, le mou, le sec, l’humide, traités comme des choses positives, ne signifient plus rien. […] Souvent notre ame se compose elle-même des raisons de plaisir, & elle y réussit sur-tout par les liaisons qu’elle met aux choses ; ainsi une chose qui nous a plu nous plaît encore, par la seule raison qu’elle nous a plu, parce que nous joignons l’ancienne idée à la nouvelle : ainsi une actrice qui nous a plu sur le théatre, nous plaît encore dans la chambre ; sa voix, sa déclamation, le souvenir de l’avoir vûe admirer, que dis-je, l’idée de la princesse jointe à la sienne, tout cela fait une espece de mélange qui forme & produit un plaisir. […] Nous sommes touchés de ce qu’une personne nous plaît plus qu’elle ne nous a paru d’abord devoir nous plaire ; & nous sommes agréablement surpris de ce qu’elle a sû vaincre des défauts que nos yeux nous montrent, & que le coeur ne croit plus : voilà pourquoi les femmes laides ont très souvent des graces, & qu’il est rare que les belles en ayent ; car une belle personne fait ordinairement le contraire de ce que nous avions attendu ; elle parvient à nous paroître moins aimable ; après nous avoir surpris en bien, elle nous surprend en mal : mais l’impression du bien est ancienne, celle du mal nouvelle ; aussi les belles personnes font elles rarement les grandes passions, presque toûjours reservées à celles qui ont des graces, c’est-à-dire des agrémens que nous n’attendions point, & que nous n’avions pas sujet d’attendre.
On pourrait diviser les chansons de Béranger en quatre ou cinq branches : 1º L’ancienne chanson, telle qu’on la trouve avant lui chez les Collé, les Panard, les Désaugiers, la chanson gaie, bachique, épicurienne, le genre grivois, gaillard, égrillard, Le Roi d’Yvetot, La Gaudriole, Frétillon, Madame Grégoire : ce fut par où il débuta. 2º La chanson sentimentale, la romance, Le Bon Vieillard, Le Voyageur, surtout Les Hirondelles ; il a cette veine très fine et très pure par moments. 3º La chanson libérale et patriotique, qui fut et restera sa grande innovation, cette espèce de petite ode dans laquelle il eut l’art de combiner un filet de sa veine sensible avec les sentiments publics dont il se faisait l’organe ; ce genre, qui constitue la pleine originalité de Béranger et comme le milieu de son talent, renferme Le Dieu des bonnes gens, Mon âme, La Bonne Vieille, où l’inspiration sensible donne le ton ; Le Vieux Sergent, Le Vieux Drapeau, La Sainte-Alliance des peuples, etc., où c’est l’accent libéral qui domine. 4º Il y faudrait joindre une branche purement satirique, dans laquelle la veine de sensibilité n’a plus de part, et où il attaque sans réserve, avec malice, avec âcreté et amertume, ses adversaires d’alors, les ministériels, les ventrus, la race de Loyola, le pape en personne et le Vatican ; cette branche comprendrait depuis Le Ventru jusqu’aux Clefs du paradis. 5º Enfin une branche supérieure que Béranger n’a produite que dans les dernières années, et qui a été un dernier effort et comme une dernière greffe de ce talent savant, délicat et laborieux, c’est la chanson-ballade, purement poétique et philosophique, comme Les Bohémiens, ou ayant déjà une légère teinte de socialisme, comme Les Contrebandiers, Le Vieux Vagabond. […] Entre ses mains, l’ancienne chanson française, légère, moqueuse, satirique, non contente de se revêtir d’un rythme plus sévère, s’est transformée en esprit et s’est élevée ; ceux qui en aimaient avant tout la gaieté franche, malicieuse en même temps et inoffensive, ont pu trouver qu’elle perdait chez lui de ce caractère. […] En relisant les anciennes pièces de Béranger, cette préoccupation constante du poète déplaît. […] M. de Pontmartin s’est quelquefois souvenu de ces anciennes relations ; j’ai été étonné pourtant que l’écrivain homme du monde et de bonne compagnie se fût permis, à d’autres fois, de juger si lestement et si souverainement de mes pensées et de mes sentiments intérieurs, comme lorsqu’il a écrit que « je n’avais jamais rien aimé et jamais cru à rien ».
Quant aux phrases que je cite des anciens écrivains, persuadé du grand sens de cette devise de la Communauté des savetiers : Nihil sub sole novum, Rien de nouveau sous le soleil, plagiat pour plagiat, j’ai cru qu’autant valait être l’écho d’Homère, de Cicéron et de Plutarque, que de l’être des clubs et des cafés, que d’ailleurs j’estime beaucoup. Et, en effet, il estimait fort les cafés, et il en combine étrangement le style et le ton avec ces lambeaux de Tacite et des anciens. […] Peut-être, dans la prise d’assaut de l’Ancien Régime et pour le renversement complet de la Bastille féodale, fallait-il qu’il y eût de ces fifres étourdis et de ces enfants perdus en tête des sapeurs du régiment ; mais le bon sens, aujourd’hui qu’on relit, paraît trop absent à chaque page ; la raison ne s’y mêle jamais que dans des trains de folie. […] Ils haïssent l’Ancien Régime, non parce qu’il était mauvais, mais parce que c’était un régime ».
