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298. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Voluptueux intellectuel, il se contenta de s’enivrer du plaisir qu’il donnait aux autres, et il le donnait sur place, à l’instant même, — avec l’idée, avec l’image, avec la parole, le geste, le regard, la voix, jouissant de son esprit comme les femmes jouissent de leur beauté ! […] Elles venaient à lui dans le regard des hommes… Comme les lys qui ne filent point et qui ont leur blancheur, Rivarol ne travaillait jamais sa causerie comme Chamfort et comme Sheridan. […] Mais, pour ma part, j’ai peine à croire que le perçant historien des Tableaux de la Révolution, qui ne s’était jamais trompé sur personne dans son histoire, ni sur le Roi, ni sur la Reine, ni sur Necker, ni sur Lafayette, ni sur Mirabeau, ait été ici la dupe de quelqu’un et n’ait pas pénétré de son regard l’impuissance radicale des intrigues dans lesquelles, en émigration, le royalisme s’agitait, Rivarol y mourut au milieu des tronçons dispersés de ces intrigues, qui ne se rejoignirent jamais.

299. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Que manquait-il donc en ces années au poète, bien jeune encore, pour être heureux, pour vouloir vivre et aimer la vie, pour laisser son esprit courir et jouer en conversant sous des regards prêts à lui sourire, et son talent désormais plus calme, plus apaisé, s’animer encore par instants et combiner des inspirations renaissantes avec les nuances du goût ? […] … », ce son matinal du cor, et qu’on mette en regard cet admirable et affligeant sonnet final, toute la carrière poétique d’Alfred de Musset m’apparaît comprise entre deux : gloire et pardon !

300. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

Lors donc qu’on les expose encore naissants au regard d’un ami, il doit être toujours sous-entendu qu’on le consulte, et qu’après votre première émotion passée et votre rougeur, il y a lieu pour lui à un jugement. […] Rêver plus, vouloir au-delà, imaginer une réunion complète de ceux qu’on admire, souhaiter les embrasser d’un seul regard et les entendre sans cesse et à la fois, voilà ce que chaque poëte adolescent a dû croire possible ; mais, du moment que ce n’est là qu’une scène d’Arcadie, un épisode futur des Champs-Elysées, les parodies imparfaites que la société réelle offre en échange ne sont pas dignes qu’on s’y arrête et qu’on sacrifie à leur vanité.

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