Vérité de costume, fausseté de nature.
Le petit avis au lecteur y répond bien mieux d’un seul mot : « Il faut prendre garde…, il n’y a rien de plus propre à établir la vérité de ces Réflexions que la chaleur et la subtilité que l’on témoignera pour les combattre141. » Voltaire, qui a jugé les Maximes en quelques lignes légères et charmantes, y dit qu’aucun livre ne contribua davantage à former le goût de la nation : « On lut rapidement ce petit recueil ; il accoutuma à penser et à renfermer ses pensées dans un tour vif, précis et délicat. […] L’homme est tellement réhabilité de nos jours, qu’on n’oserait lui dire tout haut ni presque écrire ce qui passait pour des vérités au dix-septième siècle. […] En vain on tirerait argument, pour la vérité d’une idée, de son triomphe comme merveilleux sur la terre : il faut bien en définitive que quelque chose triomphe en ce monde, et comme l’homme n’est pas nécessairement sage, il y a toute chance pour que ce quelque chose soit une folie. […] Si l’on se mettait à se dire tout haut les vérités, la société ne tiendrait pas un instant ; elle croulerait de fond en comble avec un épouvantable fracas, comme ces galeries souterraines des mines ou ces passages périlleux des montagnes, dans lesquels il ne faut pas, dit-on, élever la voix.
Il en sort un souffle parfois puissant, il y court une source d’âpre fraîcheur, et aussi elles renferment bien des traits saillants de vérité pittoresque, pris sur nature, des beautés éparses, franches, et dont un grand poète s’attachant à peindre et à ressusciter le moyen âge eût fait son profit. […] « Sur les croupes des destriers gris de fer reposent les têtes de ceux qui suivent. » — Il faudrait voir dans l’Iliade (chant xvi, vers 212 et suivants) la manière, également admirable, dont Homère exprime la jointure serrée des rangs des guerriers ; et, dans la course des chars ([Iliade, xxiii, 380), comment l’un des coureurs presse si fort son devancier, que les chevaux de l’un ont l’air à tout moment de monter dans le char de l’autre : « Et le dos et les larges épaules d’Eumèle sont toutes moites de l’haleine de ces coursiers, qui posent sur lui leur tête envolant. » La même réalité, rendue avec une vérité expresse, a donné les mêmes images. […] Pellisson, qui s’était mis un jour à relire, disait qu’il ne s’en était point repenti, et « y ayant trouvé, ajoutait-il, une infinité de choses qui valent bien mieux, à mon avis, que la politesse stérile et rampante de ceux qui sont venus depuis. » Ronsard et ses amis ont droit en particulier à notre reconnaissance, à nous qui avons tenté une œuvre qui n’était pas sans quelque rapport avec la leur, et on ne dépassera pas d’un mot la stricte vérité lorsqu’on dira : « En échouant manifestement sur bien des points, ils avaient réussi sur d’autres, beaucoup plus qu’on n’a daigné s’en souvenir et le reconnaître depuis. […] Couleur, vérité, expression, elle est partout où vous la voudrez prendre.