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23. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Martial a très-bien remarqué qu’il y a ainsi deux sortes d’œuvres : celles qui font grand honneur par la gravité des sujets et par la solennité des genres, celles-là on les estime, on les admire ; les autres, réputées moins sérieuses, on les lit : Illa tamen laudant omnes, mirantur, adorant. […] « Il paroît d’abord trop sérieux et trop réservé, mais après il s’égaye insensiblement ; et qui peut essuyer ce premier froid s’accommode assez de lui dans la suite. […] Remarquez que, dans ces Mémoires, toutes les fois que Fléchier veut entrer dans quelque développement prolongé sur les divers chapitres plus ou moins sérieux et les tracasseries de la province, il introduit un personnage et se fait raconter la chose en prêtant à l’interlocuteur toutes ses finesses et ses élégances, et en lui laissant pourtant des traits particuliers de physionomie. […] Ce volume de Fléchier sera désormais un document précieux pour l’historien, et lui-même, esprit sérieux sous ses grâces, il a eu l’honneur de ne pas rester étranger à ce que nous appellerions la pensée administrative et politique qu’on en peut tirer. […] Mais j’aime mieux finir par la conclusion sérieuse, qu’il est impossible d’éluder en fermant ce livre : c’est que, s’il faisait beau écrire et parler comme chez M. de Caumartin au xviie  siècle, il fait bon de vivre au xixe , sous nos lois, sans Grands-Jours, sous notre Code civil et notre régime d’égalité, même lorsqu’on est gentilhomme comme lorsqu’on ne l’est pas.

24. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Est-ce parce que les directeurs de journaux ont le sentiment de la déchéance de la critique comme « genre » littéraire, qu’ils lui refusent la place — ou bien est-ce à cause de ce refus que la critique ne forme plus d’adeptes sérieux ? […] Restent les revues, seules sauvegardes des lettres françaises, seuls lieux courtois où l’écrivain soit traité à son mérite, avec de la place pour exposer ses idées, un public sérieux et capable de relire ; mais s’il est aisé de parler tout à son gré d’un auteur, dans les revues, il n’est pas moins vrai de constater que la critique littéraire y est également réduite au minimum. […] Brunetière, qui est fort honnête et fort sérieux, est profondément convaincu de la légitimité de sa profession, et même de sa mission. […] La critique impressionniste est le commencent de la fin pour la critique : et il n’y a que les médiocres, intermédiaires entre la réclame payée et les lettrés sérieux, qui se croient investis d’un pouvoir, tapagent dans des syndicats et des cercles, parlent très haut de leurs droits, et mettent à prix leurs indulgences. […] Bourget devra peut-être à ses Essais la plus sérieuse part de l’estime que lui garderont les vrais lettrés.

25. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Grosclaude. »

Et maintenant, abordons ces Gaietés avec tout le sérieux qui convient. […] Renan et d’autres sages, que « le monde n’est peut-être pas quelque chose de bien sérieux ». […] Il part là-dessus avec une gravité de membre de l’Académie de médecine écrivant un rapport : « Une curieuse épidémie sévit depuis quelque temps sur les billets de cinq cents francs ; ils ne meurent pas tous, mais tous sont frappés d’un vague discrédit  Le symptôme pathognomonique de la maladie est un épaississement accentué des tissus, avec complication de troubles dans le filigrane, etc… » Ou encore : « On vient de découvrir l’antisarcine ; comme son nom l’indique, ce médicament est destiné à combattre les effets du Francisque Sarcey qui sévit avec une si cruelle intensité sur la bourgeoisie moyenne. » Et alors il fait l’historique de la découverte ; il raconte que les études sur le virus sarcéyen ont démontré l’existence d’un microbe spécial qui a reçu le nom de Bacillus scenafairus (bacille de la scène à faire) ; que les premiers microbes ont été recueillis dans la bave d’un abonné du Temps, un malheureux qui « jetait du Scribe par les narines et délirait sur des airs du Caveau… et que son teint blafard (et Fulgence) désignait clairement comme un homme épris des choses du théâtre » ; que ces bacilles ont été recueillis, cultivés dans les « bouillons » du Temps et de la France, etc… Ce qui double encore l’effet de ces méthodiques extravagances, c’est le style, qui est d’un sérieux, d’une tenue et d’une impersonnalité effrayantes. […] Grévy, et nous montre M. de Freycinet s’apprêtant à découper le gâteau : « M. de Freycinet, dit-il, avec cette gravité qu’il apporte même aux choses sérieuses… » Cette simple phrase, remarquez-le, est un puits de profondeur, puisqu’on y suppose couramment admise une pensée qui passe elle-même pour surprenante et profonde, à savoir que c’est aux choses futiles que nous apportons le plus de gravité… N’ai-je pas raison de conclure que le délire de Grosclaude est le délire d’un sage ?

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