Du bord de mon navire, les regards attachés sur l’étoile du soir, je lui demandais des vents pour cingler plus vite, de la gloire pour me faire aimer. […] Puis le soir (n’allant jamais dans le monde), il rentrait au logis en puissance de Mme de Chateaubriand, laquelle alors avait son tour, et qui le faisait dîner avec de vieux royalistes, avec des prédicateurs, des évêques et des archevêques : il redevenait l’auteur du Génie du christianisme jusqu’à nouvel ordre, c’est-à-dire jusqu’au lendemain matin. Le soleil se levait plus beau ; il remettait la fleur à sa boutonnière, sortait par la porte de derrière de son enclos, et retrouvait joie, liberté, insouciance, coquetterie, désir de conquête, certitude de vaincre, de une heure jusqu’à six heures du soir.
Mme des Ursins s’appelait alors à Paris Mme de Bracciano, elle y venait quelquefois, y faisait d’assez longs séjours ; elle y donnait de petits bals, qui finissaient à dix heures du soir, pour les héritières à marier. […] Dites-lui, je vous supplie, que c’est moi qui ai l’honneur de prendre la robe de chambre du roi d’Espagne lorsqu’il se met au lit, et de la lui donner avec ses pantoufles, quand il se lève, jusque-là je prendrais patience ; mais que tous les soirs, quand le roi entre chez la reine pour se coucher, le comte de Benavente (le grand chambellan) me charge de l’épée de Sa Majesté, d’un pot de chambre, et d’une lampe que je renverse ordinairement sur mes habits, cela est trop grotesque. […] Dans les bals de Marly, elle paraissait haute, aisée, familière, lorgnant un chacun de sa lorgnette ; à l’un de ces bals, elle tenait un petit épagneul sous le bras, comme si elle eût été chez elle, et (ce qui fut encore plus remarqué) le roi caressa le petit chien à plusieurs reprises, quand il se retournait vers elle pour l’entretenir, et il le fit presque tout le soir.
On peut facilement jouir d’une représentation modeste de cet art antique et « intégral », un soir, dans une rue calme du vieux Paris. […] M. de Régnier a parfois reçu aussi sa visite secrète et il lui est arrivé, croyant faire des vers libres, de tracer le dessin vague de la strophe de Malherbe et de Lamartine, à condition que l’on ne compte pas certains e muets : A la fontaine où l’eau goutte à goutte pleurait | Avant l’aube et que vinssent les filles de la plaine, | A l’heure où pâlissent les étoiles, | à la fontaine, | Y laver leurs pièces de toiles | et encore : De la maison où l’âtre en cendre | croûle en décombres ; | Ferme la porte | et que la paix du soir apporte | Son ombre sur ton ombre Et les soirs | apaisés ou tragiques ou calmes | Se reflétaient avec mon âme, | en ton miroir | (Poèmes.)