On a choisi de réimprimer, pour faire suite, deux études, sur le Juif Errant et sur le Lai de l’Oiselet. […] La prévision des gens du pays était juste : il fut toute la journée dans le brouillard, et perdit plus d’une fois son chemin ; il arriva cependant jusqu’à la « chambre » décrite par Antoine de la Sale et y fit des constatations qu’il devait compléter par la suite et que j’ai utilisées plus haut. […] Le premier n’était qu’indiqué, comme nous l’avons vu, dans le récit attribué à Paul d’Eitzen ; il était naturel qu’il fût exagéré par la suite ; c’est ainsi que dans un passage que fit Ahasvérus à Naumburg, au xviie siècle, il ne pouvait ni s’asseoir ni même rester en place, il ne mangeait, ne buvait ni ne dormait. […] La nuit passée, on se mit en point de partir, et Capecchio prit par la main ledit Giovanni et le tirant à part lui dit : « Donnez-moi conseil pour ma conduite. » Et il lui dit : « Marie tes filles, autrement je t’annonce qu’elles tourneront mal. » Et il promit de le faire, et il le fit par la suite. — Et j’ai dit tout cela jusqu’à présent afin que vous entendiez comment les choses secrètes sont pour lui manifestes ; et maintenant nous parlerons d’affaires plus importantes. […] La traduction de Garcin de Tassy porte « quelques » ; mais la suite, aussi bien que la comparaison des autres versions, montrent qu’il faut « trois ».
À la suite du livre de Ruth, traduit avec une gravité et une onction bibliques, M. de Belloy a placé la légende d’Orpha, la seconde bru de Noëmi, dont il a supposé les aventures, puisque le silence du texte permettait l’invention au conteur. […] Chez lui Jupiter redevient Zeus, Hercule Héraclès, Neptune Poséidon, Diane Artémis, Junon Héré, et ainsi de suite. […] Ce qui restait de ces vingt ans, le voici : Le souvenir d’une des plus imposantes et des plus souveraines figures qui aient jamais paru sur la scène française, — l’écho d’une diction si sévère et si pure que le vers s’y éprouvait comme l’or à la pierre de touche et que, après la langue de Corneille et de Racine, aucune autre langue tragique ne put résister à l’épreuve, — la vie rendue et retirée de nouveau à des chefs-d’œuvre où la vie rentrera toujours, l’occasion donnée, parce qu’ils ne sauraient périr ; en réalité, pour le présent et pour l’avenir, rien que des ruines : la tragédie de décadence plus condamnée que jamais, le drame libre de refleurir, si toutefois l’arbre desséché pouvait fleurir encore, si les esprits découragés ne s’étaient pas dispersés dans toutes les voies, si l’école interrompue n’avait pas cessé d’être une école, et si la suite d’une génération littéraire pouvait se renouer après une lacune de vingt ans. […] À leur suite, et sans ordre de rangs, Ponsard doué de l’heureux privilège d’arriver toujours à propos dans les moments de crise littéraire, fort de la probité de son travail, fort de son inspiration qui lui vient de lui-même, sans trouble et sans hésitation comme M. Ingres, avec lequel son talent a plus d’un trait de ressemblance, savant et naïf comme lui, prenant comme lui ses modèles aux belles époques du passé, comme lui persévérant dans l’unité de sa vie, toujours semblable à soi et marquant du même cachet ses œuvres capitales : Lucrèce, Agnès de Méranie, Charlotte Corday, L’Honneur et l’argent, Le Lion amoureux, dépassées, au point de vue de l’éloquence, par l’épique inspiration de son Galilée ; Émile Augier, ce frère jumeau du début de Ponsard, son second dans la querelle des deux écoles, cet autre talent fait de clarté, de vigueur, de hardiesse et de liberté gauloise ; plus souple et moins convaincu ; plus curieux, plus attentif aux mouvements de la littérature ; prompt à se porter du côté où va celui qui marche, non pas pour marcher à la suite, mais pour aller plus loin encore ; né pour oser, étonné d’avoir remporté un prix de l’Académie Française, se sachant meilleur gré d’avoir fait L’Aventurière que Gabrielle, et heureux de s’être racheté par Le Mariage d’Olympe ; main hardie, résolue à lever les masques de la société ; père de ce drôle cynique que nous avons vu tout à l’heure, qui se nomme Giboyer comme Figaro se nomme Figaro ; petit-fils lui-même de Regnard et de Beaumarchais ; qui fait de la prose son arme de combat, garde le vers pour la comédie de passion ou d’aventure, et, un moment trahi par la fortune du théâtre, se prépare un quatrième triomphe avec une grande œuvre écrite dans la grande forme littéraire ; Octave Feuillet, écrivain d’élite, que la lecture d’Alfred de Musset a d’abord révélé à lui-même, mais qui est entré en possession de sa nette et gracieuse originalité ; Marivaux