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1493. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Ernest est un homme distingué autant qu’aimable : Mlle de Liron l’a voulu rendre tel, et y a réussi. […] La nouvelle position des deux amants, l’embarras léger des premiers jours, le rendez-vous à la chambre, le bruit de la montre accrochée encore à la même place, le souper à deux dans une seule assiette14, cette seconde nuit qu’ils passent si victorieusement et qui laisse leur ancienne nuit du 23 juin unique et intacte, les raisons pour lesquelles Mlle de Liron ne veut devenir ni la femme d’Ernest ni sa maîtresse, l’aveu qu’elle lui fait de son premier amant, cette vie de chasteté, mêlée de mains baisées, de pleurs sur les mains et d’admirables discours, enfin la maladie croissante, la promesse qu’elle lui fait donner qu’il se mariera, l’agonie et la mort, tout cela forme une moitié de volume pathétique et pudique où l’âme du lecteur s’épure aux émotions les plus vraies comme les plus ennoblies. […] Il nous reste, pour rendre un complet hommage à Mlle de Liron, à dire quelques mots des deux opuscules touchants, desquels nous avons souvent rapproché son aventure. […] On ne saurait rendre le charme, la pudeur de cet amour partagé, de ses abandons et de ses combats, de la résistance sincère de l’amante et de la soumission gémissante de l’amant. — « Un jour, je lui dis : Vous ne pouvez vous résoudre à vous donner, et vous voudriez vous être donnée. — Cela est vrai, dit-elle ; — et cet aveu ne me fit rien obtenir, ni même rien entreprendre.

1494. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

Son fils apprit, en quelque sorte, à lire dans le Compte rendu de M.  […] Il en rendit militaires les trains qui, auparavant, étaient abandonnés à des espèces de valets ou charretiers sans discipline et destitués du mobile de l’honneur. Dans les années qui suivirent, il réforma les différentes parties de cette arme, il simplifia les calibres de campagne, rendit le matériel léger, d’un facile transport, et établit le système qui a fait le tour de l’Europe pendant toutes les guerres de l’Empire. […] Me fiant peu à sa docilité, je me déterminai à m’y rendre moi-même, et, après avoir jeté un dernier coup d’œil du haut de l’Arapiles sur l’ensemble des mouvements de l’armée ennemie, je venais de replier ma lunette et me mettais en marche pour joindre mon cheval, quand un seul coup de canon, tiré de l’armée anglaise, de la batterie de deux pièces que l’ennemi avait placée sur l’autre Arapiles (le plateau d’en face), me fracassa le bras et me fit deux larges et profondes blessures aux côtes et aux reins, et me mit ainsi hors de combat.

1495. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Pour juger du livre de Considérations qu’il leur a consacré, il y aurait à examiner ce qui a été dit avant lui sur ce sujet, à rendre à Machiavel, à Saint-Évremond, à Saint-Réal, ce qui leur est dû ; et, pour la forme, on aurait à rapprocher du discours historique de Montesquieu le discours même de Bossuet. […] Elle mit d’abord les rois dans le silence et les rendit comme stupides. » Stupides est pris là aussi dans le sens latin et primitif pour signifier la stupeur physique. Et encore : « Des rois qui vivaient dans le faste et dans les délices n’osaient jeter des regards fixes sur le peuple romain. » Je pourrais multiplier ces remarques et montrer comment Montesquieu affecte de rendre leur sens exact et propre à quantité de mots (ajuster, engourdir, etc.), et comment il double leur effet en les appliquant nettement à de grandes choses. […] Le xviiie  siècle, qui allait marcher bientôt avec ensemble et prosélytisme comme un seul homme, et qui se donnera tout entier son rendez-vous final aux funérailles solennelles de Buffon (avril 1788), n’était pas encore enrôlé ni même debout à la date où mourut Montesquieu.

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