Prenez au contraire l’abbé de Chaulieu, de vingt ans plus jeune que Maucroix, et qui mourut onze ans après lui, ayant également poussé très loin sa carrière, et vous aurez l’épicurien à la fois de pratique et de système, celui qui, au milieu de ses refrains bachiques ou de ses nonchalances voluptueuses, raisonnera sur la mort en des vers philosophiques selon les principes d’Épicure tour à tour, ou selon ceux du déisme. […] Il s’oublie, il s’amuse, il se laisse aller aux goûts divers de l’humeur et de la nature, mais sans un système bien réfléchi.
Interrogé par Voltaire en 1776 sur la valeur de l’opinion énoncée au tome Ier de l’Histoire de l’astronomie, il répondait : « Le rêve de Bailly sur ce peuple ancien qui nous a tout appris, excepté son nom et son existence, me paraît un des plus creux qu’on ait jamais eus ; mais cela est bon à faire des phrases, comme d’autres idées creuses que nous connaissons et qui font dire qu’on est sublime. » D’Alembert aigre, exact et sec, détestait Buffon et n’épargnait point Bailly qu’il considérait alors comme un satellite du grand naturaliste pour les systèmes. On conçoit d’ailleurs ces dissidences naturelles et cette sorte d’antipathie instinctive entre une école scientifique tout analytique et précise, et une autre qui ne se refusait ni l’éclat ni les couleurs ; mais d’Alembert se laissait emporter à ses préventions personnelles lorsqu’il disait à propos des systèmes de Bailly et de Buffon qu’il associait dans sa pensée : « Supplément de génie que toutes ces pauvretés ; vains et ridicules efforts de quelques charlatans qui, ne pouvant ajouter à la masse des connaissances une seule idée lumineuse et vraie, croient l’enrichir de leurs idées creuses… » Dans la familiarité de la correspondance et lorsqu’il n’est point retenu par le public, d’Alembert s’abandonne souvent ainsi à des injustices presque injurieuses, dites d’un style assez commun.
Un autre très bel endroit de ces premières Observations est le moment qu’il choisit pour exposer son système général des montagnes, et en particulier des Pyrénées. Ce moment est celui où monté seul sur la Maladetta ou Montagne maudite dans les Pyrénées espagnoles, et contemplant les groupes et les chaînes d’alentour, il croit voir tout d’un coup les contradictions disparaître, les accidents et les irrégularités se subordonner, les écarts même rentrer dans la loi, et tout un système primitif jaillir du sein d’un chaos apparent.