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378. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Ampère en critique consiste à donner à certaines vastes proportions du champ littéraire une sorte de constitution véritablement scientifique. […] Sous cette continuité de travaux plus ou moins sévères, l’esprit de poésie n’a cessé de courir comme un ruisseau qui, pour être caché, n’en donne pas moins, aux endroits même les plus graves d’aspect, une sorte de fraîcheur et de vie165. […] En quittant le xvie , on sortait d’une époque encore gallo-romaine véritablement ; de là, en bien des points, cette sorte de singulier rapport de récurrence. […] Qu’on ouvre les livres du Père Garasse, ceux de Pierre Mathieu, si étrangement réhabilité de nos jours ; la pensée n’y va qu’à travers toutes sortes d’allusions érudites et sous une marqueterie de métaphores, toutes plus raffinées les unes que les autres, et qui ne permettent presque jamais de saisir le fil direct et simple. […] En général, on pourrait demander à certains chapitres un peu plus de refonte et une sorte de bouillonnement, si cela était conciliable avec la précise exactitude.

379. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

A chaque génération, il se fait un naufrage d’idées vives ; une sorte d’ignorance recommence ; une bonne partie du savoir et de l’esprit de chaque année périt avec elle ; une autre portion s’entasse en de savants depôts, et ne s’en tire qu’en se dispersant dans quelques têtes de plus en plus singulières. […] En face des érudits et des philosophes également ardents de nos jours et emportés à toutes sortes d’espérances, il est bon de ne pas laisser tout à fait tomber ce droit de rappel à l’homme qui semble relégué chez les défunts moralistes. […] Mais gardons-nous de trop pousser ces sortes d’analogies. […] Il y aurait danger, si l’on n’y faisait attention, de demeurer attardé dans les préparatifs de l’entreprise et perdu dans les notes : je sais un estimable érudit qu’on trouva de la sorte dans son cabinet, assis par terre, à la lettre, et tout en pleurs, au milieu de mille petits papiers entre lesquels il se sentait plus indécis que le héros de Buridan : Sedet æternumque sedebit infelix Theseus. […] On aurait beau dire d’un ton léger : « Que voulez-vous tant fouiller, et pourquoi s’embarrasser de la sorte ?

380. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Il tendait à substituer aux jugements passionnés et contradictoires une critique relative, proportionnée, explicative, historique enfin, mais qui n’était pas dénuée de principes ; loin de là, une sorte d’austérité y mesurait à chaque moment l’indulgence. […] Le sujet prend une sorte d’unité qu’il n’aurait pas si je l’avais traité à titre d’histoire générale. » Ainsi, dans ce choix des quatre ducs de Bourgogne, M. de Barante voyait surtout une manière ingénieuse de découper et de prendre de biais un large pan de l’histoire de France. Or, cette époque des xive et xve  siècles était précisément la plus riche en chroniques de toutes sortes, et déjà assez française pour qu’en changeant très-peu aux textes, on pût jouir de la saveur et de la naïveté : naïveté relative et d’autant mieux faite pour nous, qu’elle commençait à soupçonner le prix des belles paroles. […] En venant plaider dans sa préface contre l’histoire officielle et oratoire, il n’a jamais demandé, il n’a pu demander que l’histoire vraiment philosophique fût supprimée ; il n’a pas dit, à le bien entendre, il n’a pas cru que l’histoire morale, celle des Tacite, des Salluste et des grands historiens d’Italie, dût cesser d’avoir ses applications diverses, surtout à des époques moins extérieures et plus politiques, aux époques d’intrigue et de cabinet : mais, ce jour-là, il demandait pour le genre qui était le sien, pour cette méthode appliquée une fois à une époque particulière qui y prêtait, il demandait place au soleil et admission légitime, et, en homme d’esprit, il a trouvé à ce propos toutes sortes de raisons et de motifs qu’il a déduits ; et il en a su trouver un si grand nombre là même où l’on s’était dit qu’il y avait objection, qu’on a pu croire que les conclusions chez lui dépassaient le but. […] Toutes les fois qu’il a dû prendre la parole dans des solennités publiques (et il l’a fait récemment en plusieurs occasions), on a retrouvé avec plaisir son esprit ingénieux et grave ; l’idée morale, la disposition religieuse, qu’il a témoignée de tout temps, semble même prévaloir en lui avec les années, et rien n’altère cette sorte d’autorité légitime qu’on accorde volontiers, en l’écoutant, à l’écrivain éclairé, à l’homme de goût et à l’homme de bien.

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