La délicatesse et l’esprit qui brillent dans ce morceau sont bien dignes du sujet qu’il traite ; voici comment il s’exprime : « Je dédie cet ouvrage à la personne à qui je dois le bien le plus précieux de la vie pour qui sait en jouir. […] Quelle différence pour vous dans tout le plan de votre vie ! […] Dans cette vie de bon goût, dans cet agréable arrangement du déclin, Mme de Boufflers, aidée des grâces de sa belle-fille et doucement passée à l’état de douairière, soutenait fort bien son ancien renom, et l’on comprenait à merveille, en la voyant et en l’écoutant, qu’elle avait pu être non-seulement l’Idole, mais la Minerve du Temple. […] « Dans la vie domestique, rectitude et bonté sans familiarité. […] Mais quelle plus touchante, quelle plus éloquente conclusion d’une telle vie que cet oubli total, cette obscurité même !
Certes, bien que quarante-trois ans soient beaucoup dans la vie d’un siècle, il serait téméraire de prétendre décider de sa physionomie générale à cet âge de son existence. […] Et quasi cursores vitaï lampada tradunt, a dit l’antique poëte dans une magnifique image : c’est comme un flambeau qu’il faut recevoir et saisir, en entrant, — l’héritage de la vie ; quelques-uns l’ont pris comme un cierge, et beaucoup comme un cigare. […] Mais il s’agit ici de plus que d’un délassement de l’esprit ; il s’agit de la vie morale et intellectuelle d’un temps et d’un peuple. […] La vie du talent a d’autres conditions ; l’égalité, s’il est permis de le dire, l’égalité toute flatteuse en si bon lieu, est peu son fait et son but définitif : il aspire à plus, à autre chose, à être discerné et apprécié en lui-même. […] Quand on ne connaît les gens, surtout ceux de sensibilité et d’imagination, qu’à partir d’un certain âge, et durant la seconde moitié de leur vie, on est loin de les connaître du tout comme les avait faits la nature : les doux tournent à l’aigre, les tendres deviennent bourrus ; on n’y comprendrait plus rien si l’on n’avait pas le premier souvenir.
II Dans toutes les langues, l’homme a parlé et écrit en prose des choses nécessaires à la vie physique ou sociale, domesticité, agriculture, politique, éloquence, histoire, sciences naturelles, économie publique, correspondance épistolaire, conversation, mémoires, polémique, voyages, théories philosophiques, affaires publiques, affaires privées, tout ce qui est purement du domaine de la raison ou de l’utilité a été dévolu sans délibération à la prose. […] D’abord, la mer est l’élément mobile, sa mobilité semble lui donner avec le mouvement la vie, la passion, la colère, l’apaisement d’une âme tantôt calme, tantôt agitée. […] Si la mer est vide, on songe à l’espace qu’aucun compas ne circonscrit, domaine incommensurable du vent qui laboure ses vagues pour on ne sait quelle moisson de vie ou de mort. — Émotion ! […] un salut plus enthousiaste, plus solennel et plus saint à la vision de Dieu qui se lève tard, mais qui se lève plus visible sur l’horizon du soir de la vie humaine ! […] Je suis dans le tourbillon au plus fort du courant du fleuve, dans la poussière des vagues soulevées par le vent, à ce milieu de la traversée où l’on ne voit plus le bord de la vie d’où l’on est parti, où l’on ne voit pas encore le bord où l’on doit aborder, si on aborde ; tout est dans la main de celui qui dirige les atomes comme les globes dans leur rotation, et qui a compté d’avance les palpitations du cœur du moucheron et de l’homme comme les circonvolutions des soleils.