Il mena une vaste enquête qui aboutit à classer, à trier, parmi l’immense et confus apport de ces cent années qui avaient trouvé le nouveau monde et ressaisi l’ancien, ce qui pouvait être utile, à Montaigne sans doute d’abord, mais du même coup à ses concitoyens, et à tous les hommes qui auraient la tête faite comme lui : tout ce qu’il garda fut soigneusement expertisé, « contre-rôlé », ajusté, adapté, pour l’usage de l’intelligence. […] « Quand on m’a dit, ou que il moi-même me suis dit : Tu es trop épais en figures : Voilà une phrase dangereuse (je n’en refuis aucune de celles qui s’usent emmi les rues françaises ; ceux qui veulent combattre l’usage par la grammaire se moquent) : … oui, fais-je, mais je corrige les fautes d’inadvertance, non celles de coutume. […] Ce qui est bien de Montaigne, c’est le style, c’est l’emploi des tours et des mots que l’usage ou la liberté de son temps lui fournissaient. […] Il réduit l’éducation à la formation de l’honnête homme, et restreignant la littérature à l’usage de l’honnête homme, il l’enferme dans la morale, dans la recherche d’une règle de la vie, et la description des formes de la vie. […] Enfin le xviie siècle consacrera les idées de Montaigne sur la langue et sur le style : il propose à la littérature de prendre la forme des pensées, tantôt dans le langage des Halles, tantôt dans le jargon de nos chasses et de notre guerre : c’est-à-dire qu’il veut une langue populaire, naturelle, et qu’il fait l’usage souverain.
Seroit-ce donc dans le pouvoir de tout penser, de tout contredire, de tout rejeter, que consisteroit l’usage & la gloire de la raison ? […] D’après leurs prédications, l’Univers reconnoît un seul Maître : le monde n’est plus qu’une figure qui passe, ses biens qu’une vapeur qui se dissipe ; la vie qu’un passage à un autre plus durable, & dont l’usage de la premiere fixera le sort : l’Homme, cet être auparavant si foible, triomphe de ce que le monde a de plus flatteur & de plus redoutable : les combats qu’il est contraint de livrer à ses passions, sont la source de son repos & de celui de ses semblables ; le mariage est rappelé à son institution primitive : les Loix qui n’arrêtoient que la main, agissent sur le cœur : la bienséance devient un devoir général, même à l’égard des ennemis : le disciple d’Epicure embrasse cette morale mortifiante & austere : on ne reconnoît plus l’Homme dans l’Homme, comme l’a dit Bossuet ; mais dans cette étonnante révolution, on reconnoît le doigt de Dieu. […] Ce n’est qu’à l’école d’un Dieu qu’un Homme sage peut apprendre l’usage de sa raison ; c’est de Dieu seul qu’il peut recevoir le frein qui doit régler ses pensées & ses actions. […] Où a-t-on donc puisé l'idée des vertus, la regle des sentimens, le principe des devoirs, le noble & utile usage de toutes nos facultés ? […] L’Homme religieux adore tout, &, malgré ses répugnances, se soumet à tout ; dans l’adversité ou dans la maladie, il dit à Dieu ce que lui disoit Pascal : « Vous m’aviez donné la santé pour vous servir, & j’en ai fait un usage tout profane : vous m’envoyez maintenant la maladie pour me corriger, ne permettez pas que j’en use pour vous irriter par mon impatience.
La philosophie de Descartes est tout à l’usage de son esprit ; sa science est presque tout au service de sa santé. […] Descartes m’avait appris que j’existe, parce que je pense : Pascal va m’enseigner quel usage je dois faire de ma pensée. […] Aucune littérature n’offre de pages comparables, pour le pathétique du raisonnement, aux prières de Pascal, et particulièrement à celles où il demande à Dieu le bon usage de la maladie. […] Cette ironie sur l’usage que fait Descartes de Dieu, seulement pour mettre en mouvement le monde, touche à l’injustice. […] Puis, avec toutes ses facultés réunies, sous le gouvernement de sa raison, il veut voir clair dans la foi, et recherche si, au lieu d’être la raison qui abdique, elle n’en est pas le plus haut usage et la perfection.