Je ne sais s’il y a aucun obstacle qui s’oppose autant au progrès, quand on essaye d’apprendre à penser et à écrire. […] Soit qu’on ne sache pas faire usage des mots qu’on connaît, soit qu’on n’ait pas les mots eux-mêmes à sa disposition, on se laisse aller à croire que la langue ne peut pas rendre ce qu’on ne sait pas lui faire dire, et l’on crée des tours de phrases et des termes pour le besoin de sa pensée. […] Et d’abord, pour ce qui est de la forme des phrases et des lois qui président au groupement des mots, on ne saurait trop respecter la grammaire. […] Ce style plaît, et touche fortement, parce qu’il est à la mode, et parce qu’on sort à peine de la grande rhétorique, des périodes artistement combinées, majestueusement développées, de la phrase ample et oratoire que Rousseau et Chateaubriand avaient su plier à l’expression du pathétique et du pittoresque, et que les plus illustres romantiques ont si adroitement, si puissamment maniée. Il viendra peut-être un jour où nous serons si ignorants de la syntaxe et de la rhétorique, si blasés sur tous les effets du style disloqué et de la phrase impressionniste, qu’un écrivain qui reviendra à la stricte observance des lois grammaticales, qui s’avisera de faire suivre un sujet de son verbe et le verbe de son complément, qui saura employer d’autres temps que l’imparfait, qui donnera un régime direct aux verbes actifs, indirect aux intransitifs, qui se servira des conjonctions et des relatifs, qui renverra les participes et les prépositions à leur ancien office, cet écrivain-là, honnête disciple de Dumarsais et de Marmontel, charmera tout le public par l’éclatante originalité de sa tentative.
Mais ce qui m’étonne, c’est que vous ayez su garder, dans une telle adversité, cet air de contentement qui paraît sur votre visage. […] Mais, pour avoir accompli trop brusquement ce grand acte de justice, je mis dans l’embarras beaucoup de propriétaires ; et la plupart des esclaves affranchis ne surent que faire de leur liberté inopinée. […] Peut-être se passait-il jadis, avant le règne de la presse, tout autant de choses étranges dans les palais des misérables porte-sceptre : mais on le savait moins. […] Et ils le savent eux aussi ; ils se l’avouent plus pleinement que ne faisaient les souverains d’autrefois. […] Qui saura jamais ce qui s’est passé dans l’esprit de l’archiduc Jean ?
Qui sait ? […] telle est — qu’il le sache ou bien qu’il l’ignore — la tendance du livre de Feugère. Ce livre, dont le but était simplement littéraire, incline, par le fait, à une conclusion philosophique que l’auteur semble avoir redoutée, mais qu’il ne saurait éviter. […] Il est évident, en effet, pour tous ceux qui savent mesurer la portée d’un livre à travers les précautions qui l’enveloppent ou le scepticisme qui l’énerve, qu’on peut déduire de la vie d’Henri Estienne des conclusions qui ne sont peut-être pas dans la pensée de son biographe, mais qui, pour n’en avoir pas été nettement et explicitement rejetées, doivent se retourner contre lui. […] Là où il fallait plonger la main dans les entrailles d’une époque qui se convulsait sous l’influence de doctrines nouvelles et puissantes, il n’a su mettre qu’un doigt curieux entre les pages de ces livres que l’on commençait d’éditer alors, on dirait presque avec fureur.