Seules, elles peuvent être populaires, parce que seules elles peuvent être comprises sans peine ; seules, elles peuvent être traitées en beau style, parce qu’étant du domaine public, elles ne demandent pas un langage spécial ; seules, elles ouvrent une pleine carrière à l’orateur, parce qu’avec le devoir de convaincre, elles lui imposent l’obligation de toucher et de plaire ; seules, elles donnent des œuvres d’art, parce qu’avec la logique, elles ont à leur service la passion et le bon goût. […] Quelques lignes auparavant, vous retrouvez encore ce mélange d’élévation et d’aisance qui, depuis le dix-septième siècle, semblait perdu : « un Dieu qui a fait l’homme, parce qu’il n’a pas voulu retenir dans la solitude inaccessible de son être ses perfections les plus augustes, parce qu’il a voulu communiquer et répandre son intelligence, et, ce qui vaut mieux, sa justice, et, ce qui vaut mieux encore, sa bonté. » La première phrase touche au sublime ; la seconde descend presque jusqu’au laisser-aller.
Quiconque a touché, même de loin, la philologie, sait qu’elle demande une vocation spéciale. […] « Le catalogue imprimé des manuscrits de la bibliothèque de Leyde m’avait donné des espérances qui, grâce à Dieu, n’ont pas été vaines… Là j’ai vu de mes yeux, touché de mes mains une foule de lettres de Leibnitz, de cette écriture ferme et serrée qui est de son pays plus que de son siècle… Cependant je ne pouvais me persuader qu’il n’y eût pas à Leyde quelques lettres inédites de Descartes lui-même. » Là-dessus il fouille plusieurs gros paquets de lettres non cataloguées, et y découvre un billet de Descartes à son horloger, avec deux autres.
Jamais ce goût hardi, qui, sur d’autres points, s’est également bien aidé de l’originalité native ou de la science classique, ne toucha moins heureusement que cette fois au grand domaine de l’antiquité, soit que l’élégant Congrève, en invoquant l’immortelle Muse, fille de Mémoire, célèbre en strophes prétendues pindariques la reine Anne et la sagesse du grand trésorier Godolphin, soit que le mélancolique Young, par une autre imitation doublement pindarique, compare aux courses d’Olympie les promenades en calèche de ce même lord Godolphin, et le remercie pompeusement d’avoir fait couler dans le domaine aride de la poésie les flots d’or de la munificence royale. […] Dans l’ode de Gray sur la poésie, malgré l’effort trop tendu et la solennité un peu énigmatique de quelques vers, on reconnaît une voix digne de la lyre et un front touché du rayon de feu.