Nous ne savons pas de noms plus justement connus dans les annales de la psychologie contemporaine que les noms de Maine de Biran, Jouffroy, Damiron, Garnier et d’autres encore portés par des philosophes vivants. […] Du moment que tout problème psychologique se réduit à constater la relation des phénomènes entre eux et à en dégager une loi, il n’y a plus qu’une chose qui intéresse la science, à savoir si et comment ces phénomènes s’associent dans leur succession ou leur concomitance. […] Néanmoins, de ce que cette origine est possible, on ne saurait conclure qu’elle est véritablement celle des phénomènes dont nous venons de parler, à moins toutefois qu’elle ne puisse être expérimentalement démontrée16. » S’agit-il d’expliquer la notion de cause et le principe de causalité ? […] Réduits à l’expérience, nous ne savons que ceci : il y a fréquemment coexistence ou suite entre les phénomènes. […] Malgré tous les efforts de la logique, cette notion réelle de cause ne saurait jamais se confondre avec aucune idée de succession expérimentale ou de liaison quelconque des phénomènes. » Voilà pourquoi Maine de Biran répétait si souvent et avec tant d’énergie que la méthode de Bacon égare et fausse la véritable science de l’homme22.
On sait quelle trace lumineuse, et non effacée encore, il a laissée dans cette marche rapide à travers les diverses phases de cette grande et terrible époque. […] Nous assistons pour la première fois, dans le plus parfait détail, à ce que des particuliers (comme on disait autrefois) n’auraient jamais eu chance autrement de savoir, au secret des conseils, des négociations, à l’intimité des entretiens souverains, à la succession des pensées agitées sous la tente de César ou au chevet d’Alexandre. […] C’est une grande délicatesse à un historien d’être ainsi sensible aux premiers symptômes des temps, et, en y étant sensible, de savoir les rendre avec cette vivacité, avec cet atticisme. […] Le retour de l’île d’Elbe, les préparatifs de la campagne de 1815, et cette fatale journée de Waterloo dont il reste à dégager du moins la gloire lugubre, et sur laquelle nous croyons savoir qu’entre les partis contradictoires M.
J’ai là devant moi quantité de numéros de la Presse, renfermant des articles de lui, dont je voulais me souvenir, et sur l’un de ces numéros j’ai écrit : « Voici de ces jolies choses, dites en courant, que je crains que Saint-Victor ne conserve pas et ne recueille pas dans les volumes d’articles revus qu’il prépare ; il s’agit de je ne sais quelle petite pièce à couplets : « Ces chansons du vieux temps, Mlle Déjazet les dit de sa petite voix grêle et fine de cigale anacréontique ivre de rosée. — « Tu ne subis point la vieillesse », — dit à la cigale le poëte de Téos, — « frêle enfant de la terre, toi qui aimes les chansons. » Et dans un autre feuilleton encore : « Les rides, si jamais elles viennent, iront à sa petite figure spirituelle et impertinente comme les craquelures à la porcelaine. » Ces charmants hasards de plume valent pour moi de plus grands traits, et je ne veux pas que le feuilleton, sous prétexte qu’il devient livre et qu’il se fait plus grave, me les ôte et me les supprime. […] Je ne sais qui a dit : « Saint-Victor a une coupe d’or : tout ce qu’il y verse devient brillant. » Sa plume encore est comme une épée qui n’est pas faite pour les humbles besognes de chaque jour : il lui faut à tout coup un exploit. […] On l’a encore appelé « le Vénitien du feuilleton », ou « le Don Juan de la phrase. » Mais n’allez pas là-dessus vous figurer que, parce qu’il a cette qualité dominante qui frappe d’abord, il ne soit pas un critique, qu’il n’ait pas un jugement, surtout un sentiment vif d’attrait ou d’aversion, et qu’il sait très-bien rendre sans marchander. […] Il avait vu de trop près la politique ; il l’avait touchée et maniée dans ses secrets ressorts, il en savait les vanités, les corruptions et les turpitudes ; désappointé et désabusé, il passa les dernières années de sa vie dans une sorte d’exil, sevré du commerce des amis qui lui étaient chers.