Arrivé à la célébrité dès l’âge de trente ans, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, bientôt membre de l’Académie française, honoré par toute l’Europe, aucun savant, aucun homme de lettres n’eut certes moins que lui à se plaindre de l’ancienne société, et il en était, avant 89, l’un des plus sérieux ornements. […] Jusqu’en 89, Condorcet n’avait donc rien fait qui démentît positivement ce titre de l’homme de l’ancienne chevalerie et de l’ancienne vertu dont l’avait un jour qualifié Voltaire, en osant le mettre au-dessus de Pascal. […] André Chénier, témoin des mêmes actes, et jugeant Condorcet dans la mêlée comme un transfuge de sa cause, de la cause des honnêtes gens, s’écriait : C…, homme né pour la gloire et le bien de son pays, s’il avait su respecter ses anciens écrits et su rougir devant sa propre conscience ; homme dont il serait absurde d’écrire le nom parmi cet amas de noms infâmes, si les vices et les bassesses de l’âme ne l’avaient redescendu au niveau ou même au-dessous de ces misérables, puisque ses talents et ses vastes études le rendaient capable de courir une meilleure carrière ; qu’il n’avait pas eu besoin, comme eux, de chercher la célébrité d’Érostrate, et qu’il pouvait, lui, parvenir aux honneurs et à la fortune, dans tous les temps où il n’aurait fallu pour cela renoncer ni à la justice, ni à l’humanité, ni à la pudeur.
Boileau et La Fontaine attendirent longtemps avant d’être de l’Académie ; et, lors même qu’ils en furent, il y restait beaucoup de gens de l’ancien goût, et il s’en glissait déjà quelques-uns d’un goût nouveau, lequel n’était pas le plus pur. […] Il nous présente en dix endroits de ses lettres Mme de Lambert sous un jour assez particulier : C’était, dit-il, ma plus ancienne amie, et ma contemporaine… Elle était née avec beaucoup d’esprit : elle le cultivait par une lecture assidue ; mais le plus beau fleuron de sa couronne était une noble et lumineuse simplicité dont, à soixante ans, elle s’avisa de se dédire. […] Un ancien dit qu’il faut les regarder comme des amis malheureux… Songez que l’humanité et le christianisme égalent tout. » Le temps, évidemment, approche où de toutes part on parlera humanité et égalité ; elle a été des premières à s’occuper de ces choses, à les pressentir et à les nommer avant que Louis XIV eût disparu. […] « Le duc de Nevers, propriétaire de la plus grande partie de l’ancien palais Mazarin, céda à titre viager à Mme de Lambert un portion des bâtiments de ce palais.
On ne doit s’attendre à rencontrer dans cette étude aucune passion ancienne, pas plus qu’aucun appel aux directions sociales si inverses qui ont succédé : je parlerai de ces temps et de ces choses déjà si lointaines comme je parlerais de ce qui arriva en Angleterre sous Jacques II ou sous les ministères de la reine Anne. […] Nous verrons s’armer contre nous des coalitions qui ne poseront les armes que quand nous les aurons rassurées en rétablissant sinon l’ancien pouvoir royal, au moins quelque chose qui y ressemble. […] Carrel dit quelque chose d’approchant de la seconde réalité, essentielle encore, selon lui, à toute constitution politique qui dérive de la Révolution bien comprise : ce second pouvoir, c’est une certaine aristocratie, qui tient de l’ancienne noblesse et qui se rapporte assez exactement à la classe des grands propriétaires : « Nous la transformerons en pairie, dit-il, et nous vivrons bien désormais avec elle. » Cet article, un peu enveloppé à cause du but, est d’ailleurs plein de sens et fait bon marché des doctrines abstraites ou mystiques en sens inverse, tant de celle du droit divin que de celle des disciples de Rousseau : Que si, croyant nous pousser à bout, vous nous demandez où réside enfin suivant nous la souveraineté, nous vous répondrons que ce mot n’a plus de sens ; que l’idée qu’il exprime a disparu par la Révolution comme tant de choses ; que nous ne voyons nulle utilité à la vouloir ressusciter ; que le peuple n’a plus besoin d’être souverain et se moque d’être ou non la source des pouvoirs politiques, pourvu qu’il soit représenté, qu’il vote l’impôt, qu’il ait la liberté individuelle, la presse, etc. ; enfin le pouvoir d’arrêter une administration dangereuse en lui refusant les subsides, c’est-à-dire l’existence même. […] Le glorieux événement qui a porté au trône la famille d’Orléans est la réalisation de ses plus anciennes espérances.
Ce sont pourtant (si l’on y ajoute deux anciens et tout premiers articles sur les Odes et Ballades insérés dans le Globe à la date des 2 et 9 janvier 1827), ce sont les seuls morceaux critiques que j’aie écrits expressément à l’occasion de ses œuvres. […] Que si ma pensée se reporte, non plus sur le poëte, mais sur l’homme auquel tant de liens de ma jeunesse m’avaient si étroitement uni et en qui j’avais mis mon orgueil, ressongeant à celui qui était à notre tête dans nos premières et brillantes campagnes romantiques et pour qui je conserve les sentiments de respect d’un lieutenant vieilli pour son ancien général, je me prends aussi à rêver, à chercher l’unité de sa vie et de son caractère à travers les brisures apparentes ; je m’interroge à son sujet dans les circonstances intimes et décisives dont il me fut donné d’être témoin ; je remue tout le passé, je fouille dans de vieilles lettres qui ravivent mes plus émouvants, mes plus poignants souvenirs, et tout à coup je rencontre une page jaunie qui me paraît aujourd’hui d’un à-propos, d’une signification presque prophétique ; je n’en avais été que peu frappé dans le moment même.
Dussault distingue d’abord chez les Anciens le fond et la forme, la partie technique et la partie littéraire : la première, selon lui, tombant complètement sous la prise du traducteur ; la seconde, lui échappant toujours plus ou moins. […] Avant que notre idiome fût fixé, et quand déjà il sortait de sa première indigence, du temps d’Amyot et pendant tout le XVIe siècle, il abondait en ressource pour traduire les Anciens ; il se modelait sur eux avec ampleur et souplesse, et en prenait de vives et fidèles empreintes, jusque sous des mains médiocrement habiles.