Il y a dans l’art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature, celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au-delà, a le goût défectueux. […] Bien des gens vont jusques à sentir le mérite d’un manuscrit qu’on leur lit, qui ne peuvent se déclarer en sa faveur, jusques à ce qu’ils aient vu le cours qu’il aura dans le monde par l’impression, ou quel sera son sort parmi les habiles : ils ne hasardent point leurs suffrages, et ils veulent être portés par la foule et entraînés par la multitude. […] Un bel ouvrage tombe entre leurs mains, c’est un premier ouvrage, l’auteur ne s’est pas encore fait un grand nom, il n’a rien qui prévienne en sa faveur, il ne s’agit point de faire sa cour ou de flatter les grands en applaudissant à ses écrits ; on ne vous demande pas, Zélotes , de vous récrier, C’est un chef-d’œuvre de l’esprit ; l’humanité ne va pas plus loin : c’est jusqu’où la parole humaine peut s’élever : on ne jugera à l’avenir du goût de quelqu’un qu’à proportion qu’il en aura pour cette pièce ; phrases outrées, dégoûtantes, qui sentent la pension ou l’abbaye, nuisibles à cela même qui est louable et qu’on veut louer : que ne disiez-vous seulement, Voilà un bon livre ; vous le dites, il est vrai, avec toute la France, avec les étrangers comme avec vos compatriotes, quand il est imprimé par toute l’Europe et qu’il est traduit en plusieurs langues ; il n’est plus temps. […] Elle est plus grande dans un ris immodéré que dans la plus amère douleur, et l’on détourne son visage pour rire comme pour pleurer en la présence des grands, et de tous ceux que l’on respecte : Est-ce une peine que l’on sent à laisser voir que l’on est tendre, et à marquer quelque faiblesse, surtout en un sujet faux, et dont il semble que l’on soit la dupe ? […] Il faut éviter le style vain et puéril, de peur de ressembler à Dorilas et Handburg : l’on peut au contraire en une sorte d’écrits hasarder de certaines expressions, user de termes transposés et qui peignent vivement ; et plaindre ceux qui ne sentent pas le plaisir qu’il y a à s’en servir ou à les entendre.
On dit que la femme aux bras tendus a le bras droit trop court, qu’elle belute et qu’on n’en sent pas le racourci. […] Vien dessine bien, peint bien ; mais il ne pense ni ne sent. […] S’il y a des trous, l’affoiblissement de la lumière les fera sentir. […] On sent mieux un forcené qui se déchire le flanc de ses propres mains, que la simplicité, la noblesse, la vérité, la grâce d’une grande figure qui écoute en silence. […] Maître Vien, est-ce que vous n’auriez pas dû sentir que le Caesar devoit être isolé, et que ce bavard épisodique détruit tout le sublime du moment.
Il se gonfle, il bouillone, il renverse, il franchit sa barrière, il s’étend : c’est une mer qui tombe dans un gouffre profond. " vous avez senti la beauté de l’image qui n’est rien. C’est le rythme qui est tout ici ; c’est la magie prosodique de ce coin du tableau que vous ne sentirez peut-être jamais. […] Toutefois sans la facilité de trouver ce chant, cette espèce de musique, on n’écrit ni en vers ni en prose : je doute même qu’on parle bien ; sans l’habitude de la sentir ou de la rendre, on ne sait pas lire ; et qui est-ce qui sait lire ? […] Si vous voulez bien savoir ce que c’est que papilloter en grand, arrêtez-vous un moment encore devant le combat de mer, et vous sentirez votre œil successivement attiré par différens objets séparément très-lumineux, sans avoir le temps de s’arrêter, de se reposer sur aucun. […] Avec cela c’est un furieux garçon et qui n’en restera pas où il en est, surtout si en s’assujettissant un peu plus à l’étude du vrai, ses compositions viennent à perdre je ne sais quoi de romanesque et de faux qu’on y sent plus aisément qu’on ne le peut dire.