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685. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Sous forme de prophétie, il y disait bien des vérités sur le goût des contemporains. […] Si Grimm disait aux Français bien des vérités dures sur la musique, il en disait d’autres très agréables sur la littérature ; la Voix ou le Génie, parlant de la France en style prophétique et en se supposant dans les temps reculés, s’exprimait ainsi : Ce peuple est gentil ; j’aime son esprit qui est léger, et ses mœurs qui sont douces, et j’en veux faire mon peuple, parce que je le veux, et il sera le premier, et il n’y aura point d’aussi joli peuple que lui. […] Sa Correspondance littéraire avec les cours du Nord et les souverains d’Allemagne lui vint d’abord par le canal de l’abbé Raynal qui s’en déchargea sur lui ; elle commence en 1753, et par une critique même d’un ouvrage de l’abbé Raynal, dont Grimm parle avec indépendance, tempérant l’éloge par quelques mots de vérité. […] Mme d’Épinay aimait à écrire, et, dans ses exercices de plume, elle ne tarda pas à faire de Grimm un portrait qui nous le représente à son avantage, et sous des traits dont on sent pourtant la vérité : Sa figure est agréable par un mélange de naïveté et de finesse ; sa physionomie est intéressante, sa contenance négligée et nonchalante. […] Elles ne seront pas vraies, ces accusations, mais elles ne seront pas absolument dénuées de vérité, et cela suffira pour vous faire blâmer… » Jamais pronostic ne se vérifia plus exactement que celui de Grimm.

686. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

De même, Mazarin, à l’heure de sa mort, désigne-t-il Colbert à Louis XIV par ce mot si connu : « Sire, je vous dois tout, et je crois m’acquitter en partie en vous donnant Colbert » ; l’écrivain, gâtant la belle simplicité du mot, et dénaturant l’inspiration toute politique de Mazarin, dira : « Dans ce moment terrible où l’Éternité qui s’ouvre à nos yeux étouffe nos passions, et nous presse de dévouer un dernier instant à la justice et à la vérité, Mazarin adressa ces paroles à Louis XIV… » Les médisants prétendaient avoir trouvé de la ressemblance entre la manière du nouvel écrivain et celle de Thomas, avec qui on le savait très lié ; si toutes les phrases avaient été dans cette forme, la médisance aurait pu prendre crédit ; mais la plupart des défauts de M.  […] C’est ainsi qu’il dira ailleurs, en parlant de la force de méditation nécessaire à qui veut se rendre maître des vérités de l’économie politique : « Ce n’est qu’à ce prix qu’elles (ces vérités) s’attachent à notre entendement, et deviennent comme une propriété de notre esprit. » Chez M.  […] Necker y rappelait en style peu pratique quelques vérités d’expérience ; on a remarqué depuis qu’il y parlait de la propriété et des propriétaires un peu légèrement, et qu’il y présentait ceux qui vivent de leur travail ou les prolétaires comme étant toujours la proie des premiers : « Ce sont, disait-il, des lions et des animaux sans défense qui vivent ensemble ; on ne peut augmenter la part de ceux-ci qu’en trompant la vigilance des autres et en ne leur laissant pas le temps de s’élancer. » M.  […] » Le même Voltaire écrivant à l’abbé Morellet et voulant, il est vrai, le flatter comme ami de Turgot et comme adversaire de Necker, relevait dans l’ouvrage une suite de phrases étranges : Je ne vous dirai point, d’après un beau livre nouveau, que les calculs de la nature sont plus grands que les nôtres ; que nous la calomnions légèrement ; … qu’un œil vigilant, capable de suivre la variété des circonstances, peut fonder sur une harmonie le plus grand bien de l’État ; qu’il faut suivre la vérité par un intérêt énergique, en se conformant à sa route onduleuse, parce que l’architecture sociale se refuse à l’unité des moyens, et que la simplicité d’une conception est précieuse à la paresse, etc.

687. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — II. (Fin.) » pp. 350-370

C’est pour se distraire, pour chercher à soulager et à remplir son âme, qu’il conçut son travail estimable contre les athées, les incrédules du temps et les railleurs, et qu’il intitula : De l’importance des opinions religieuses (1788) : Mes pensées, dit-il, ne pouvant plus s’attacher à l’étude et à la recherche des vérités qui ont l’avantage politique de l’État pour objet ; mon attention ne devant plus se fixer sur les dispositions particulières de bien public qui sont nécessairement unies à l’action du gouvernement, je me suis trouvé comme délaissé par tous les grands intérêts de la vie. […] Joubert, platonicien de pensée, et placé au meilleur point de comparaison entre les deux écoles, a dit : Les Necker et leur école : — Jusqu’à eux on avait dit quelquefois la vérité en riant ; ils la disent toujours en pleurant, ou du moins avec des soupirs et des gémissements. À les entendre, toutes les vérités sont mélancoliques. Aussi M. de Pange m’écrivait-il : « Triste comme la vérité. […] Comme écrivain, il s’était beaucoup formé par l’usage, et il était arrivé à se faire un style : style singulier, fin, abstrait, qui se grave peu dans la mémoire et ne se peint jamais dans l’imagination, mais qui atteint pourtant à l’expression rare de quelques hautes vérités.

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