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629. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — II. (Lettres écrites du donjon de Vincennes.) » pp. 29-50

Même dans les choses d’amour, dans ses souvenirs élégiaques, écrivant à son amie, il la défend en idée devant ses accusateurs, et il la défend en se levant, en se tournant volontiers vers le public absent, qu’il apostrophe et qu’il invoque : Voulez-vous, demande-t-il, qu’elle ait fait une imprudence ? […] puisse mon souvenir ne pas l’empoisonner de remords ! […] Il disait encore de lui, après l’espèce de réconciliation de 1781 : Tandis que mes amis, que son étrange réputation et son talent pour faire peur avaient effarouchés, l’étaient au point de me croire mort seulement à son approche, je n’ai trouvé que ce que j’avais laissé : de l’esprit autant qu’il est possible d’en avoir ; un talent incroyable pour saisir toutes les surfaces, et rien, rien du tout dessous ; et, au lieu d’âme, un miroir qui prend passagèrement toutes les images qu’on lui présente et n’en conserve pas le moindre souvenir. […] Voici en quels termes à la Saint-Preux il fait la dédicace de ce petit traité à la Port-Royal : Ma Sophie, tu te souviens bien que ta mère m’a écrit une fois pour me prier de t’apprendre l’orthographe : je ne sais comment je négligeai une si grave recommandation.

630. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Ne sauras-tu donc pas te mettre à la raison, Servius, et te souvenir que tu es né homme ! […] D’ailleurs, il n’a aucun goût sensible pour les écrivains éloquents ou les poètes ; il cite une fois, sur « la crainte qui serait la cause première des religions (Primus in orbe Deos, etc.) », un mot de Pétrone ou de Stace, qu’il attribue par mégarde à Lucrèce : jamais il ne lui arrive de citer Virgile, Horace, un vers d’Homère, ce qui fait la douceur habituelle de ceux qui ont pratiqué ces sentiers de l’Antiquité ; il ne fleurit jamais son chemin d’un souvenir : avec des connaissances si approfondies et si particulières, il n’a pas plus la religion de la Grèce que celle de Sion. […] Souvent, aux rayons de cet astre qui alimente les rêveries, j’ai cru voir le Génie des souvenirs, assis tout pensif à mes côtés. […] [NdA] On lit dans les Souvenirs de Stanislas Girardin (t. 

631. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

Ce dictionnaire ne semble pas avoir été goûté ; il contient trop d’expressions qui n’ont été dites qu’une fois ; le cliché ne s’y rencontre pas du premier coup et il faut aller chercher parmi un taillis épineux d’expressions déconcertantes, puisque le souvenir ne les reconnaît pas. […] Cependant pour certains cerveaux, toute lecture, tout discours se transforme en images ; le souvenir sonore de la phrase n’est pas conservé. […] Le guide-âne allégué encadre volontiers dans un exemple d’écriture chacune des fleurs dont il est l’herbier ; il y en a de délicieux : Dulces reminiscitur Argos (Il revoit en souvenir sa chère Argos). […] Je relève dans les quinze premières lignes du feuilleton d’un homme qui, toutes les semaines, se fait le juge de la littérature, ces expressions : « Un gouvernement sans gloire et une paix sans dignité. — Se consolaient de leur misère présente en songeant aux splendeurs du passé — Effort surhumain — Univers émerveillé — la magnificence de ces souvenirs — vulgarité régnante — chambre servile. etc », C’est l’union parfaite du cliché et du lieu commun, — d’où l’impression inattendue de convenance et de correction.

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