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782. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Il y en a d’ailleurs de bien fines et d’excellentes, de bien vraies moralement : « Les êtres qui paraissent froids et qui ne sont que timides adorent dès qu’ils osent aimer. » « L’amour élève parfois, crée des qualités nouvelles, suspend les penchants coupables ; mais ce n’est que pour un jour. […] Le vieillard, à ses yeux, a toutes les faveurs célestes, et il réunit sur sa tête tous les privilèges ; il est « le pontife du passé, ce qui ne l’empêche pas d’être le voyant de l’avenir. » Il est « le vrai pauvre de Jésus-Christ ; ses rides sont ses haillons. » Il a des insomnies cruelles ; tant mieux ! […] Mais la première condition pour trouver cela beau serait de trouver cela vrai ; autrement on ne peut que dire : « C’est ingénieux, c’est subtil, c’est bien présenté, bien imaginé. » Elle nous transfigure la vieillesse, elle ne nous la montre pas. […] Tout cela, je l’avoue, mis en regard des pensées de Mme Swetchine, m’a paru plus vrai, plus naturel, plus vraisemblable, sans mener d’ailleurs nécessairement à des conclusions rigoureuses. […] Les femmes d’esprit sont bien capables d’apercevoir ce qu’un valet de chambre ne soupçonne pas. — Ô vérité nue, ô vérité vraie, qu’on a donc de peine à vous trouver et de difficulté à vous dire !

783. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Elle représente l’esprit français sous un jour vrai et très intéressant. […] Je ne puis que renvoyer les curieux de ces sortes de questions à cette profession de foi finale du philosophe et du critique éminent, laquelle est à mettre pour la portée bien au-dessus de la page tant vantée de Jouffroy, et qui est plus vraie ou du moins plus largement religieuse que la solution de Pascal44. […] Personne n’a autant de sagesse pratique, moins pour elle, il est vrai, que pour ses amis. […] Elle est pleine de bonté et de grâces pour Mme de Staël ; elle n’est pas moins jolie qu’il y a deux ans, et cependant j’aime qu’elle reparte ; partout où elle se trouve, elle est la destruction de la vraie conversation. […] En Italie, dans le voyage qu’elle y fit en 1805, elle plaisait partout, mais elle ne s’y plaisait pas ; voilà le vrai.

784. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Il a dans la pensée un type de théâtre à lui, une scène idéale de magnificence et d’éclat, de poésie en vers, de style orné et rehaussé d’images, de passion et de fantaisie luxuriante, d’enchantement perpétuel et de féerie ; il y admet la convention, le masque, le chant, la cadence et la déclamation quand ce sont des vers, la décoration fréquente et renouvelée, un mélange brillant, grandiose, capricieux et animé, qui est le contraire de la réalité et de la prose : et le voilà obligé de juger des tragédies modernes qui ne ressemblent plus au Cid et qui se ressemblent toutes, des comédies applaudies du public, et qui ne lui semblent, à lui, que « des opéras-comiques en cinq actes, sans couplets et sans airs » ; ou bien de vrais opéras-comiques en vogue, « d’une musique agréable et légère, mais qui lui semble tourner trop au quadrille. » Il n’est pas de l’avis du public, et il est obligé dans ses jugements de compter avec le public. […] En mettant le pied en Espagne, lui-même il reconnut aussitôt son vrai climat et sa vraie terre. […] L’infini dans le clair est bien autrement sublime et prodigieux que l’infini dans l’obscur. » On vient de supprimer, à l’École des Beaux-Arts, le grand prix de paysage, et l’on a bien fait : en fait de paysages, les comparaisons sont impossibles ; les plus humbles, les plus inattendus, les plus agrestes sont souvent ceux qui plaisent le plus : et cependant il y a une grandeur dans l’éclat qu’il n’appartient qu’aux vrais maîtres de savoir saisir, et dans cette belle page le peintre a tout réuni. […] Un vrai couplet à mettre en musique par Mozart. — Théophile Gautier a dû à Grenade et à son ciel enchanté des heures de mélancolie, — « d’une mélancolie sereine bien différente de celle du nord. » Le poète plastique, tout occupé de « donner une fête à ses yeux », et leur recommandant de bien saisir chaque forme, chaque contour des tableaux qui se développaient devant eux et qu’ils ne reverraient peut-être plus, s’y révèle avec une vivacité de sentiment et d’émotion qui témoigne d’une organisation particulière. […] C’est alors, dans une de ces heures de satisfaction et de naturel orgueil, qu’il put écrire ces vers qu’il a intitulés spirituellement Fatuité (le propre du poète est d’exprimer au vif chaque sentiment qui le traverse et qui fut vrai, ne fut-ce qu’un moment) : Je suis jeune, la pourpre en mes veines abonde ; Mes cheveux sont de jais et mes regards de feu, Et, sans gravier ni toux, ma poitrine profonde Aspire à pleins poumons l’air du ciel, l’air de Dieu.

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