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441. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Cette vie, la voilà, telle qu’il me la conte, la coupant, à tout moment, de petits rires silencieux, un peu extravagants. […] ……………………………………………………………………………………………………… Des vers de Molière, la conversation, remonte à Aristophane, et Tourguéneff, laissant éclater tout son enthousiasme pour ce père du rire, et pour cette faculté qu’il place si haut, et qu’il n’accorde qu’à deux ou trois hommes dans l’humanité, s’écrie avec des lèvres humides de désir : « Pensez-vous, si l’on retrouvait la pièce perdue de Cratinus, la pièce jugée supérieure à celle d’Aristophane, la pièce considérée par les Grecs comme le chef-d’œuvre du comique, enfin la pièce de La Bouteille, faite par ce vieil ivrogne d’Athènes… pour moi, je ne sais pas ce que je donnerais… non je ne sais pas, je crois bien que je donnerais tout. » Au sortir de table, Théo s’affale sur un divan, en disant : « Au fond, rien ne m’intéresse plus… il me semble que je ne suis plus un contemporain… je suis tout disposé à parler de moi, à la troisième personne, avec les aoristes des prétérits trépassés… j’ai comme le sentiment d’être déjà mort… — Moi, reprend Tourguéneff, c’est un autre sentiment… Vous savez, quelquefois, il y a, dans un appartement une imperceptible odeur de musc, qu’on ne peut chasser, faire disparaître… Eh bien, il y a, autour de moi, comme une odeur de mort, de néant, de dissolution. » Il ajoute, après un silence : « L’explication de cela, je crois la trouver dans un fait, dans l’impuissance maintenant absolue d’aimer, je n’en suis plus capable, alors vous comprenez… c’est la mort. » Et comme, Flaubert et moi, contestons pour des lettrés, l’importance de l’amour, le romancier russe s’écrie, dans un geste qui laisse tomber ses bras à terre : « Moi, ma vie est saturée de féminilité. […] » Impossible de vous rendre le comique de la parole et de l’intonation, je me tordais les côtes de rire, pendant que le pauvre diable me racontait son ulcère. […] J’entends la voix de Hugo se mêler aux rires des femmes, au bruit des assiettes. […] » Et ce rabâchage, un peu bredouillant, est coupé de petits rires intérieurs, et d’imitations de vagissements d’enfants à la mamelle.

442. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Ne riez pas, je vous en supplie ; je souffre tant ! […] Même s’il s’agit d’une paysanne italienne, un être bien réel cependant, sa façon de voir restera la même :          Ses grands yeux, Qui parfois tournaient, à moitié étourdis, sous Ses paupières passionnées, et comme noyés, quand elle parlait, Avaient aussi en eux des sources cachées de gaieté, Lesquelles, sous les noirs cils, sans cesse S’ébranlaient à son rire, comme lorsqu’un oiseau vole bas Entre l’eau et les feuilles de saule, Et que l’ombre frissonne jusqu’à ce qu’il atteigne la lumière323. […] La seconde cause, c’est qu’en peignant des êtres à part, véritables monstruosités, on excite plus aisément la pitié ou le rire de la foule. […] De même, pour les autres, le ridicule est parfois une cause de rire sans malveillance, de gaieté, de légèreté d’âme. Le ridicule peut être un des ferments de la vie morale ; il ne faut craindre ni d’être innocemment ridicules, ni de rire innocemment des ridicules de l’humanité.

443. (1888) Impressions de théâtre. Deuxième série

Puis, il a été prodigieusement vivant et actif : il a écrit, travaillé, lutté, raillé, pleuré et ri plus que personne au monde. […] Pourtant il n’y a pas de quoi rire. […] Et elles rient, et elles font des mines étonnées et sournoises. […] L’un contemple ; l’autre vit, se remue, rit, s’indigne, s’étonne, fait des sermons, fait des mots. […] Des applaudissements et des rires nous arrivent.

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