Au reste, je vous dirai comme nouvelle toute récente que Polyeucte, repris l’autre jour au Théâtre français, a eu un succès d’ensemble, un succès tel que je crois qu’il n’en eut jamais un si grand du vivant de Corneille. […] Monsieur, Plaignez-moi beaucoup d’être resté si longtemps sans répondre à votre tout aimable lettre ; des dégoûts, des occupations fastidieuses, une comédie en cinq actes refusée à l’unanimité par le comité du Théâtre français, et mille autres ennuis m’en ont empêché.
Les plus ignorants de nos soldats, ceux même qui ne sont jamais entrés dans un théâtre lyrique et dans une salle de concert, ont été visités à leur insu par le dieu du son. […] Les provinces de cette littérature sont aussi nombreuses et aussi riches que le furent les provinces de l’ancienne monarchie espagnole ; elle a ses récits picaresques comparables à de joyeuses Flandres, ses caprices et ses fantaisies, ses saynètes et ses comédies de cape et d’épée comparables à un brillant royaume de Naples, son théâtre tragique et religieux comparable à un nouveau monde aux riches mines d’or et d’argent, et enfin sa littérature mystique et sacrée comparable à cette domination religieuse qui fit connaître à Rome même les douleurs de l’asservissement, qui par Ignace de Loyola garrotta l’Église des liens de l’infaillibilité pontificale, et qui un moment plaça le roi Philippe II au-dessus du pape comme chef de la catholicité. […] Une seule fois il a pris pour sujet d’une de ses pièces de théâtre un de ces thèmes théologiques qui ont fourni au génie violent de Calderon tant de chefs-d’œuvre ; mais l’inclination de son esprit est tellement chevaleresque et humaine que ce sombre sujet s’est transformé sous sa plume, et que la conception du Don Quichotte a trouvé moyen de se faire jour dans la seule œuvre mystique qu’il ait écrite.
Il est probable, du moins je le crains, que la politique locale des États interviendra trop dans le plan de gouvernement qu’une sagesse et une prévoyance dégagées de préjugés auraient dicté plus large, plus libéral ; et nous pourrons commettre bien des fautes sur ce théâtre immense, avant d’atteindre à la perfection de l’art… » Mais la lettre tout à fait monumentale et historique est celle qui a pour date : Mount-Vernon, 1er février 1784, aussitôt après la résignation du commandement : « Enfin, mon cher marquis, je suis à présent un simple citoyen sur les bords du Potomac, à l’ombre de ma vigne et de mon figuier… » On est dans Plutarque, on est à la fois dans la réalité moderne.