Si ce n’était faire tort à un écrit si solide que d’en présenter des extraits de pages, je détacherais celle qui marque le caractère de Montesquieu dans son livre de la grandeur et de la décadence des Romains… Je la donnerai pourtant, parce que nous sommes Français et que nous aimons les morceaux, mais je n’en donnerai que le commencement ; tout lecteur sérieux voudra lire la suite : Dans ce livre, il (Montesquieu) oublie presque les finesses de style, le soin de se faire valoir, la prétention de mettre en mots spirituels des idées profondes, de cacher des vérités claires sous des paradoxes apparents, d’être aussi bel esprit que grand homme. […] Ses jugements tombent comme des sentences d’oracle, détachés, un par un, avec une concision et une vigueur incomparables, et le discours marche d’un pas superbe et lent, laissant aux lecteurs le soin de relier ses parties, dédaignant de leur indiquer lui-même sa suite et son but.
Il était de sa cour et de sa suite. […] Il n’avait donné que son Lucain, une suite de l’histoire romaine de Coeffeteau, tirée d’Aurelius Victor et autres, quelques versions de l’office de la Semaine sainte, des heures canoniales, des épîtres et Évangiles.
Bonstetten, en son premier temps, aux belles années du xvie siècle, avait eu, il est vrai, une jeunesse fervente, enthousiaste, engouée, selon la forme d’idées et de sentiments qui régnaient alors, avec des teintes de Jean-Jacques et des reflets de Werther ; mais cela lui avait passé : il s’était rassis ; il était devenu vieux ; vers l’âge de trente-cinq à quarante ans, il était redevenu Bernois ou avait tâché de le redevenir, de se faire un homme sérieux, un homme politique, un bailli, un syndic ou syndicateur (comme ils disent), un aspirant au conseil souverain de son canton ; il s’acclimatait petit à petit à l’ennui ; en un mot, à l’exemple du commun des hommes, il était en train de vieillir, et il y réussissait par le cours naturel des ans et des choses, quand les événements qui, à la suite du grand mouvement de 89, bouleversèrent son pays, vinrent le secouer lui-même et le déranger, le déconcerter et l’affliger d’abord ; mais bientôt il se remit, il voyagea, il trouva des oasis et des asiles, des cercles heureux où l’amitié lui vint rendre la joie, l’espérance et l’harmonie de sentiments à laquelle il aspirait par sa nature : et c’est alors qu’il rajeunit tout de bon. […] Steinlen, concentrant dans cette carrière littéraire toutes les forces de son esprit, il y aurait conquis une place bien autrement distinguée qu’il ne put le faire dans la suite » ; car il glissa dans la littérature plus qu’il n’y marqua.