Considérez-le, en effet, du point de vue de la morale universelle. […] Mieux qu’aucun autre il a rendu cette double angoisse des négateurs de notre époque : l’angoisse que leur infligent la vision de l’universel néant et le besoin de l’universel amour, le sentiment de l’absolue, de l’implacable nécessité, et l’appétit insatiable de la justice. […] A cette gloire universelle, il y a une autre cause qui tient, celle-là, aux profondeurs mêmes du cœur de l’homme. […] Il est l’interprète du frémissement universel qui court sur la houleuse marée des amours et des haines de son siècle. Mais il faut que ce frémissement soit universel.
Le physicien et le poète sont dignes d’être comparés : l’un et l’autre remontent au-delà de toutes les traditions, et, malgré ces fables universelles dont l’obscurité cache le berceau du monde, ils cherchent l’origine de nos arts, de nos religions et de nos lois, ils écrivent l’histoire du genre humain, avant que la mémoire en ait conservé des monuments. […] « Je m’étais, dit-il, emporté plusieurs fois contre mes esclaves ; mais à la fin je me suis aperçu qu’il valait mieux les rendre pires par mon indulgence que de me gâter moi-même par la colère, en voulant les corriger. » Nous préférons croire à cet aveu, et il s’accorde davantage avec le caractère universel de bienveillance, avec cette espèce de tendresse d’âme que Plutarque montre dans ses écrits, et qu’il étend jusqu’aux animaux. […] Mais si l’on se reporte au temps où écrivait Plutarque, on concevra qu’il lui a fallu une force admirable de bon sens pour n’avoir pas cédé plus souvent au faux goût si universel dans son siècle, et pour s’être rendu surtout remarquable par le naturel et la vérité. […] Élevé dans une civilisation moins heureuse et moins poétique, Shakspeare n’offre pas, dans la même proportion que les Grecs, de ces beautés universelles qui passent dans toutes les langues ; et c’est surtout un Anglais qui doit le mettre à côté d’Homère ou de Sophocle. […] Shakspeare semblait donc fait pour jouir d’une renommée moins universelle ; mais la fortune et le génie de ses compatriotes ont étendu la sphère de son immortalité.
Le principe du seizième siècle n’était pas celui de l’émancipation universelle, quoique l’opinion contraire ait souvent prévalu. […] « Or, le ressort de cette prud’hommie, c’est la loy de nature, c’est-à-dire l’équité et raison universelle, qui luit et esclate en un chacun de nous. […] Ce serait peine perdue que de vouloir ramener à un sentiment universel les déviations nationales et séculaires de la moralité humaine. […] La religion unit à Dieu l’homme, et non le Juif ; or l’homme est un : elle est donc une, par conséquent universelle, par conséquent perpétuelle. […] Pascal est profond, abstrait, universel ; son observation s’élève du premier coup à la plus vaste généralité.