Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets Si l’on a un fait à raconter, on tâchera de se le figurer avec toutes ses circonstances, et de se donner, comme aussi au lecteur, l’illusion de la réalité même. Cicéron a dit d’excellentes choses là-dessus, et, bien qu’il n’ait voulu parler que de l’exposition des faits sur lesquels l’orateur fonde son argumentation, les conseils qu’il a donnés, tirés du sens commun et du bon goût, s’appliquent à toute espèce de récit : Il faut qu’une narration réunisse trois qualités : la brièveté, la clarté, la vraisemblance. […] Or que contient son récit ? […] Ainsi a fait Michelet dans le récit de la première crise qui troubla la raison du pauvre roi Charles VI : C’était le milieu de l’été, les jours brûlants, les lourdes chaleurs d’août. […] Voilà qui double reflet dramatique du récit, qui prépare l’âme à l’émotion, l’esprit à l’intelligence du fait.
Cette pensée, si elle n’est pas exprimée aussi nettement, ressort pourtant, en bien des endroits, du récit de Villehardouin. Je n’ai à suivre ce récit qu’autant qu’il sert à peindre l’historien lui-même. […] Ici Villehardouin, dans son récit, laisse percer un éclair d’enthousiasme et une joie d’homme de cœur. […] Il est deux ou trois points toutefois que je crois bon de dégager et de maintenir, à travers la confusion des scènes et l’horreur naturelle qui s’attache à de tels récits. […] Daunou, la gracieuse et piquante naïveté de Joinville, il attache ses lecteurs par la simplicité, la franchise et le cours naturel de son récit. » Ce cours naturel est très bien dit : son récit marche et se presse.
L’idée d’appliquer la poésie française au récit des faits historiques germa de divers côtés : surtout en Angleterre, où la présence d’une langue vaincue, vile et méprisée, comme le peuple qui la parlait, conférait au français un peu de cette noblesse qui chez nous appartenait seulement au latin. […] Ce récit nous fait surgir devant les yeux un saint Louis intime, familier, souriant, plus aimable et plus « humain » encore que le roi justicier du bois de Vincennes, et que le roi chevalier, qui faisait si fière contenance aux jours de bataille sous son heaume doré. […] Son humanité, aimable et faible, éclate à chaque page de son récit, comme lorsque, au départ, il n’ose se retourner vers son beau château de Joinville où il laisse ses deux enfants, de peur que le cœur ne lui fende. […] Par là, si inférieur qu’il soit à Hérodote en intelligence, en réflexion, en sens esthétique, ce chevalier inhabile à penser a dans son récit enfantin des impressions d’une fraîcheur, d’une vivacité qui font penser au premier des historiens grecs. […] Le départ de la flotte chrétienne, aux accents du Veni creator spiritus, évoque par sa simplicité puissante le souvenir du départ de la flotte athénienne pour la Sicile, et je ne sais si le récit de Thucydide est d’un pathétique plus sobre et plus saisissant.