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32. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

Il est même à penser que sans cette circonstance de vaincu, qui touche la chevalerie française, la Critique, trop spirituelle pour ne pas vouloir être populaire, aurait passé bien vite par-dessus le Saint Anselme, de M. de Rémusat, sujet philosophique et qui ne peut intéresser qu’un très petit nombre d’esprits. Seulement, si elle a touché à cet ouvrage avec une gravité et une considération qui l’honore, elle a été bien payée de sa politesse, car elle a trouvé dans le nouveau livre de M. de Rémusat les idées qui lui sont le plus chères, ce rationalisme contemporain qu’on voit partout maintenant, de quelque côté qu’on se tourne, et qu’il nous faut bien appeler par son nom, puisque, aujourd’hui, nous avons à parler de philosophie. […] » M. de Rémusat, plus ou moins hégélien, avait pu lire dans Hegel : « Anselme, dans son célèbre argument de l’existence de Dieu, montra, le premier, la pensée dans son opposition à l’être, et chercha à en prouver l’identité. » Après un pareil hommage rendu par le grand théoricien de l’identité de la pensée et de l’être, qui semblait reconnaître dans le Saint métaphysicien une paternité éloignée, comment ne pas se préoccuper de cet homme qui, quoique saint, avait été philosophe, et qui, par Descartes, touchait à Hegel ? […] Seulement, pour tous ceux qui ont touché à ces questions dévorantes, on sera suffisamment fondé à affirmer que Ce n’est pas la métaphysique, qu’elle s’appelle des plus beaux noms que le génie ait eus dans l’histoire, qui peut combler l’abîme existant entre l’homme et Dieu, et tracer pour l’homme un chemin, au-dessus de ce gouffre. […] Parler des hommes et des choses d’une époque, avec cette politesse qui est l’uniforme des hommes d’État, et un uniforme qui ne cache pas une bravoure, avec ce respect des faits accomplis qui est le caractère de l’école dont M. de Rémusat est sorti, n’est pas plus comprendre cette époque que toucher un objet avec l’extrémité des doigts n’est le saisir et le soulever !

33. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

D’où vient enfin ne cherchent-ils pas à toucher le cœur plutôt qu’à frapper l’esprit , selon la réflexion d’une princesse pieuse, qui vouloit qu’on lui fît aimer davantage la religion, & qu’on la lui prouvât moins. […] Cet espace ne lui semble pas suffisant pour plaire, persuader & toucher. […] Venons à la troisième proposition, qu’il vaut mieux toucher qu’instruire. […] Enfin, personne ne touche plus que Massillon : personne n’a mieux rempli l’objet de la chaire, ni pratiqué le conseil de M. de Montcrif. […] Encore une fois, le succès & le mérite des ouvrages de ce grand homme viennent de ce qu’il cherche moins à instruire qu’à toucher.

34. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

Elle hantait l’imagination des Barbares, par la haine d’abord et par la cupidité, puis, dès qu’ils y touchaient, par la beauté, par le passé et par ce charme indicible qui fait « un homme nouveau », selon Gœthe, de quiconque pénètre dans ses murs. […] Or, sans toucher à la question religieuse, et tout en reconnaissant que l’Église catholique est un monument grandiose de l’esprit humain, il faut bien établir ce fait, sine ira et studio : la Papauté temporelle, à Rome, c’était la négation de la nation italienne. […] Pétrarque n’est pas un homme d’action comme Dante ; il n’est pas épique et ne touche pas à la profondeur des vérités éternelles ; il n’est pas une synthèse, il est une foi nouvelle ; il est divinateur, essentiellement lyrique. — L’œuvre latine de l’humaniste Pétrarque est trop peu connue du public cultivé ; son importance historique dépasse pourtant celle du Canzoniere ; d’autre part aussi les poètes pétrarquistes ont fait du tort à leur modèle ; or, il importe de noter ce fait : chez Pétrarque, l’humaniste et le poète ne sont qu’un seul et même homme. […] C’est pourquoi j’ai dit qu’elle était « débarrassée de certaines contingences » ; dans son chaos même, elle touche souvent à l’absolu ; exemples : la Papauté ; Frédéric II, qui au xiiie  siècle esquisse déjà Louis XIV ; les tyrans du xve et du xvie  siècles. […] C’est une étape dont il faut reconnaître la grandeur et la nécessité, tout en constatant qu’elle est en conflit avec la mentalité actuelle de l’Europe. — En Italie, la monarchie est libérale au point de toucher à la république ; en Allemagne, elle repose sur une hiérarchie si forte qu’elle touche à l’absolutisme ; la nation s’y est constituée en partie, et forcément, contre la France, c’est-à-dire contre l’esprit de la Révolution ; c’est un anachronisme, mais l’équilibre se fera ; question de temps et de collaboration patiente.

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