Il y a deux sens au mot décadent, et le premier seul me semble plausible. […] Si le Moïse de Chateaubriand est une œuvre de Décadent, ses Mémoires d’outre-tombe sont une œuvre de Décadence, au second sens du mot. […] J’emprunte à l’écrivain déjà cité la définition du sens et de la portée de cet Idéalisme « Une vérité nouvelle est entrée récemment, dans la littérature, nous dit-il, et dans l’art, et c’est une vérité toute métaphysique et vraiment neuve puisqu’elle n’avait pas encore servi dans l’ordre esthétique. […] La raison en est qu’il porte son sens en lui, non pas d’une façon apparente, mais d’une manière secrète, de même que l’arbre porte en sa graine le fruit qui en naîtra. […] Ils en cherchèrent la signification permanente et le sens idéal ; où les uns virent des contes et des fables, les autres virent des symboles.
La fable de Prométhée n’a pas d’autre sens : les conquêtes de la civilisation présentées comme un attentat, comme un rapt illicite à une divinité jalouse, qui voulait se les réserver. […] Il me semble aussi difficile de comprendre le vrai point de vue de la science sans avoir étudié ces savants primitifs que d’avoir le haut sens de la poésie sans avoir étudié les poésies primitives. […] Sans doute l’homme produit en un sens tout ce qui sort de sa nature ; il y dépense de son activité, il fournit la force brute qui amène le résultat ; mais la direction ne lui appartient pas ; il fournit la matière ; mais la forme vient d’en haut ; le véritable auteur est cette force vive et vraiment divine que recèlent les facultés humaines, qui n’est ni la convention, ni le calcul, qui produit son effet d’elle-même et par sa propre tension. […] Retenez bien au moins que les théories du progrès sont inconciliables avec la vieille théodicée, qu’elles n’ont de sens qu’en attribuant à l’esprit humain une action divine, en admettant en un mot comme puissance primordiale dans le monde le pouvoir réformateur de l’esprit. […] J’ajouterai que le panthéisme ne paraît si absurde à la plupart que parce qu’ils ne le comprennent pas et parce qu’ils entendent le principe : Tout est Dieu, dans un sens distributif, et non dans un collectif.
Mais il ne suffit pas de constater vaguement le mouvement qui emporte la société dans l’un ou dans l’autre sens. […] Voltaire disait109 : « Si Dieu nous a faits à son image, nous le lui avons bien rendu ». — Et, en effet, non seulement chaque civilisation, chaque siècle, se représente Dieu à sa façon et le modèle d’après son idéal ; non seulement on peut répéter en ce sens, après Renan : — Dieu n’est pas ; il devient ― ; mais encore le Dieu des catholiques, si bien défini qu’il paraisse par la théologie orthodoxe, s’est incessamment modifié. […] Force neutre et flexible, qu’on peut ployer en tous les sens, elle est aussi bonne ouvrière de restauration que de démolition. […] Il faut relever le caractère spécial qu’a revêtu alors le catholicisme ; quelle secte, quel ordre y dominait ; quel saint, quel grand homme du passé y était pris pour modèle ; quelle face du dogme y était exposée en plein jour et quelle laissée dans l’ombre ; si la première place y était donnée à l’Ancien ou au Nouveau Testament ; s’il s’adressait de préférence au peuple ou bien à telle ou telle classe privilégiée ; s’il voulait parler à la raison, au cœur, à l’imagination, aux sens ; quels étaient les ; sujets de controverse où il se complaisait, etc. Il faut regarder de près l’organisation de l’Église ; savoir si elle fut gallicane ou ultramontaine ; en quel sens le pape la poussa ; quels furent ses rapports avec l’État, sa richesse, ses moyens d’action ; quelle part elle eut dans l’éducation de la jeunesse en général et des écrivains du temps en particulier.