Quoiqu’il n’ait pas eu à se plaindre de la destinée autant que bien d’autres, plus grands que leur vie, qui passent lentement, qui passent longtemps, qui vieillissent, leur chef-d’œuvre à la main, sans que les hommes, ces atroces distraits, ces Ménalques de l’égoïsme et de la sottise, daignent leur aumôner un regard ; quoique son sort, matériellement heureux, n’ait ressemblé en rien à celui, par exemple, du plus pur artiste qu’on ait vu depuis André Chénier, de cet Hégésippe Moreau qui a tendu à toute son époque cette divine corbeille de myosotis entrelacés par ses mains athéniennes, comme une sébile de fleurs mouillées de larmes, sans qu’il y soit jamais rien tombé que les siennes et les gouttes du sang de son cœur, Beyle, de son vivant, n’eut pas non plus la part qui revenait aux mérites de sa pensée. […] Ce grand linguiste, qui aimait la langue française comme on aime une personne, et qui, dans les moules vidés de Rabelais, de Montaigne, de Régnier, versait son jeune sang tout bouillant de génie et transfusait sa sève inspirée ; cet artiste désintéressé de tout, excepté de la Beauté possible, de la Beauté cherchée, après laquelle il courait, un flambeau dans la main, comme le Coureur antique, eut la douleur de voir sa perle roulée dans un oubli qui est la fange pour les œuvres de l’esprit humain, sous l’ignoble groin des pourceaux.
Illuminés d’enthousiasme ; hommes de parti enlevants d’éloquence dans des camps opposés ; natures bouillonnantes qui dégorgent incessamment comme la bouche d’un fleuve, soit des pensées, soit des images ; espèces de Pythonisses de leur propre esprit ; passionnés dans leur âme et passionnés dans leur sang que l’Imagination fouette incessamment de ses mille dards enflammés, ils ont les mêmes audaces d’expression et ils se ressemblent jusque dans leur originalité… La seule différence qu’il y ait entre eux, c’est que Diderot l’athée ne fut jamais qu’un athée. […] Brucker a le dessein de refondre Les Intimes comme il a refondu Le Maçon, et d’infuser dans ce cadavre brûlant le sang divin de la morale éternelle.
Comme le docteur Faust, Pascal n’avait vécu que pour ses recherches, ses découvertes ; patiemment il avait dressé l’Arbre généalogique des Rougon-Macquart dont le sang était le sien. […] Et je m’apercevais qu’elle lui tendait le mouchoir de la nuit, plein de sang, et que ses maigres mains cherchaient à cacher. […] Mais, comme l’a dit un vieux marin : « C’est dans le sang ! […] Séverine croit très sincèrement à l’idéal que nous nous forgions de la République, alors que nous étions au collège : non pas une femme rébarbative, avinée, le couteau à la main, vêtue de haillons, les pieds dans le sang, appelant au pillage et hurlant : À bas la patrie ! […] Pourquoi, elle qui a l’horreur du sang, a-t-elle intitulé Pages rouges ces pages où se trouvent, en même temps que l’amour de l’humanité, celui de la patrie et de la vérité ?