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802. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Gil Blas, par Lesage. (Collection Lefèvre.) » pp. 353-375

Mais il le faisait avec naturel, avec facilité, avec un don de récit et de mise en scène qui était son talent propre, avec une veine de raillerie et de comique qui se répandait sur tout, avec une morale vive, enjouée, courante, qui était sa manière même de sentir et de penser. […] Ce n’est pas un homme de génie, ni d’un grand talent, ni qui ait en lui rien de bien particulier : c’est un esprit sain et fin, facile, actif, essentiellement éducable, ayant en lui toutes les aptitudes. […] Il est décidément contre les faiseurs d’odes, de tragédies, contre tous les genres officiels et solennels, ces genres titrés que le public respecte et honore sur l’étiquette, sans voir qu’il y a souvent infiniment plus d’esprit et de talent dépensé ailleurs. […] Si c’est là de la sagesse pratique, on ne saurait disconvenir que le talent perd toujours un peu à ne pas avoir un très haut idéal en vue. […] Montmesnil ne faisait que traduire sous une autre forme le même fonds comique, le même talent de famille.

803. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

J’avais eu l’idée, après avoir montré le parfait langage du siècle de Louis XIV dans sa fleur et son élégance dernière chez la plus charmante élève de Mme de Maintenon, après avoir considéré le style du xviiie  siècle dans sa plénitude de vigueur et d’éclat chez Jean-Jacques Rousseau, d’aborder aussitôt la langue révolutionnaire chez l’homme qui passe pour l’avoir maniée avec le plus de verve et de talent, chez Camille Desmoulins. […] Peut-on avoir le courage, à travers un tel pamphlet, de remarquer un certain mouvement de talent, quelque chose de vif, de rapide, de cursif, et de propre à enlever alors ceux qui ne réfléchissaient pas ? […] Camille, le futur écrivain du Vieux Cordelier, est déjà tout entier dans cette brochure de La Lanterne pour la nature de talent et pour les drôleries. […] Michelet l’a appelé un polisson de génie ; je crois que c’est bien assez, quand on a lu son Discours de la lanterne et ses Révolutions de France et de Brabant, de l’appeler un polisson de verve et de talent. […] Il y avait au xvie  siècle, sous la Ligue, des prédicateurs burlesques, bouffons, satiriques, quelques-uns doués d’un certain talent populaire, dévoués aux Seize, et qui prêchaient l’anarchie et l’insurrection aux Halles et dans le quartier Saint-Eulalie : c’étaient les journalistes démocrates du temps.

804. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Fugitif ensuite et déjà hors de France, avec son audace et ses talents, avec son épée et sa plume, il avait mille ressources. […] Il y eut en lui aussi une part de comédien et de personnage de théâtre qui tenait au talent même, et comme il en entre si aisément et à peu près inévitablement, on ose le dire, chez tous les hommes publics à qui il est donné de mener les autres hommes : mais le fond du cœur était chaud, le fond de la conviction était sincère, de même que plus tard nous verrons que le fond de ses vues politiques, en apparence si turbulentes et si orageuses, était tout à fait sensé. […] Il disait encore de lui, après l’espèce de réconciliation de 1781 : Tandis que mes amis, que son étrange réputation et son talent pour faire peur avaient effarouchés, l’étaient au point de me croire mort seulement à son approche, je n’ai trouvé que ce que j’avais laissé : de l’esprit autant qu’il est possible d’en avoir ; un talent incroyable pour saisir toutes les surfaces, et rien, rien du tout dessous ; et, au lieu d’âme, un miroir qui prend passagèrement toutes les images qu’on lui présente et n’en conserve pas le moindre souvenir. […] Il aime mieux croire à un prestige qu’à un vrai talent.

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