On trouvait tout simple que le parlement, une cour instituée pour protéger l’autorité des testaments, eût cassé celui d’un roi. […] Le parlement avait cassé le testament du grand roi, l’opinion cassait le règne tout entier. […] Il avait aussi à se rendre libre des ménagements que lui imposait envers l’Europe, toujours animée contre le nom du grand roi, l’accueil qu’on y faisait à ses écrits. […] Du côté du roi, un goût très vif pour les lettres, une admiration vraie pour Voltaire, le besoin d’une main à la fois exercée et discrète pour corriger ses vers ; du côté de Voltaire, la vanité chatouillée par un commerce d’esprit avec un roi et un grand homme : tels étaient les attraits, non les liens, qui firent de ces deux hommes deux amis de tête, et de Voltaire le commensal de Frédéric à Berlin. […] L’amitié se renoua pourtant : superbe du côté du roi comme envers un sujet rentré en grâce, flatteuse chez Voltaire, qui accepte la condition de ne pas revenir sur le passé et de garder le soufflet du roi.
Voltaire a commencé l’un de ses chants par ces vers bien connus : Si j’étais roi, je voudrais être juste. […] Pour un moment, je suis roi de la terre ; Tremble, méchant, ton bonheur va finir ! […] je ne suis pas roi ! […] Juger un roi comme un citoyen, cela étonnera la postérité froide. […] Une loi est un rapport de justice : quel rapport de justice y a-t-il donc entre l’humanité et les rois ?
Il voit les avantages agréables dont il jouit présentement, « les privilèges de la noblesse en France, sa liberté, la familiarité dont le roi use envers elle, au lieu de la superstitieuse révérence que les Anglais rendent à leur roi », toutes choses qui étaient bien faites pour séduire un esprit même aussi solide que celui du jeune Rohan. […] Il servait en cette qualité en 1610, et il était l’un des principaux dans l’armée où l’on attendait Henri IV pour sa grande et mystérieuse entreprise dont, selon toute apparence, le siège de Juliers ne devait être que le signal : la plus brillante et la plus noble carrière s’ouvrait devant lui ; il avait trente et un ans, lorsque le coup de couteau de Ravaillac, en ôtant à la France un grand roi, enleva à tous les généreux courages leur vrai guide. […] Je plains la plus belle et glorieuse entreprise dont on ait jamais ouï parler… occasion que je ne verrai jamais, pour le moins sous un si grand capitaine, ni avec tant de désir d’y servir et d’y apprendre mon métier… N’est-ce pas à moi un assez grand sujet de plaindre la seule occasion qui m’était jamais arrivée de témoigner à mon roi (mais, ô Dieu, à quel roi !) […] Rohan ne passa point le reste de sa vie à pleurer et à, soupirer, ni même à servir inviolablement, comme il en faisait voeu en terminant cet écrit, la France, le jeune roi et sa mère. […] Ces deux discours sont fort bons, mais ils ont plus de relief que les actions qui s’y rattachent : Je serais ennemi de moi-même, dit M. de Rohan à Luynes, si je ne souhaitais les bonnes grâces de mon roi et votre amitié.