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926. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Ce n’est pas seulement la lumière du soleil qui est belle, c’est aussi sa vivifiante chaleur, qui n’est d’ailleurs elle-même que la lumière perçue par l’organisme tout entier. Un aveugle, voulant exprimer la volupté que lui causait cette chaleur du soleil invisible pour lui, disait qu’il croyait « entendre le soleil » comme une harmonie. […] La plante, quoiqu’elle n’ait pas le sens de la vue, pourrait éprouver quelque chose d’analogue en passant de l’ombre au soleil, elle qui se fane dans l’obscurité et se tourne toujours vers la clarté du soleil, comme si elle la voyait. […] Rien de moins poétique, pourrait-on dire, qu’une grande route blanche sans recoins et sans tournants, où le soleil tombe d’aplomb ; au contraire, les fourrés, les bosquets, les angles d’ombre, tout ce qu’on ne voit pas du premier coup, tout ce qui semble nous fuir, fait la poésie de la campagne. […] De même que d’un sourire nous faisons la « chaîne de nos yeux » et d’un baiser celle de notre bouche, ainsi de « longs fils soyeux » unissent notre cœur aux étoiles, un « trait d’or frémissant » au soleil, la « douceur du velours » aux roses que nous touchons.

927. (1914) Une année de critique

Je prendrai tout : je suis sans scrupule et sans doute ; Vous, soleil, allumez la clarté de mes dents Et mon sang le plus beau dans mes veines heureuses. […] Avec le poète, pour qui les grandes forces de la vie, qu’il personnifie d’instinct à la manière des Grecs, ne sont pas de vaines entités, nous nous élançons sur l’étendue d’une terre primitive qu’éclaire un soleil encore jeune, mais déjà témoin du déclin de la race antique des Centaures. […] Plus qu’aucun autre, il s’est approché des limites extrêmes de la conscience, de ces régions où règne un jour indécis et mystérieux, où les rayons du soleil ne parviennent qu’à travers l’épaisseur d’une eau morte. […] L’historien qui nous a prouvé l’irréalité de Napoléon, et son identité avec le soleil, s’en était-il avisé ? […] Sa phrase a la netteté d’un objet qui, sous le soleil de midi, ne fait pas d’ombre.

928. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Mais mon chien s’élançait en joyeux aboiements vers elle, et sautait follement vers l’essaim pour le saisir : celui-ci, tournoyant alors et redoublant de murmure, s’élevait avec une lenteur cadencée dans un rayon de soleil. […] En mesurant l’homme aux ressources dont il dispose, ses besoins à sa fin, il l’a trouvé misérablement pauvre et impuissant ; mais dire la vérité qui désespère, c’est faire la moitié du chemin vers la vérité qui console, c’est indiquer, d’un doigt tendu vers l’horizon, le point encore obscur d’où le soleil doit jaillir. […] Comme le soleil boit l’océan, Dieu, le soleil des esprits, devrait boire incessamment notre âme, et ne nous la rendre, comme le soleil rend la mer à la mer, que pour l’absorber encore. […] Vraiment, lorsqu’on sort d’Ahasvérus pour entrer dans l’Évangile, on croit voir autour de soi succéder à la noire humidité du sépulcre la douce et chaude clarté d’un soleil du printemps. […] Mais la question est de savoir si c’est la lumière de la foudre ou celle du soleil, et si la lumière sans la grâce est une lumière.

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