d’un siècle sérieux, sérieux comme son siècle, et dont l’esprit a vécu plus intimement dans la confidence du cœur ; plume finement taillée pour les délicates et ingénieuses analyses ; auteur dramatique d’un ordre à part ; nature charmante et distinguée qui a fait des sentiments de l’honnête homme et de l’homme de famille son exquise élégance ; qui ne veut pas laisser à ce qui est en dehors du bien le privilège de la séduction ; qui prête l’attrait au bon conseil, à la foi simple, à la pratique des vertus douces et modestes ; champion de la province dont il est l’hôte et qu’il a raison d’aimer parce qu’il y garde bien sa physionomie personnelle, parce qu’il y emporte, pour les mieux étudier à l’écart, les souvenirs avec lesquels il s’est élevé aux hardiesses de Dalila, et qu’il y trouve les modèles, discrètement, ingénument supérieurs, du Village et du Cas de conscience ; Georges Sand, nom illustre même au théâtre, talent androgyne comme Mme Ém. de Girardin, plus mâle à son début, mais où la femme tend peut-être à se dégager chaque jour davantage, tandis que Mme Ém. de Girardin, par une contraire évolution, arrivait dans ses dernières œuvres au caractère complet de la virilité ; Georges Sand, écrivain supérieur, plume douée d’un don de magie, passion pénétrante et subtile, séduction qui trouble et qui égare, charme inquiétant vis-à-vis duquel il faut veiller sur soi, de peur d’être surpris et d’admettre, en applaudissant, que la lignée d’Adam est toujours égoïste, irrésolue, sans grandeur et sans courage ; que la descendance d’Ève est toujours dévouée, intrépide, héroïque ; que, dans ce monde mal fait où rien n’est à sa place, on doit toujours chercher la plus pure vertu au fond de toutes les chutes et le plus légitime orgueil au fond de toutes les misères : conclusion inévitable d’un théâtre qui n’en est pas moins essentiellement aristocratique dans sa forme précieuse et distinguée, exquis par la vérité délicate du détail, par la finesse lumineuse du dialogue et la grâce vivante du tableau, consacré enfin par trois grands succès : François le Champy, Le Mariage de Victorine et Le Marquis de Villemer ; Alexandre Dumas fils, l’aîné, par le succès, des auteurs de la comédie moderne, celui qui l’a émancipée et mise en état de tout dire ; riche et complète nature, mélangée de rêverie, de chimère, d’audace et de justesse d’esprit ; praticien consommé, fécond en expédients, rompu à toutes les combinaisons de la scène, et attiré vers les thèses dangereuses où s’endort quelquefois l’action alanguie ; tenté de se perdre dans le discours, dans la discussion et le paradoxe ; prêt à sauver telle pièce qui se sent sombrer et lui fait un signal de détresse ; risquant tout pour lui-même et ne hasardant plus rien pour les autres ; sûreté de coup d’œil impitoyable ; main d’opérateur qui coupe dans le vif et dégage de tout ce qui le gêne le succès du Supplice d’une femme ou celui d’Héloïse Paranquet ; Théodore Barrière, qui devait être journaliste s’il n’eût été auteur dramatique, et qui a fait du vaudeville le précurseur de la petite presse : chroniqueur avant la chronique quotidienne, oseur, improvisateur, Parisien-né comme la Fronde, hardi à l’escarmouche, prompt aux hardiesses de la comédie satyrique, recommençant Aristophane selon notre mesure et s’incarnant avec éclat dans le Diogène nouveau dont il a créé la figure et le nom ; mais impatient, capricieux, obéissant à deux instincts qui le poussent l’un vers le pamphlet, l’autre vers l’élégie et l’idylle ; trop pressé de produire pour choisir entre les deux, d’arriver à temps pour finir, et de finir pour achever ; esprit fécond qui sait bien que les revers ne comptent pas, mais qui a le droit de compter fièrement ses grandes victoires ; moraliste vigoureux qui a eu le coup de fouet et le coup de dent, qui vise ailleurs aujourd’hui et va un peu à l’aventure, mais qui retrouvera la voie des belles soirées quand, au lieu d’allumer sa lanterne pour chercher où en est le succès chez les autres, il se reprendra tout simplement à étudier Les Faux Bonshommes et Les Filles de marbre, avec le cigare étincelant de Desgenais ; Victorien Sardou, venu après les autres, et qu’ils rencontrent aujourd’hui sur toutes les scènes ; comparable par sa fécondité à Eug.
Ce serait en vain que vous y chercheriez une tirade brillante ; ce n’est qu’une fois ou deux dans les cinq actes qu’il arrive à un personnage de dire de suite plus de douze ou quinze lignes. […] Au reste, chaque poète fera des expériences, à la suite desquelles il est possible que l’espace d’une année soit trouvé le terme moyen convenable.