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438. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

» Pendant qu’elle riait là haut en jetant de folâtres cris de joie, Vincent, frappant du pied le trèfle, grimpa sur l’arbre comme un loir. « Mireille, il n’a que vous, le vieux maître Ramon ? […] Cet enfant dit qu’il est monté pour m’aider, et tout son travail ensuite est de me faire rire. […] Et sans plus en dire chacun se met à cueillir de nouveau quelque brindille ; pourtant, avec des yeux malins en dessous, ils s’épiaient à qui rirait le premier……… » Mais lisez tout entier le passage qui suit cette rencontre involontaire des deux mains dans les feuilles. […] Voyons, belle enfant, là est quelque mystère. » — « Je veux, dit Mireille, me cacher en un couvent de nonnes à la fleur de mes ans plutôt que de me laisser unir à un époux. » On rit, on se moque de son serment. […] qu’il y a loin d’un peuple nourri par de telles épopées villageoises à ce pauvre peuple suburbain de nos villes, assis les coudes sur la table avinée des guinguettes, et répétant à voix fausse ou un refrain grivois de Béranger (digne d’un meilleur sort), ou un couplet équivoque de Musset (digne de meilleure œuvre), ou un gros rire cynique d’Heyne, ce Diogène de la lyre, ricaneur et corrupteur de ce qui mérite le plus de respect ici-bas, le travail et la misère !

439. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Musset semble définir sa propre poésie — railleuse, séduisante et voluptueuse — quand il parle de la sérénade du Don Juan de Mozart où l’accompagnement qui rit se moque des paroles et de la mélodie qui supplient et caressent. […] Mais il veut dire aussi que les Eglises sont des livres de pierre où les générations d’autrefois écrivaient leur pensée pour l’éternité ; qu’elles ont été des symboles compliqués, où le plan, les sculptures, les plus minces détails exprimaient des idées ; que, parlant ainsi aux initiés un langage mystérieux, elles parlaient en même temps aux yeux de la foule par leurs vitraux, leurs fresques, leur peuple de statues ; qu’elles ont matérialisé durant des siècles le génie poétique et les aspirations populaires ; que les cathédrales gothiques en particulier, par leur élan vers le ciel, par la hardiesse de leurs lignes verticales, ont rendu à merveille les espérances et les envolées mystiques d’un âge de foi tourné presque tout entier vers l’au-delà ; seulement que, l’imprimerie étant inventée, la pensée, au lieu de se pétrifier, devient oiseau, vole d’un bout du monde à l’autre, se rit du temps et de l’espace, sûre qu’elle est de pouvoir se multiplier à l’infini ; que désormais la Bible de marbre et de granit est vaincue et destinée à être remplacée par la Bible de papier, plus claire, plus mobile et, malgré l’apparence, plus durable. […] Victor Hugo133 rencontre, prisonnier dans sa gaine de pierre et oublié dans un parc désert, un vieux faune qui rit éternellement et il interroge ce témoin des splendeurs mythologiques et princières d’autrefois, ou bien, au sortir de l’atelier du statuaire David d’Angers, il dit les rêves rayonnants de ceux qui s’efforcent de « sculpter l’idéal ». […] On se figure très bien sous ces voûtes sonores une chanson guerrière déclamée d’une voix tonnante, quelque conte gras et gaillard faisant éclater un gros rire sur de larges faces ; on entend à la rigueur un chant d’amour charmant l’ennui des longues soirées d’hiver où la châtelaine rêve et soupire. […] J’imagine que les Suisses de la garde royale devaient rire un peu dans leurs moustaches de ces chalets d’opéra-comique et de ces bergères en souliers de satin et en robe de mousseline.

440. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Enfant, un jour on le gronda, et, sorti de la chambre, il entendit ses parents rire de la tête pleurarde qu’il avait faite à la semonce. Il se jura qu’on ne rirait plus de lui, et il se tint parole, en se séchant à fond. […] On a beau lui crier que peut-être tout notre talent n’existe qu’à la condition de cet état nerveux, il va toujours, il veut qu’on réagisse contre ces états d’avachissement et de paresse, qui lui semblent le signe des siècles descendant la pente d’une civilisation, et toujours protestant, il voit la guérison du spleen, le salut et la rénovation des sociétés décadentes, dans l’imitation puérile des mœurs anglaises, dans cette vie de civisme, dans cette adaptation du patriotisme et du pédestrianisme britanniques. — « Oui, lui crie quelqu’un, l’alliance du talent et de la garde nationale. » L’on rit et l’on part. […] Et des enfants loqueteux qui courent, avec de petits rires féroces, pour voir. […] Elle a le front petit, étroit, bombé, les sourcils forts, un peu plantés au hasard et se reliant à travers le haut du nez, le nez fin de ligne, mais canaille, mais ayant, au bout, le retroussement faubourien, la bouche petite, avec des fossettes aux coins, quand elle rit, les dents qui sont blanches, séparées comme si elles étaient limées, les pommettes pareilles à des pommettes fardées avec de la brique, d’un rouge qui annonce un mauvais estomac, se nourrissant de cochonneries, la peau épaisse et tiquetée sur un fond de hâle, une peau restée une peau de campagne, en dépit de toute la parfumerie parisienne.

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