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1710. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

Ce marchand qui demeure tout près de Notre-Dame, rue Chanoinesse, je crois a la clientèle de tous les Lorrains de Paris, et surtout d’une colonie de Montmartre, qui se rendent avec leurs femmes et leurs enfants, tous les dimanches, à la Morgue, et se payent après la séance, une ou deux bouteilles de vin paille du pays. […] Chez les peintres, l’envie est tempérée par une certaine gaminerie, par une enfance de toute la vie, qui rend cette envie moins amère, moins noire que chez l’homme de lettres. […] Mercredi 14 mai Je lisais, ce matin, dans un grand journal : « Des maniaques collectionnent des porcelaines de Chine et de Saxe, mais ils se rendent parfaitement compte qu’il n’y a pas de plus belle porcelaine au monde, que celle que fait actuellement Sèvres. » Ah ! […] Dimanche 8 juin Pour rendre la nature, Théophile Gautier faisait seulement appel à ses yeux. Depuis, tous les sens des auteurs ont été mis à contribution pour le rendu en prose d’un paysage.

1711. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Eh bien, il a fallu qu’il se rencontrât un homme de talent, pour rendre le thème ridicule à force d’être caricatural et outré, en faisant tout bêtement de cette jeune fille, une empoisonneuse et une assassine à la d’Ennery. […] Là-dessus il demande, de concert avec Daudet, un rendez-vous aux témoins de Meyer, pour fixer décidément le terrain du combat, et dresser un procès-verbal, où le corps à corps sera permis, et où les témoins n’interviendront pas. […] En ce moment, où le Parisien restant à Paris, est rendu à la solitude, et n’est plus enlevé à lui-même par les dîners, les soirées, les visites, le contact, à tout moment, avec de l’humanité remuante et distrayante. […] » Et il sort de sa bouche un flot de paroles colères, qu’il termine ainsi : « Oui, cet homme me tue… me rend tout impossible… je ne vous parlais pas de ce journal, parce que je voulais en faire un livre… mais je sens que, lui là, je ne pourrai jamais le faire… Vous me paraissez un galant homme. […] J’ai reçu hier de Céard un mot, pour me rendre chez un avocat américain, avenue de l’Opéra — M. 

1712. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Le poète se reconnaît à ce qu’il rend aux mots la vie et la couleur, à ce qu’il les associe de manière à en faire le développement d’un mythe ; le poète est, selon le mot de Platon, μνθλογιχόϛ ; c’est donc à bon droit qu’on a placé au premier rang, parmi les dons du grand poète, la puissance mythologique 236. […] Le souci que le poète philosophe montre toujours de rendre sa pensée avec une absolue exactitude, laquelle précisément communique à tant de ses pièces l’émotion et la beauté du vrai, se retourne, hélas ! […] Ne me rendrez-vous plus les biens qui me sont dus ? […] Même le souvenir, pour lui, se revêt trop du prosaïsme de l’action journalière ; il oublie que le souvenir rend aux choses, en les résumant et les condensant, en quelque sorte, tout le prix qu’elles perdaient par le fractionnement quotidien. […] C’est charmant, pas bien réel ; les vraies couleurs, les vraies nuances ont des dégradations infinies que le pinceau de Coppée, quoique délicat et menu, ne semble pas bien fait pour rendre ; mais, par contre, ce pinceau est léger autant qu’habile, et fin comme l’esprit même du poète244.

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