Tout au commencement, avant sa dévotion, du temps de l’Assemblée constituante, il s’était montré fort épris ; mais elle avait alors son goût déclaré pour M. de Narbonne. […] Elle va à Lyon ; il la suit avec sa femme et passe son temps près d’elle, négligeant un peu Mme de Constant. Tout à coup on vient apprendre à Mme de Staël et à lui que sa femme s’est empoisonnée ; Mme de Staël y court et trouve une femme sur son canapé, qui se croit empoisonnée plus qu’elle ne l’est : scène ridicule. — Les scènes que Mme de Staël n’épargnait pas vers ce temps à Benjamin Constant, la honte qu’elle lui faisait de ce mariage, l’idée qu’elle supposait à l’Europe et à l’univers lorsqu’on apprendrait cet éclatant divorce de leurs célèbres personnalités, tout cela était tel et agissait si fort sur la tête nerveuse de Benjamin Constant, qu’il y avait des moments où il s’estimait un monstre aux yeux de la terre : « Quand je rentre dans Paris, disait-il sérieusement, je lève les glaces de ma voiture, de peur d’être montré au doigt. » Mais le scepticisme reprenait vite le dessus. — Cependant Mme de Staël avait bien ses distractions aussi, son cercle d’adorateurs, M. de Schlegel, M. de Sabran, M. de Barante… ; elle aimait beaucoup ce dernier, dont elle avait mis quelques traits et quelques situations dans Oswald ; mais il dérivait un peu vers Mme Récamier… En mourant, elle ne témoigna aucun retour vif à Benjamin Constant qu’elle voyait pourtant tous les jours. […] Et de tout temps les esprits de Benjamin Constant et de Mme de Staël s’étaient convenus bien mieux que leurs cœurs ; c’est par là qu’ils se reprenaient toujours… Benjamin Constant a laissé un roman qui fait suite à Adolphe : mais cela devient de plus en plus clairement son histoire.
Mais il est temps de remédier à cette grande maladie des caractères de notre temps : la « veulerie ». […] Mais, après tout, il fut de son temps, et le résume en lui. […] Mais il se produisit cette conséquence imprévue : l’unité de temps et de lieu aboutit à l’annulation du temps et du lieu. […] Dans le temps et dans l’espace, les sujets sont concentrés. […] En ce temps-là, il croyait aux Espagnols.
Là encore il est arriéré et bel esprit de province, mais de son temps aussi, fréquemment, et même du temps qui va venir. […] Ce sont des mémoires pour ne pas servir à l’histoire de son temps. […] Ce n’est plus lui qui écrit, c’est son temps. […] Celui-ci peu marqué, mais reparaissant de temps à autre. […] Il n’aime pas ce qui est de son temps, il aime ce qui a été.