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403. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

. — « Les princes français, dit encore une dame contemporaine, meurent de peur de manquer de grâces225. » Jusques autour du trône, « le ton est libre, enjoué », et, sous le sourire de la jeune reine, la cour sérieuse et disciplinée de Louis XVI se trouve à la fin du siècle le plus engageant et le plus gai des salons. […] Necker, ayant donné un souper splendide avec opéra sérieux et opéra bouffon, « il se trouve que cette fête lui a valu plus de crédit, de faveur et de stabilité que toutes ses opérations financières… On n’a parlé qu’un jour de sa dernière disposition concernant le vingtième, tandis qu’on parle encore en ce moment de la fête qu’il a donnée, et qu’à Paris comme à Versailles on en détaille tous les agréments, et que l’on dit tout haut : Ce sont des gens admirables que M. et Mme Necker, ils sont délicieux pour la société228 ». […] Vers le milieu du siècle, le mari et la femme logeaient dans le même hôtel ; mais c’était tout. « Jamais ils ne se voyaient, jamais on ne les rencontrait dans la même voiture, jamais on ne les trouvait dans la même maison, ni, à plus forte raison, réunis dans un lieu public. » Un sentiment profond eût semblé bizarre et même « ridicule », en tout cas inconvenant : il eût choqué comme un a parte sérieux dans le courant général de la conversation légère. […] Le comte de Clermont tient les rôles « à manteaux sérieux » ; le duc d’Orléans représente avec rondeur et naturel les paysans et les financiers ; M. de Miromesnil, garde des sceaux, est le Scapin le plus fin et le plus délié ; M. de Vaudreuil semble un rival de Molé ; le comte de Pons joue le Misanthrope avec une perfection rare292. « Plus de dix de nos femmes du grand monde, écrit le prince de Ligne, jouent et chantent mieux que tout ce que j’ai vu de mieux sur tous nos théâtres. » — Par leur talent, jugez de leurs études, de leur assiduité et de leur zèle ; il est évident que, pour beaucoup d’entre eux, cette occupation était la principale. […] Sous sa pression, comme sous le doigt d’un sculpteur, le masque du siècle se transforme par degrés et perd insensiblement son sérieux : la figure compassée du courtisan devient d’abord la physionomie enjouée du mondain ; puis, sur cette bouche souriante dont les contours s’altèrent, on voit éclater le rire effronté et débridé du gamin296.

404. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

La prière et la méditation, auxquelles il consacrait ses matinées, répandaient une ombre de recueillement et de concentration d’esprit sur ses traits ; mais le sérieux et l’enjouement étaient fondus à doses si égales dans sa nature que l’on voyait toujours le rire éclatant prêt à trahir la gravité sur ses lèvres. […] Ce livre, répandu comme un secret parmi l’émigration, fit du gentilhomme savoyard le favori sérieux de la contre-révolution, des camps et des cours. […] La Sardaigne anéantie et ruinée ne pouvait avoir une diplomatie sérieuse en Europe ; un peu d’intrigue et quelques supplications aux grandes cours étaient sa seule politique. […] Il y était gracieux, enjoué, souple, éloquent, étrange et sérieux à la fois. […] Quelques-uns de ces commérages sont peu dignes d’une plume sérieuse.

405. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

* * * — J’ai remarqué que les intrigants ont une manière de masque : une plaisanterie éternelle, sous laquelle ils se dérobent, ne se laissent jamais trouver et ne donnent jamais du sérieux ni du fond de leur pensée : des Machiavel de la blague, quoi ! […] L’argent sort tout chaud de la femme, qui le suit d’un regret fauve, et pendant que le visage du fils prend un sérieux consterné, l’émotion de l’argent sortant à jamais du sac, tressaille dans les lobes des grandes oreilles du père. […] * * * — Nous avons passé le contrat de l’achat de notre maison, et cette grosse affaire pour le vendeur et l’acheteur nous donne la mesure du peu de sérieux, avec lequel se traitent les affaires les plus sérieuses de la vie. […] C’est alors qu’il passe à un morceau d’éclat sur les Muses, oui les Muses avec une grande lettre, où il dit qu’elles méprisent ceux qui passent leur vie à leurs genoux, et que les faveurs les plus sérieuses sont réservées au mortel courageux, qui, en allant à son travail, les salue avec un mâle amour.

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