. — Cette permission me fut accordée ; mais ce mot me donna à penser, et fit dès lors germer dans ma tête le dessein que moins d’un an après je mis pleinement à exécution, et qui me dispensa dans la suite de demander aucune permission de ce genre. […] J’eus donc huit chevaux à ma suite et un équipage digne d’un pareil train. […] De cette méthode, que j’ai voulu caractériser avec détail, il est peut-être résulté une chose : c’est que mes tragédies dans leur ensemble, et malgré les nombreux défauts que j’y vois, sans compter tous ceux que peut-être je n’y vois pas, ont du moins le mérite d’être, ou, si l’on veut, de paraître pour la plupart venues d’un seul jet et rattachées à un seul nœud, de telle sorte que les pensées, le style, l’action du cinquième acte s’identifient étroitement avec la disposition, le style, les pensées du quatrième, et ainsi de suite, en remontant jusqu’aux premiers vers du premier, ce qui a du moins l’avantage de provoquer, en la soutenant, l’attention de l’auditeur, et d’entretenir la chaleur de l’action. […] Outre les compositions dont j’ai parlé, j’y continuai avec persévérance et avec fruit l’étude des classiques latins, de Juvénal entre autres, qui me frappa vivement, et que dans la suite je n’ai cessé de relire non moins qu’Horace. […] XVII C’est peu de temps avant cette lettre d’Horace Mann qu’Alfieri arriva avec sa suite et quatorze chevaux anglais à Florence pour s’établir en Toscane.
On sait avec quelle ivresse Alfieri parle de cette période dans l’histoire de sa vie ; on se rappelle sa douleur quand la comtesse, encore soigneuse de sa renommée, revient passer l’hiver dans les États du pape, s’établit à Bologne, et oblige son compagnon à choisir une autre résidence ; on se rappelle aussi ses transports au moment où le mois d’août, trois ans de suite, le ramène à Colmar ; on se rappelle ces explosions d’enthousiasme, ce réveil d’activité poétique, cette soif de gloire qui le tourmente, sa joie de faire imprimer ses œuvres à Kehl dans l’admirable imprimerie de Beaumarchais ; puis ses deux voyages à Paris, son installation avec la comtesse dans une maison solitaire, tout près de la campagne, à l’extrémité de la rue du Montparnasse, et tous les soucis que lui donne la publication de ses œuvres complètes chez Didot l’aîné, « artiste passionné pour son art. » Tous ces détails sont racontés dans l’autobiographie du poète, nous n’avons pas à y revenir ici ; mais ce qu’Alfieri ne pouvait pas dire, et ce qui est pourtant un épisode essentiel de cette histoire, ce sont les dernières années de Charles-Édouard, ces années d’abandon et de malheur pendant lesquelles le triste vieillard, si longtemps dégradé, se relève enfin, et retrouve à sa dernière heure une certaine dignité vraiment noble et touchante. » III L’infortuné Charles-Édouard éprouva avant de mourir une consolation inattendue. […] « Ce chapitre un peu long, que j’ai placé dans la suite parmi mes poésies, est le premier et à peu près l’unique essai que j’aie tenté dans le genre de Berni, dont je crois sentir toutes les grâces et la délicatesse, quoique la nature ne me porte pas de préférence vers ce genre. […] Je fis aussi, avant de partir pour Paris, une revue générale de mes poésies, dictées et achevées en grande partie, et je m’en trouvai un bon nombre, trop peut-être. » VII On voit poindre, dans ce mot sur le Brutus de Voltaire, la première jalousie d’Alfieri contre la littérature des Français ; on la retrouve dans la suite de ce chapitre. […] Ces gens ayant vu nos voitures, nous en avions deux, et nos impériales chargées de malles, avec une suite de deux femmes et deux ou trois hommes pour nous servir, s’écrièrent que tous les riches voulaient s’échapper de Paris avec toutes leurs richesses, et les laisser, eux, dans la misère et l’abandon. […] De la gloire, il n’eut que la passion ; Du civisme, il n’eut que l’affectation ; Du génie, il n’eut que la prétention ; De l’amour, il n’eut que l’ostentation ; Ostentation peut-être sincère, mais suspecte au moins, comme nous allons le montrer dans la suite de ce commentaire.
Le recueil intitulé la Lyre et l’Épée le transporta ; il eut l’idée de s’enrôler à la suite dans le même genre, et il composa à son tour un petit poème sur la vie de soldat. […] J’ai eu le plaisir de dîner plusieurs fois avec lui en petit comité, et je l’ai entendu parler plusieurs heures de suite avec une présence d’esprit prodigieuse : tantôt avec finesse et originalité, tantôt avec une éloquence et une chaleur de jeune homme. […] La joie que j’éprouvais dans ces moments me rendait tout mon feu ; les idées et la suite de leur développement, les expressions telles qu’elles avaient été prononcées, tout redevenait clair comme un souvenir de la veille. […] Elle s’est convaincue que s’il est possible d’opprimer le peuple, on ne peut l’écraser, et que le soulèvement révolutionnaire des classes inférieures est une suite de l’injustice des grands. […] Oui, on a raison, je ne pouvais pas être un ami de la Révolution française, parce que j’étais trop touché de ses horreurs, qui, à chaque jour, à chaque heure, me révoltaient, tandis qu’on ne pouvait pas encore prévoir ses suites bienfaisantes.