Son père, procureur au bailliage de Thionville, avait pour clients, à cette frontière, les riches abbés de Trêves et de Luxembourg ; c’est dans la prévision que ces abbés pourraient, un jour, conférer à son fils de bons bénéfices, que ce père prudent le fit entrer, après ses classes, au séminaire de Metz. […] Dom Colignon avait reçu de l’éducation ; il était bel homme, fort aimable, parlant bien ; procureur de la maison de Metlach, il allait succéder à l’abbé tombé en imbécillité, quand la cure de Valmunster était venue à vaquer ; le presbytère était joli et commode, le pays riche, peuplé, fort agréable, arrosé par la Sarre : sacrifiant l’ambition à la liberté, il avait fait nommer abbé un de ses amis, qui lui avait ensuite conféré la cure, la seigneurie et les revenues de Valmunster. […] Il y a dans Rabelais une bien vaillante et généreuse figure de moine, le frère Jean des Entommeures ; il y a dans le joli roman du Petit Jehan de Saintrè un Damp Abbé, moins fort en armes, mais riche aussi de nature, qui fait concurrence au gentilhomme auprès de sa belle, et dont le gentilhomme se venge assez cruellement.
C’est un bon esprit plus qu’un esprit supérieur, un écrivain laborieux autant qu’éclairé, d’une vaste lecture, d’une sincérité parfaite, sans un recoin obscur ni une arrière-pensée ; c’est surtout une riche nature morale, sympathique, communicative, qui se teint des milieux où elle vit, qui emprunte et qui rend aussitôt. […] Entendant louer toujours la campagne romaine avec ses riches teintes, il avouait ingénument que ce genre de beauté pittoresque échappait tout à fait à ses yeux, « pour lesquels le rayon rouge n’existait pas. » Mais soit qu’il en fût autrement pour lui dans la jeunesse, soit que l’amour-propre du colon et du propriétaire aiguisât sa vue et suppléât à son organisation, il a su nous rendre parfaitement ce qu’il regardait tous les jours, et il s’y est glissé un éclair de poésie ou de sentiment de la nature qu’il n’a jamais retrouvé depuis. […] En quelque lieu qu’il s’arrête, sur quelque métairie qu’il porte ses regards, il voit tout ensemble devant lui, la vigne qui, élégamment suspendue en contre-espalier autour de chaque champ, l’environne de ses festons ; les peupliers, rapprochés les uns des autres, qui lui prêtent l’appui de leur tronc, et dont les cimes s’élèvent au-dessus d’elles ; l’herbe, qui croît au pied de ces élégants contre-espaliers et qui gazonne les bords des nombreux fossés, destinés à l’écoulement des eaux ; les mûriers qui, plantés sur deux lignes au milieu des champs, et à une distance assez grande pour ne pas les offusquer de leur ombre, dominent les moissons ; les arbres fruitiers qui, çà et là, sont entremêlés aux peupliers et à la vigne ; les blés de Turquie qui, s’élevant à six ou huit pieds au-dessus de terre, entourent leurs magnifiques épis de la plus riche verdure ; les trèfles annuels dont les fleurs incarnates se penchent sur leur épais feuillage ; les lupins dont le coup d’œil noirâtre et l’abondante végétation contraste avec la souplesse, l’élégance et la légèreté des seigles non moins vigoureux qu’eux et qui s’élèvent au-dessus de la tête des moissonneurs ; enfin, les blés dont les longs épis dorés sont agités par les vents et rappellent par leurs ondulations le doux mouvement des vagues d’un beau lac. » Le second morceau consacré aux Collines est comme un pendant au tableau des plaines ; celles-ci, dans aucun pays, ne peuvent plaire aux yeux que par l’abondance et la fertilité qui les caractérise.
Riche propriétaire du pays, il y a été élevé et y a passé son enfance, sa première jeunesse ; il y est revenu après une assez longue absence, pour ne plus le quitter ; il est marié, il a une femme jeune encore et sérieuse, et deux enfants ; il a tout l’extérieur du bonheur. […] Veut-on voir ce tableau d’une teinte adoucie et riche encore, agreste et fumeux, plein de vie, curieux à observer après les splendeurs et les stupeurs torrides du Sahara : « On dansait devant la grille de la ferme sur une esplanade en forme d’aire, entourée de grands arbres, et parmi des herbes mouillées par l’humidité du soir comme s’il avait plu. […] Une chose, entre autres, m’y plaît encore : c’est que la description si riche et si vive y est pourtant toujours à sa place et n’empiète pas au-delà, comme on eût pu l’attendre et le craindre de la part d’un peintre.