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667. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

J’ai parlé de ces jeunes travailleurs, qui pendant quelques années firent groupe, parce qu’on en retrouve un bon nombre ici. […] Il y a, entre autres, une mémorable scène, c’est quand Bernier, le loyal vassal, qui a retrouvé sa mère religieuse dans un couvent de ce même pays du Vermandois qu’on va ravager, est tout d’un coup surpris par l’incendie de l’abbaye, à laquelle Raoul, le fougueux baron, avait pourtant la veille accordé la paix ; mais un incident survenu a retourné soudainement sa volonté aveugle et enflammé sa colère ; il a commandé qu’on mit le feu, et il a été trop bien obéi : Brûlent les cellules, s’effondrent les planchers ; Les vins s’épandent, s’enfoncent les celliers ; Les jambons brûlent et tombent les lardiers ; Le sain-doux fait le grand feu redoubler ; Il (le feu) s’attache aux tours et au maître-clocher : Force est bien aux couvertures de trébucher ; Entre deux murs est si grand le brasier, Que toutes cent (les nonnains) brûlent écrasées ; Marcens y brûle, qui fut mère à Bernier, Et Clamados, la fille au duc Renier… De pitié pleurent les hardis chevaliers. […] Cette mère qui avait obtenu merci, la veille, et promesse de sauvegarde pour son abbaye ; ce serment violé ; ce double sacrilège commis par un féroce baron sur des nonnes innocentes ; ce fils pieux enchaîné par l’honneur à son seigneur indigne ; approuvé, la veille encore, pour son effort de loyauté, par sa mère, et qui voit brûler cette mère qu’il vient seulement de retrouver, d’embrasser, — qui arrive trop tard pour la sauver, et qui, pour consommation dernière, voit son psautier brûler sur sa poitrine ; image admirable et sainte ! […] Il est à déplorer que ces qualités acquises et conquises par tant d’efforts n’aient pu se transmettre insensiblement par voie de tradition et d’hérédité, qu’il y ait eu bientôt après perte, interruption, ruine, et qu’il ait fallu bien plus tard, de nos jours, un autre effort et une exhumation tout artificielle pour les retrouver et y revenir en étendant la main par-dessus deux siècles. » Cependant l’école de Ronsard avait fait son temps, avait suivi et accompli son cours ; elle avait eu très-vite ses trois saisons, et après Des Portes, avec Bertautet Du Perron, elle finissait par s’alanguir.

668. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

. — Au total, il apprend la langue faite, comme un vrai musicien apprend le contre-point, comme un vrai poète apprend la prosodie ; c’est un génie original qui s’adapte à une forme construite pièce à pièce par une succession de génies originaux ; si elle lui manquait, il la retrouverait peu à peu ou en découvrirait une autre équivalente. […] » Animal ou arbre, elle le traite tout de suite comme une personne elle veut savoir sa pensée, sa parole ; c’est là pour elle l’essentiel ; par une induction spontanée, elle l’imagine d’après elle et d’après nous ; elle l’humanise. — On retrouve cette disposition chez les peuples primitifs ; et d’autant plus forte qu’ils sont plus primitifs ; dans l’Edda, surtout dans le Mabinogion, les animaux ont aussi la parole ; un aigle, un cerf, un saumon sont de sages vieillards expérimentés qui se souviennent des événements anciens et instruisent l’homme179. […] En général, l’enfant présente à l’état passager des caractères mentaux qui se retrouvent à l’état fixe dans des civilisations primitives, à peu près comme l’embryon humain présente à l’état passager des caractères physiques qui se retrouvent à l’état fixe dans des classes d’animaux inférieurs.

669. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

On en a conclu qu’on pouvait, d’après les monuments littéraires, retrouver la façon dont les hommes avaient senti et pensé il y a plusieurs siècles. […] Entre tant d’écrivains qui, depuis Herder, Ottfried Muller et Gœthe, ont continué et rectifié incessamment ce grand effort, que le lecteur considère seulement deux historiens et deux œuvres, l’une le commentaire sur Cromwell de Carlyle, l’autre le Port-Royal de Sainte-Beuve ; il verra avec quelle justesse, quelle sûreté, quelle profondeur, on peut découvrir une âme sous ses actions et sous ses œuvres ; comment, sous le vieux général, au lieu d’un ambitieux vulgairement hypocrite, on retrouve un homme travaillé par les rêveries troubles d’une imagination mélancolique, mais positif d’instinct et de facultés, anglais jusqu’au fond, étrange et incompréhensible pour quiconque n’a pas étudié le climat et la race ; comment avec une centaine de lettres éparses et une vingtaine de discours mutilés, on peut le suivre depuis sa ferme et ses attelages jusqu’à sa tente de général et à son trône de protecteur, dans sa transformation et dans son développement, dans les inquiétudes de sa conscience et dans ses résolutions d’homme d’État, tellement que le mécanisme de sa pensée et de ses actions devient visible, et que la tragédie intime, perpétuellement renouvelée et changeante, qui a labouré cette grande âme ténébreuse, passe, comme celles de Shakspeare, dans l’âme des assistants. Il verra comment, sous des querelles de couvent et des résistances de nonnes, on peut retrouver une grande province de psychologie humaine, comment cinquante caractères enfouis sous l’uniformité d’une narration décente, reparaissent au jour chacun avec sa saillie propre et ses diversités innombrables ; comment, sous des dissertations théologiques et des sermons monotones, on démêle les palpitations de cœurs toujours vivants, les accès et les affaissements de la vie religieuse, les retours imprévus et le pêle-mêle ondoyant de la nature, les infiltrations du monde environnant, les conquêtes intermittentes de la grâce, avec une telle variété de nuances, que la plus abondante description et le style le plus flexible parviennent à peine à recueillir la moisson inépuisable que la critique a fait germer dans ce champ abandonné. […] Si différents qu’ils soient, leur parenté n’est pas détruite ; la sauvagerie, la culture et la greffe, les différences de ciel et de sol, les accidents heureux ou malheureux ont eu beau travailler ; les grands traits de la forme originelle ont subsisté, et l’on retrouve les deux ou trois linéaments principaux de l’empreinte primitive sous les empreintes secondaires que le temps a posées par-dessus.

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