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374. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Il marqua dans son prospectus, qu’« en réduisant sous la forme de dictionnaire tout ce qui concerne les sciences et les arts, il s’agissait de faire sentir les secours mutuels qu’ils se prêtent, d’user de ces secours pour en rendre les principes plus sûrs et leurs conséquences plus claires ; d’indiquer les liaisons éloignées ou prochaines des êtres qui composent la nature, et qui ont occupé les hommes, … de former un tableau général des efforts de l’esprit humain dans tous les genres et dans tous les siècles ». […] N’ayant point encore une grande notoriété, il s’associa un mathématicien déjà illustre, membre de l’Académie des sciences, Dalembert, qui, dans une Préface fameuse et, en somme, médiocre, donna une classification des sciences, avec une vue d’ensemble de leur genèse successive et de leurs principaux progrès. […] Par lui, l’Encyclopédie resta ce qu’il l’avait destinée à être : un tableau de toutes les connaissances humaines, qui mit en lumière la puissance et les progrès de la raison ; une apothéose de la civilisation, et des sciences, arts, industries, qui améliorent la condition intellectuelle et matérielle de l’humanité, ce fut une irrésistible machine dressée contre l’esprit, les croyances, es institutions du passé. […] Condillac n’enseigne point à observer les faits, base de la science ; il n’indique pas les moyens de les vérifier, de les interpréter. […] L’abbé de Mably, frère de Condillac, eut une influence limitée, mais sérieuse et durable : il s’était attaché aux sciences sociales et politiques ; dépassant Rousseau qu’il avait devancé, il développe hardiment des théories communistes.

375. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre IV. L’heure présente (1874) — Chapitre unique. La littérature qui se fait »

La science n’a pas tenu toutes ses promesses, sauf aux savants : je veux dire qu’elle n’a pas réalisé les illusions téméraires du vulgaire, qui n’en savait pas exactement la puissance. […] Aussi de curieuses tendances s’indiquent-elles dans la jeunesse : après plusieurs générations de savants et de struggle-for-lifers, nous avons vu paraître des générations en qui le culte de la science n’est pas amoindri sans doute, et qui ne professent pas non plus le hautain renoncement, mais qui ont enfin, au moins dans l’imagination, par saillies d’intention, par bouffées de bonne volonté, la religion de la morale. […] Les uns vont se satisfaire aux confins de la science, dans les phénomènes anormaux, d’apparence irrationnelle, insuffisamment expliqués ou établis : hallucinations, hypnotisme, maladies de la personnalité, télépathie, etc. […] — les sciences occultes, astrologie, magie. […] Dès aujourd’hui, c’est fait de la littérature scientifique, dérision et parodie de la science : il ne peut naître qu’une littérature artistique.

376. (1889) Méthode évolutive-instrumentiste d’une poésie rationnelle

* * * La Science qui tue la poésie de rêverie (celle-là seule, car celle qui se lève l’appelle au contraire et prend en elle son principe rationnel), la Science et son positivisme n’avaient étreint les fronts encore pour le doute fécond, et tout naturellement la Poésie s’accommodait-elle des songeries des philosophes prioristes ne gênant ses religiosités, ou le plus souvent les ignorait-elle même : et le bonheur de vivre, troublé de seules mélancolies d’amour, s’épanchait aux mots sonores, et la douceur des légendes des cultes était en tout poème, en tout cantique d’amour. Après l’époque sanglante et de mutisme de la Révolution, plus haut chantèrent cette liesse et ces vœux, étouffant ce que de menaçant avait murmuré naguère cette Science naissante. […] S’il fut de cette école, une plus large fatalité de refléter tout ce qui l’environne, d’accaparer inconsciemment toutes les tendances a fait de lui (c’est sa personnalité, si l’on veut) un candide et très sérieux incohérent : symboliste par Mallarmé, impressionniste par sa fréquentation des peintres pointillistes, scientifique, philosophique, et même teinté du socialisme puéril qui court les rues, lorsque s’avérèrent scientifiquement mes Théories de philosophie et d’art, et aussi parce qu’un de ses amis s’occupe de sciences transcendantes — en même temps qu’il est pénétré inéluctablement de son hérédité sémite compliquant encore l’hétérogénéité, Il arrive enfin, après de prolixes et diffus articles, à cette déclaration éminemment neuve que le Rythme est en tout, à cette erreur scientifique que tout est cyclique, — et pour œuvre, il donna ce livre, les Palais nomades, qui trahit ses velléités de lui donner un lien méthodique, et où ce moderniste à outrance fait à chaque page surgir des souvenirs de Palestines et des Tribus, de Babylones et d’Afriques, parmi des gestes de Mages : et, pour le développement des Rythmes, en pressant les images en chaos et les mots et les phrases sans nul effet à satiété répétés, simplement il allongeait ou raccourcissait extraordinairement l’alexandrin, dont il a sainte horreur pour n’en comprendre pas la mathématique savante. […] Paul Verlaine qui très heureusement parfois et avec sagesse et science en ses premiers volumes la fit triompher — mais surtout, à cause de l’emploi quand même et irréfléchi, par deux poètes l’un mort l’autre disparu, qui (à part de leurs productions quelques poèmes d’allure remarquable) furent les maîtres certainement, de ce genre fumiste à l’heure actuelle si florissant en ceux qui s’honorent de porter le titre de Décadents : Tristan Corbière et Arthur Rimbaud. […] Mais la vie intellectuelle, il me semble, s’activera demain, et les années plus vite se rempliront, et ce n’est pas en vain que mon rêve prend forme en la science… Et qu’importe : j’ai le temps, et mon temps viendra.

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