Ce beau chef-d’œuvre terminé, ces messieurs se félicitent et s’applaudissent : je me sauve au jardin, j’y cueille la rose ou le persil ; je tourne dans la basse-cour où les couveuses m’intéressent et les poussins m’amusent ; je ramasse dans ma tête tout ce qui peut se dire en nouvelles, en histoires, pour ravigoter les imaginations engourdies, et détourner les conversations de chapitre qui m’endorment parfois : voilà ma vie. » Et un peu plus loin : « J’aime cette tranquillité qui n’est interrompue que par le chant des coqs ; il me semble que je palpe mon existence ; je sens un bien-être analogue à celui d’un arbre tiré de sa caisse et replanté en plein champ. » Dans tout ceci le style est autre, ou mieux il n’est plus question de style, il n’y a plus d’écolière ; elle cause : sa leçon de rhétorique est finie. […] Mlle Phlipon s’en tira en beauté qui ne craint pas les épreuves, et elle était remise à peine de la longue convalescence qui s’ensuivit, que les prétendants, à qui mieux mieux, et de plus en plus éblouis, se présentèrent. « Du moment où une jeune fille, écrit-elle dans ses Mémoires, atteint l’âge qui annonce son développement, l’essaim des prétendants s’attache à ses pas comme celui des abeilles bourdonne autour de la fleur qui vient d’éclore. » Mais à côté d’une si gracieuse image, elle ne laisse pas de se moquer ; elle est agréable à entendre avec cette levée en masse d’épouseurs qu’elle fait défiler devant nous et qu’elle éconduit d’un air d’enjouement.
» Sans doute à une époque d’analyse et de retour sur soi-même, une âme d’enfant rêveur eût tiré parti de cette gêne et de ce refoulement ; mais il n’y fallait pas songer alors, et d’ailleurs l’âme de Boileau n’y eût jamais été propre. […] Cherchons dans la vie privée de Boileau l’explication de ces irrégularités, et tirons-en quelques conséquences sur la qualité de son talent.
Il faut bien avouer qu’il n’y a pas de synonymes ; et quand La Fontaine dit : Et chacun de tirer, le mâtin, la canaille, A qui mieux mieux ; ils firent tous ripaille,187 ce dernier mot a quelque chose d’ignoble qui convient à ces pillards gloutons. […] Junon chez lui, à l’occasion, parle en marchande et compare la queue du paon « à la boutique d’un lapidaire. » Il tourne volontiers au style trivial que sa trivialité rend narquois ; son amoureux est tiraillé entre deux veuves, « l’une encore verte, et l’autre un peu bien mûre » ; il est de moyen âge et « tire sur le grison », mais « il a du comptant, et partant de quoi choisir. » Ailleurs la goutte plante le piquet sur l’orteil d’un pauvre homme, pendant que l’araignée « se campe sur un lambris, comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie. » Tout son style est composé ainsi de familiarités gaies ; rien n’est plus efficace pour mettre en notre cerveau l’image des objets ; car en tout esprit les images familières se réveillent plus aisément que les autres, et les images gaies naissent plus promptement que toutes les autres dans l’esprit des Français.